Quand le Ravi se fait un sang d’encre
Si le Ravi est ce mois-ci, chez les abonnés (il arrive très vite par La Poste) et dans les kiosques (dès ce vendredi), cela tient à un petit miracle ! En effet, notre imprimerie, MOP, située à Vitrolles (13), était en grève lors de notre bouclage. Appartenant au groupe Riccobono, le leader du secteur, les salariés jouent, depuis des mois, leur survie. Et alors que, le 12 octobre prochain, ils sauront si le tribunal de commerce prononce ou non la liquidation, ils n’ont pas hésité, malgré la mobilisation qu’ils ont entamé fin septembre, à nous imprimer, comme nos confrères de CQFD ainsi que le quotidien, lui aussi en redressement judiciaire, La Marseillaise.
Pour bien comprendre l’histoire, il faut remonter plusieurs mois en arrière. Fin 2016, on retrouve nos collègues de La Marseillaise qui, une fois de plus, jouent leur avenir à la barre d’un tribunal. Et d’apprendre, en discutant avec des salariés de l’imprimerie, que ces derniers ne sont pas là que par solidarité ! « MOP », le site d’impression de Vitrolles du groupe Riccobono, est lui aussi en redressement judiciaire (Cf « Sursis pour La Marseillaise ») !
C’est une véritable surprise car il s’agit d’un des poids lourds du secteur. Certes, l’imprimeur aura beau jeu de mettre en avant les douloureuses en souffrance du côté du quotidien d’obédience communiste. Mais, à y regarder de plus près, se joue sur ce site une autre histoire : l’affrontement entre un patron et un syndicat. Un bras de fer où, à en croire les tracts de la Filpac CGT, tous les coups, ou presque, semblent permis. Comme nous l’explique le délégué syndical du site, Mickaël Pinci : « alors que le groupe Riccobono s’était engagé à la barre du tribunal à financer la période d’observation, on s’est rendu compte que certains fournisseurs n’étaient plus payés. L’encre, les plaques et même le papier. Une manière de nous couper les vivres. Alors que le groupe Riccobono, lui, va bien. Si les centres d’impression sont déficitaires, le groupe, lui, aurait engrangé plusieurs millions de bénéfices… »
Une situation à mettre en parallèle avec le montage global du groupe que démonte un ancien de la Filpac, Michel Muller (Lire « Optimisation fiscale dans la presse : l’étrange M. Riccobono » publié sur L’Alterpresse 68 (article relayé entre autres par le SNJ-CGT). Le groupe Riccobono, né à l’origine du côté du Muy, a désormais des ramifications jusqu’au Luxembourg. Et il ne fait pas que dans le papier puisqu’il fut un temps gestionnaire des remontées mécaniques d’Isola 2000…
Or, pour l’heure, aucun plan digne de ce nom ne semble avoir été présenté. Et ce alors que, le 12 octobre prochain, le site jouera sa survie à la barre du tribunal de commerce. Et comme on nous le dit à la Filpac-CGT : « Faute de plan, le site sera tout simplement liquidé. Mais, dans la foulée, pourrait être prononcé l’extension de la procédure de redressement judiciaire à l’ensemble du groupe… »
Ce qui – au-delà de la situation du site vitrollais – constituerait un véritable séisme pour tout le secteur. Reste que si la solidarité des ouvriers du livre avec les salariés de « MOP » a pu empêcher, par exemple, la distribution au premier jour de grève de titres comme Le Canard Enchaîné ou L’Humanité imprimés sur d’autres rotatives du groupe, la mobilisation n’est pas forcément de mise sur tous les sites, en attestent les échanges par tract interposé au sein même de la Filpac (1) !
Autant dire qu’à l’aune de cette situation, le geste de nos collègues d’accepter, malgré leur mobilisation, de nous imprimer, apparaît encore plus précieux. Et ce, alors que, le jour du bouclage (le 2 octobre), ils étaient reçus à la préfecture afin que les pouvoirs publics mettent en place une table ronde ! Le jeudi 5 octobre le tribunal de commerce de Salon-de-Provence (13) a accordé un délais d’une semaine supplémentaire à l’entreprise Riccobono. Il prononcera donc son jugement le 12 octobre. Les pistes : la liquidation pure et simple ou l’extension du redressement judiciaire à l’ensemble du groupe… (2).
A traîner nos guêtres du côté du tribunal de commerce, on s’est étonné de constater que, contrairement à bien d’autres édifices publics, il n’y ait pas le moindre dispositif de sécurité. Et, disons-le, une surveillance assez relâchée. Rigolard, un policier – réserviste et fin lecteur – nous a répondu : « Je ne pensais pas que le Ravi était favorable à ce genre de mesures. Mais ici, c’est un tribunal de commerce. Il y a moins de tension que dans les autres tribunaux… » A voir ! Et c’est peu dire que, dans les jours à venir, le Ravi va se faire un sang d’encre.
Sébastien Boistel
1. Voir « Appel à la raison CGT bis », la réponse au tract « Appel à la raison CGT » de la Filpac du groupe Amaury, consultables tous les deux sur www.filpac-cgt.fr
2. Le groupe Riccobono – et Guillaume Riccobono en particulier – n’ont pas donné suite à nos demandes d’interview
Article publié sur le www.leravi.org le 4 octobre et mis à jour le 5 octobre suite à l’audience du tribunal de commerce