Quand le Bastion social débarque à Marseille
Mélange des genres et des couleurs sur le Vieux-Port à Marseille. Pour une journée, « antifas », collectifs, partis politiques (JC…) et syndicats, parmi lesquels la CNT, la CGT, l’Unsa 13, la FSU 13, ATTAC, Résister Aujourd’hui, la Ligue de l’enseignement, ont mis leurs différents de côtés. En cause, l’ouverture ce samedi 24 mars d’une antenne locale d’un groupuscule d’extrême-droite, le Bastion social sur le Vieux-Port [Lire dans le Ravi n°160, daté mars, notre reportage sur l’inauguration, le 10 février, à Aix-en-Provence d’un autre local du Bastion social : « Vive la bière, vive le Bastion »] donnant lieux à de nouveaux affrontements. Second round.
« Couscous paëlla aïoli même combat »
15h30, et une foule de 600 personnes s’engagent sur la Canebière. Ensemble, ils entendent dénoncer « le masque social qui sert à obtenir les faveurs de la population » déclare Cédric Bottero, responsable de la CGT à Aix Marseille Université, lors d’une courte prise de parole, et un « mouvement désormais présent à Chambéry, Lyon, Strasbourg ». « Être social, c’est être au service de tous. La solidarité est sans frontière » rappelle-t-il. Et pour cause, le Bastion c’est avant tout des collectes alimentaires pour les SDF à la sauce « les Nôtres avant les autres ». Traduction : les « vrais Français ». « Le Bastion repose sur des mécanismes connus depuis 1945 et qu’on voit aujourd’hui avec la montée des extrêmes en Europe », explique, inquiète, Catherine Piat, présidente de Résister Aujourd’hui. En Italie justement, c’est Matteo Salvini qui pourrait être le prochain président du Conseil, le chef de la Ligue du Nord, mouvement régionaliste et xénophobe aux accents identitaires et ouvertement fascistes.
Mais l’union des syndicats et collectifs n’aura pas fait long feu. Vers 16 heures, alors que le cortège rejoint une partie de la CGT sur le Vieux-Port pour des prises de paroles, une centaine de manifestants continue. Composée de groupes informels et « antifa », elle va à la rencontre du local, 45 rue Fort Notre-Dame, logé entre magasins, cafés et bars, bravant l’interdiction de la Préfecture de se rendre dans cette zone. L’aventure tourne court. Les manifestants s’approchent, et tentent d’éviter les CRS bloquant les rues. 50 mètres les séparent. Il n’en faut pas plus pour des premiers tirs de lacrymo. Dépitée, la foule fait demi-tour en espérant trouver de nouveaux soutiens. Pas de chance, le Vieux-Port s’est déjà vidé de ses manifestants.
Après tout, la plupart ne sont pas venus pour en découdre mais pour faire barrage aux extrêmes. « Couscous paëlla aïoli, même combat », peut-on entendre scander la foule. « Je n’ai pas chanté ça depuis les années 80 lors d’un meeting de Le Pen, se souvient une institutrice à la retraite qui a fait le déplacement depuis Aubagne. C’est la base, lutter contre les fachos. »
Le Bastion social, un problème aussi pour des extrêmes « Facho ». Le terme est toujours présent dans la bouche des manifestants. Pourtant, il a le tort de renvoyer à un bloc uni et homogène. Or, le Bastion social semble avoir eu l’effet d’un petit tremblement de terre chez les extrêmes. La raison : une quinzaine de transfuges de l’Action Française, mouvement royaliste d’extrême-droite présent dans le 5ème arrondissement et que nous avions infiltré l’été dernier (cf. « Une Saison en Action Française », Ravi n°154, septembre 2018). Parmi eux, de nombreux cadres du mouvement, comme Jérémy Palmieri, ancien secrétaire opérationnel de l’AF passant pour chef local du mouvement auprès de la presse. Bonne opération pour ce dernier. Il devient responsable Provence du Bastion social.
Mais en interne, chez certains militants de l’AF, l’amertume domine. « Ils veulent refaire exactement les mêmes choses qu’avant sauf que ça n’a pas marché. Ils prennent juste les couleurs du Bastion », confie l’un d’entre eux sous couvert d’anonymat. Un autre tente de relativiser : « C’est sûr qu’on est déçu, mais c’est le même combat, un combat identitaire même s’ils deviennent nos concurrents. » Certains l’avouent, « le Bastion va vouloir occuper la scène militante et nous forcer à nous concentrer sur la communication et l’information ». Embarrassée, l’AF, appréciant aussi surement peu que le Bastion s’approprie son folklore, n’a pas donné de consignes à ses militants : chacun était libre de se rendre ou pas à l’inauguration… Le Navarin, c’est le nouveau nom du local, référence à la rue où se trouve l’AF.
Mais derrière le local de la rue Fort-Notre-Dame, c’est un autre groupe qui se cache : Casapound, mouvement néo-fasciste italien dont le Bastion social se voudrait la version tricolore. Et pour cause, ses membres sont toujours présents aux inaugurations d’antennes locales dans le pays. A Marseille, c’est un jeune cuisinier, Marcello Ursi, qui sert d’intermédiaire, un ancien membre de l’AF…
Article publié sur le www.leravi.org le 26 mars 2018
Le dessin de Yakana qui illustre cet article a été publié dans la rubrique « le clin d’œil du Ravi » de l’édition du Week-end de Marsactu.