Pourquoi l’industrie du X a quitté la région ?
En 2001, Isabelle Huppert reçoit le prix d’interprétation féminine au festival de Cannes pour La Pianiste, film de Mickäel Haneke : l’histoire d’une prof de piano dont la sexualité se résume à la fréquentation des sex-shops, où elle récupère les mouchoirs usagés dans les cabines de peep-show, et qui aime également s’infliger des mutilations sur le sexe avec une lame de rasoir… La même année, de l’autre côté de la Croisette, les Hots d’Or consacrent une petite nouvelle, Clara Morgane, pour son rôle dans Project X de Fred Coppula. La jeune Marseillaise, qui ne tourne que deux scènes avec son compagnon Greg Centuro, met la tête à l’envers à toute la profession. « C’est la dernière grande révélation des Hots d’Or, se souvient Christine Burns, professionnelle de la communication incontournable dans le X français depuis 20 ans. Clara Morgane, c’était le fantasme absolu : un corps de rêve, une moue de petite fille et une capacité d’exhibition devant la caméra incroyable. On avait vraiment l’impression qu’elle aimait cela. » Depuis, le X a été complètement reconfiguré par le Net. « Le X a toujours été façonné par son support de distribution, poursuit celle qui est devenue aujourd’hui rédactrice en chef du magazine QX. Dans les années 70, les sorties en salles spécialisées conduisaient à produire des films qui devaient tenir une narration d’une heure trente au minimum. Dans, les années 80, avec l’arrivée de la VHS, le X est entré dans les foyers. Et le scénario est passé au second plan avec une spécialisation en fonction de niches : blondes, anal, gay, black, sado-maso, lesbien, etc… Il fallait pouvoir produire pour tout le monde. L’arrivée de Canal+ à la fin des années 80 a redonné un peu de souffle à une production qui était en train de se ghettoïser dans les vieux sex-shops de centre ville. » Une conjoncture qu’hume Franck Vardon, qui crée à la fin des années 90 le mensuel Hot vidéo, qui accompagne cette croissance et devient rapidement la bible du X.
« Ça baisait partout dans les chambres. »
« Il y avait une télé, un journal, il ne manquait plus au X qu’une cérémonie pour le sortir au grand jour, se souvient Pierre Cavalier, responsable du magazine. Nous nous sommes inspirés de l’AVN Awards show qui se déroule depuis 1984 à Las Vegas qui rassemble la profession américaine. Nous nous sommes dit qu’en France, on avait le festival de Cannes. Voilà comment sont nés les Hots d’Or. » Dès 1992, les festivaliers découvrent, médusés, un cortège d’actrices qui n’hésitent pas à se déshabiller à la moindre demande des photographes. Rapidement invités sur le plateau de Canal +, Rocco Siffredi, Laure Sinclair, Jena Jameson, Christophe Clark, Tabata Cash ou Draghixa deviennent alors de véritables stars.
Une histoire que Nomi a vécu de l’intérieur. « C’était vraiment la grande époque, se souvient l’ex actrice porno. Dès que l’on sortait sur la Croisette, on avait autant de photographes et de caméramans. Et le soir, on s’habillait avec des robes de couturier pour aller de fêtes en fêtes. Celles que le monde du X organisait étaient les plus courues du festival. Tout le monde voulait en être. Mais ils étaient très peu nombreux ceux qui finissaient la nuit avec une fille. Quand la fête était terminée, les pros se retrouvaient entre eux dans les suites d’hôtels. On n’allait quand même pas se taper un animateur de télé quand les plus beaux étalons du X étaient à notre étage ! Ça baisait partout dans les chambres. Et le matin, on remettait ça, mais cette fois-ci avec les caméras. Les producteurs louaient des villas et on profitait de la présence de la crème du X international pour faire les meilleurs pornos. J’en garde d’excellents souvenirs, même si, pour ma part, je n’ai pas reçu de Hot d’Or. »
Une vision que ne partage pas du tout Dolly Golden, 2 Hots d’Or dans la besace, dont celui de meilleure actrice française en 2000 : « Les Hots d’Or, c’était une machine médiatique incroyable à Cannes. Et quand on est récompensé, ça devient l’enfer. De 8h30 du matin à tard le soir, on enchaîne interviews et plateaux télé. J’ai pas trop eu le temps de faire la fête, moi. » Sebastian Barrio, élu meilleur acteur X, en rêve encore aujourd’hui : « Je suis passé sur Skyrock pour mon Hot et ensuite, je suis allé au VIP et j’ai été félicité par le Prince Albert de Monaco. C’était dingue, nous n’étions plus des parias ! » Les Hots d’Or de Cannes restent comme la période faste du X en France. « J’ai toujours été jalouse de tout ce que j’ai entendu sur Cannes, affirme Katsuni, la seule star française du porno à avoir une dimension internationale avec pas moins de 29 récompenses des deux côtés de l’Atlantique. Quand les Hots d’Or ont été relancés en 2009 à Paris, je me suis impliquée fortement, espérant peut être m’inscrire dans cette histoire. Mais au final, c’était juste un peu ennuyeux. Il manquait la magie du festival de Cannes. »
« Cette manifestation est une offense aux bonnes mœurs. »
« En fait, la cérémonie des Hots n’a jamais eu lieu à Cannes, mais au Royal Hôtel Casino de Mandelieu-La Napoule, précise Christine Burns. Tout le monde venait faire de la retape sur la Croisette, mais le show, c’était à La Napoule. » Une attraction qui ne plaisait pas à Henri Leroy, le maire UMP de Mandelieu-La Napoule et qui s’en épanchait à longueur de lettre au directeur de l’hôtel, Pierre Viandaz. « Je vous confirme notre entretien téléphonique du 17 courant concernant la manifestation ‘Les Hots d’Or’ qui ne redore pas le blason de notre ville et de votre établissement. Comme j’ai eu l’occasion de le préciser, je ne puis m’appuyer sur aucun texte réglementaire ou légal pour vous demander de faire cesser ce type de réceptions dans notre cité. Vous conviendrez, néanmoins, que cette manifestation est une offense aux bonnes mœurs et à l’échelle des valeurs individuelles auxquelles notre éducation nous a habitués. Il importe que le Royal Hôtel Casino ne perde pas, au travers de ces errements, son image de marque qui fait toute sa réputation. » Aucune suite ne sera donnée à la demande du maire et pour cause, la cérémonie des Hots d’Or représentait pour l’hôtel quasiment 1 million d’euros de recettes ; quasiment le double en termes de retombées pour la ville. En 2001, les organisateurs souhaitent remettre les pieds à Cannes et tentent le tout pour le tout. Parrainé par Larry Flint, patron de la revue Hustler, le X organise une conférence de presse dans un palace de la Croisette. C’est alors que débarque Bernard Brochand, le tout nouveau maire UMP, avec des vigiles pour mettre tout le monde dehors. « Médiatiquement, cela a signé la mort des Hots d’Or, mais ce n’était qu’un épiphénomène, juge Christine Burns. La lame de fond qui a tout balayé sur la Croisette, c’est le gonzo masturbatoire. »
Le gonzo, c’est un courant journalistique créé par l’acoolo-junkie Lester Bang, critique rock qui se mettait en scène dans ses papiers dans les années 70. Dans le X, le genre est apparu pour la première fois en 1989 avec John Stagliano. Faute de moyens, cet ancien acteur porno jouait et tournait en même temps la séquence. « Avec le gonzo, plus besoin d’équipe technique, de scénario, de décor, c’est 20 à 30 minutes maximum de baise en gros plan, confirme Paul-Jérôme Renevier, journaliste pendant 10 ans à Hot vidéo et désormais responsable éditorial de la chaine XXL. Sa fonction masturbatoire est déterminante sur tous les autres éléments. Du coup, ce qui prime, c’est la performance et la technique. Tout est devenu extrêmement codifié et fondamentalement ennuyeux. »
Stéphane Sarpaux