Pour devenir capitale de la culture, Clermont fait ce qu’elle « pneu »
Capitale européenne de la culture, ce n’est pas une sinécure. Alors que Clermont-Ferrand ambitionne de le devenir en 2028, l’exemple en demi-teinte de Marseille en 2013 pourrait faire craindre le pire. Dans la cité phocéenne, si le Mucem attire toujours autant de touristes, la villa Méditerranée est, elle, toujours fermée. Et tout le monde se souvient que, si les moutons ont défilé sur la Canebière, la culture locale aura bien peu été mise à l’honneur : peu de place pour les arts de la rue, absence totale du rap et sous-représentation des quartiers populaires.
Sans parler de l’accompagnement de ce phénomène bien connu que l’on appelle la gentrification. Le maire PS de Clermont, Olivier Bianchi, connaîtrait, parait-il, sur le bout des ongles, le film du documentariste marseillais Nicolas Burlaud, « La fête est finie ». Alors, résonne encore dans les têtes le titre de l’artiste marseillaise Keny Arkana, « Marseille, capitale de la rupture ».
Un constat que partage Sam Khebizi, directeur de l’association artistique les « Têtes de l’art » à Marseille, à deux pas de la friche de la Belle de Mai : « Les capitales de la culture sont un outil d’attractivité du territoire et le danger est qu’une partie de ce territoire concentre tous les crédits. » L’erreur, dit-il, c’est que la structure de pilotage marseillais – sous la houlette, symbolique, du patron de la Chambre de commerce et d’industrie – a vite coupé court au regroupement des acteurs culturels fait en amont.
D’après celui qui, en marge du « off » et de « l’alter off », avait organisé le « out », la coopération sur des projets communs serait la clé d’une année capitale réussie pour que les petites structures en profitent également. Car à Marseille, ce sont, sans surprise, les « gros » qui, comme d’habitude, ont raflé la mise, fragilisant un peu plus les « petits ».
« Nous avons conscience des enjeux », assure Isabelle Laveste, adjointe à la politique culturelle de Clermont-Ferrand. Confiante, elle ne doute pas des atouts clermontois : « Marseille et Lille c’est fini. Aujourd’hui, c’est au tour des projets à taille humaine. » Pour elle, impossible de tomber dans les écueils marseillais. Vœu pieu, elle voudrait voir l’ensemble des acteurs culturels construire main dans la main l’année capitale. Mais déjà, les difficultés s’annoncent : sur 21 communes, « chacune veux son truc ».
Il faut alors « faire comprendre que c’est un évènement collectif, et que pour qu’il soit pérenne il faudra travailler ensemble ». Et les habitants ? « On veut travailler sur le partage, l’hospitalité et la fraternité. Travailler la culture pour moi, c’est travailler la fraternité à l’image des expositions "Migration" et "Hospitalité". » Piquant, quand on sait qu’à la frontière entre Clermont et Montferrand, alors que le 1er ministre vient de signer une convention avec la ville sur le principe du « logement d’abord », dorment sous des tentes des centaines de migrants. Sur la place du 1er mai…
De fait, ce n’est pas encore l’effervescence attendue. De l’aveu même de l’élue, de nombreux efforts sur la communication restent à faire pour que le public soit au rendez-vous. Les choses se mettent doucement en place sous l’impulsion du comité de pilotage, l’association « Effervescence ». Fabienne Aulagnier, directrice artistique de l’association, promet avoir tiré les enseignements du passé.
« MP 2013 », elle connaît. L’ancienne étudiante clermontoise était membre du comité de pilotage marseillais. Pour impliquer les acteurs, rien de mieux, d’après elle, que de les intégrer au projet dès le départ : « Le temps de préparation doit être un temps d’action pour éviter l’écueil marseillais et faire avec les habitants », nous confie-t-elle.
Par exemple, l’initiative « Tour de Tables », un collectif d’architectes a construit des tables dans les quartiers périphériques avant qu’une compagnie artistique locale, « les Guêpes Rouges », ne viennent s’y assoir pour animer des débats sur l’accès à la culture dans ces lieux souvent coupés du centre-ville. En ressortent les mêmes questionnements qu’à l’occasion des Etats Généraux de la culture de Clermont-Ferrand organisés en 2015 : comment décloisonner les publics et résoudre les problèmes de mobilités.
Lors du plateau radio éphémère organisée au cœur de Croix Neyrat, si la directrice de la maison de quartier voyait la capitale comme une « formidable ambition », un jeune rappelait qu’il ne mettait « jamais les pieds en centre-ville ». Tout en estimant que « Clermont-Ferrand a tous les atouts pour être capitale européenne. Ici, on croise des dizaines de nationalités… » Une réflexion sur les transports est en cours en lien avec la ville, assure Fabienne Aulagnier, avec la volonté d’irriguer le territoire clermontois mais aussi d’impliquer les autres villes de la métropole. Selon elle, « la Métropole a eu une grande volonté d’équipement pour le public extérieur au centre-ville. Reste à utiliser à plein ce potentiel qui doit concerner tout le monde ».
Aller à la rencontre des habitants où qu’ils soient est une chose. Mais reste à intégrer les acteurs culturels locaux. « Les choses se sont bien passés à Marseille au départ », rappelle le marseillais Sam Khebizi. Mais par manque de confiance et à cause d’un appel à projet complexe, les petites structures ont vite compris qu’elles allaient être écartées du projet et s’en sont désengagées. L’ex-marseillaise s’en souvient encore. « C’est tout un chantier qui s’annonce sur la question de l’émergence et de la structuration. » Elle ne cache pas la difficulté de la tâche et s’interroge sur comment faire pour « accompagner, former et donner confiance » aux structures de taille modeste.
Investir le monde culturel local tout en questionnant les pratiques existantes, inclure les habitants dans la préparation de l’événement et construire l’identité clermontoise de demain : le projet est de taille. Promouvoir un territoire par la culture, pourquoi pas mais à condition que ce ne soit pas qu’une simple opération de marketing urbain. En témoigne la récente campagne publicitaire de la municipalité pour casser l’image d’une ville « noire » où « il ne se passe jamais rien ». Et pas question de compter uniquement, pour attirer le touriste, sur le St-Nectaire, l’AOP Cantal et Vulcania…
A Clermont-Ferrand, comme à Marseille, se pose la même question : capitale européenne de la culture, pourquoi pas mais pour quoi faire ? Les campagnes de publicité « Cap vers la capitale européenne de la culture » voudraient donner une image neuve de la ville. Pas facile avec les affiches ternes, bleu cie,l qu’on croirait sorti d’une administration des années 70. Les politiques veulent impulser du dynamisme par la culture et sortir Clermont-Ferrand de son « image de vase clos », dixit la responsable d’Effervescences, une structure qui regroupe déjà une petite dizaine de salariés. Bonne nouvelle toutefois : la certitude, c’est qu’à Clermont, il n’y a aucun risque de voir sortir de terre un musée en bord de mer…
Pierre Frasiak, Antoine Legrand & Simon Viens (avec Sébastien Boistel, du Ravi)
Article réalisé dans le cadre du « marathon » de journalisme participatif organisé dans le cadre des Rencontres 2018 des médias libres à Clermont-Ferrand du 11 au 14 octobre. Et finalisé, pour la petite histoire, dans les locaux du journal local « très pareil » La Montagne…