Pour argent content
« À l’origine, on voulait mettre une pièce de monnaie dans la galette des Rois mais pour des raisons d’hygiène on l’a remplacée par une fève. Du coup, notre monnaie complémentaire a une vraie valeur symbolique », explique Claire Bossuet, membre de la Fève 83, monnaie alternative de l’aire toulonnaise qui devrait être mise en circulation dans quelques mois. Depuis trois ans, ils sont un collectif de citoyens issus des réseaux Colibri et Vallée du Gapeau en Transition à travailler sur le projet. « Au départ, "le Fric" a été créé pour faciliter les échanges. Mais aujourd’hui seulement 2 % de la monnaie réelle circule. 98 % de l’argent est virtuel, poursuit Claire Bossuet. Depuis la crise de 2008, les monnaies locales se redéveloppent car nous sommes tous noyés dans un système financier qui nous dépasse. »
Plus de 40 monnaies locales et complémentaires circulent en France et une trentaine sont en projet. En Paca, il en existe quatre et une dizaine à venir. La loi du 31 juillet 2014, relative à l’économie sociale et solidaire, leur donne une base légale. Et chaque monnaie répond à une charte éthique. Favoriser les circuits courts et écologiques, re-territorialiser la monnaie, créer du lien, insuffler une valeur de transition, financer des projets éthiques en déposant les euros échangés à la Nef, la coopérative de finances solidaires… L’intérêt c’est qu’une monnaie locale circule le plus possible et qu’elle ne soit pas une monnaie dormante. « C’est remettre l’économie au service de l’humain et de la vie, tout simplement », ajoute Claire Bossuet.
À Toulon les commerçants du centre-ville sont mitigés. « Adhérer pourquoi pas, mais il y a peu de choses que l’on pourrait acheter car nos fournisseurs ne sont pas tous locaux », note un restaurateur du centre-ville qui s’interroge sur ce qu’il en serait de la TVA, « ou lors d’un contrôle fiscal, qui est déjà très lourd à vivre en euros ». Le libraire se questionne sur l’intérêt du projet : « Peut-être le troc ou le don seraient-ils plus appropriés, mais ça existe déjà. C’est beaucoup d’énergie dépensée pour reconsidérer une autre forme de capitalisme et d’échanges marchands. Mais tant qu’on essaie de réinventer le monde, c’est positif ! » Le torréfacteur serait partant mais sous condition. « C’est vrai qu’en ce moment les Toulonnais dépensent leur argent à l’Avenue 83 et non dans les commerces de quartier, constate-t-il. L’idée me paraît bonne mais il faudrait qu’un syndicat de commerçants se mette d’accord au préalable. » L’apprentie boulangère indique, quant à elle, que sa patronne réutilise déjà « les tickets resto laissés par les clients pour payer le fast-food à ses enfants ». Si au moins ça circule, pas sûr que ce soit très légal…
Pourtant non loin de là, à La Londes-Les-Maures, depuis 2012, l’association des commerçants et artisans a mis en circulation la Cigalonde. 50 commerces sur 120 l’acceptent. « C’est le bijoutier qui sert de "banque". Les Londais achètent 50 euros une enveloppe de 50 Cigalondes, explique Patrick Zaragoza, vice-président de l’association. Et au bout de quatre enveloppes achetées on leur offre cinq Cigalondes. Les clients qui jouent le jeu le font pour faire vivre le commerce local. 2000 à 3000 Cigalondes sont en circulation tous les mois, les commerçants viennent les échanger contre des euros et évidemment font leur déclaration en euros. » La commune et la Chambre de commerce du Var soutiennent l’initiative. « On a voulu que ça reste une monnaie qui fidélise le client », note Patrick Zaragoza qui avoue que le côté « éthique » de la Charte est un peu passé à la trappe.
En Paca, la Roue fait figure de première de la classe. Elle a été mise en circulation début 2012, circule sur quatre départements (13 / 84 /04 /05) et 500 lieux l’acceptent. « On a une croyance assez ancrée selon laquelle le citoyen ne peut rien faire face au système financier qui nous détruit, or ce n’est pas vrai. Les monnaies locales le prouvent car c’est une réappropriation citoyenne des moyens d’échange, explique Anne Demichelis, bénévole à la Sève 84, association qui édite la Roue dans le Vaucluse. Une monnaie complémentaire qui circule sur un territoire peut avoir un impact économique phénoménal. » Même si La Roue dans le Vaucluse compte en moyenne 25 nouveaux adhérents par mois depuis septembre, Anne avoue tout de même qu’il est difficile de convaincre si ce n’est par le bouche-à-oreille.
Au nord d’Aix-en-Provence, le village de Venelle et son maire DVD Arnaud Mercier font figures de précurseurs en choisissant de rétribuer en Roues les conducteurs qui sur des courtes distances utilisent le site de covoiturage Covoitici mis en place par la commune. Un trajet équivaut à une Roue que ce dernier pourra dépenser chez les commerçants locaux, l’aide et l’accompagnement à ces nouvelles monnaies sont inscrits dans la Charte du développement durable du Pays d’Aix.
Plus un territoire a une identité forte, plus une monnaie locale complémentaire a des chances d’y survivre. C’est notamment le cas de Bayonne (64) où 600 000 Euskos sont en circulation et où il existe même désormais une version numérique. Avec à terme la possibilité, si le ministère ne s’y oppose pas, de payer une partie des indemnités du maire en monnaie locale. C’est déjà le cas pour le maire de Bristol, en Angleterre. Mais peu sûr que cette initiative éthique intéresse nos vertueux élus locaux !
Béka, Marianne, Frédérique, Moktar, Anora, Jacqueline, Moussa, Marie-Hélène.
Mis en forme par Samantha Rouchard
Enquête publiée dans le Ravi n°162, daté mai 2018