Pizzorno, roi des ordures
« Les petits arrangements suffisent ! Nous allons alerter la ministre de l’écologie et poursuivre le recours au niveau juridique. » Jean-Luc Longour, maire UDI du Cannet-des-Maures qui se bat depuis des années pour la fermeture de la décharge du Balançan située sur sa commune, est dépité. Un arrêté préfectoral est tombé pendant l’été, autorisant la prolongation du site pour six ans et plus si besoin. Ouverte depuis 1976, la décharge est arrivée à saturation. Elle accueillait déjà la plupart des déchets ménagers du Var, soit pas moins de 12 millions de tonnes d’ordures. Désormais, avec l’extension programmée, pourraient s’ajouter les boues d’épuration de toute la région Paca qui seraient ainsi déversées en pleine réserve naturelle de la Plaine des Maures.
En novembre 2011, un cabinet d’expertise procède à des prélèvements et analyse les écoulements. Il constate alors la présence « d’agents chimiques et métaux lourds, ruissellements des eaux non maîtrisés, pollutions des eaux souterraines et de surface, contamination des couches sédimentaires… ». Une plainte est déposée et le 19 avril 2012 le tribunal administratif de Toulon annule l’arrêté de 2009 qui jusqu’ici autorisait la société Sovatram à exploiter la décharge. Cette dernière fait appel et redépose dans la foulée, en octobre 2012, une nouvelle demande d’exploitation, celle-là même qui vient d’être validée par la préfecture.
Dans le Var, en vocabulaire « ordurier », derrière un nom de filiale comme ici Sovatram – ou plus bas SMA – on trouve toujours le même groupe : Pizzorno. Pardon, « Pizzorno Environnement » : mettre un peu de vert dans l’intitulé est toujours du plus bel effet et peut même vous valoir la Marianne d’or du développement durable (2011). Côté en bourse depuis 2005, le chiffre d’affaires 2013 du groupe a de quoi faire rêver plus d’un chiffonnier : 229,3 millions d’euros, en hausse de 8 % par rapport à 2012. En 40 ans, l’entreprise varoise a pris le monopole en matière de déchets dans tout le département, remportant appels d’offres et DSP (Délégation de Service Public) à la pelle, faisant même la nique aux plus grands comme Véolia ou Suez. « C’est pas sain… Un entrepreneur qui a tous les marchés publics dans un domaine aussi sensible que celui-là prend obligatoirement une dimension politique », note Robert Alfonsi (PS), conseiller régional et élu d’opposition à Toulon (1). Et comment…
Copains comme cochons
Gauche, droite, extrême droite : à 74 ans, Francis Pizzorno retourne sa veste rayée toujours du bon côté. Dans les années 70, c’est Edouard Soldani, surnommé « le vieux lion », alors sénateur-maire PS de Draguignan et président du Conseil général du Var, qui l’impose comme ramasseur des poubelles des communes environnantes. Puis, c’est avec François Léotard (UDF), ancien ministre et ancien maire de Fréjus qu’il s’acoquine. Ce dernier était encore administrateur du groupe jusqu’à cette année, pour la modique somme de 120 000 euros par an, les bons comptes font les bons amis… (2) Les maires de Fréjus se suivent et Pizzorno reste… En janvier dernier, on le retrouve au tribunal de Draguignan à soutenir Elie Brun (UMP), condamné à cinq ans d’inéligibilité pour prise illégale d’intérêt. En offrant la victoire à David Rachline (FN), Brun en aurait aussi profité, selon Elsa Di Méa, ex-tête de liste PS à Fréjus (information non démentie), pour faire les présentations entre le roi des ordures et le jeune édile frontiste… Et se faire de nouveaux amis par les temps qui courent et les enquêtes en cours, c’est toujours utile !
En juin, la Cour des comptes a publié une partie de son rapport sur le Smiddev (Syndicat Mixte du Développement Durable de l’Est-Var pour le Traitement et la Valorisation des Déchets Ménagers) dont fait partie la Communauté d’Agglomération Var Esterel Méditerranée (CAVEM), qui comprend entre autres Fréjus, St Raphaël et Roquebrune. Le rapport est accablant et montre que, de 2009 à 2011, le délégataire, Pizzorno a surfacturé au syndicat mixte le traitement des déchets : 55,96 euros la tonne au lieu de 21,07 euros, soit plus de 17 millions de « paiements irréguliers » ! Si, pour l’instant, la cour des comptes ne met en cause que les percepteurs du Smiddev (ceux sur qui d’ailleurs Pizzorno rejette la faute), la seconde partie du rapport publiée d’ici fin 2014 s‘intéressera quant à elle aux ordonnateurs, c’est-à-dire aux élus, de quoi remuer les bordilles…
Ça sent pas bon !
Sentant le vent tourner, les élus concernés ont chacun leur tactique. Jacques Mignon (UMP), ancien adjoint d’Elie Brun qui présidait le syndicat jusqu’à mars, n’hésite pas à balancer sur les agissements de Pizzorno : monopole, pression sur les élus… Georges Ginesta (UMP), maire de St Raphaël veut dissoudre le Smiddev pour reprendre la compétence déchet au sein de la Cavem. Luc Jousse est lui aussi toujours sur les bons coups ! Maire UMP de Roquebrune sur Argens, condamné pour détournement de fonds publics à cinq ans de retrait de ses droits civiques (suspensif puisqu’il a fait appel), il pointe du doigt la mauvaise gestion de Mignon. « A chaque fois que nous avons demandé à vérifier les comptes du Smiddev, le maire ne nous a rien fourni d’autre que l’exercice 2006-2007. Et aujourd’hui, on voit qu’il y a un manquement flagrant de la municipalité dans le contrôle de la DSP », note Josette Mimouni, élue d‘opposition (dvd) à Roquebrune. L’Association citoyenne de contribuables roquebrunois qu’elle a fondée estime que ce premier rapport de la CRC n’est que la partie émergée de l’iceberg…
Michel Tosan (PS), maire de Bagnols-en-Forêt, est le seul maire du Var avec Jean-Luc Longour à se battre frontalement contre le système Pizzorno, dénonçant le déversement de plus de 80 000 tonnes de mâchefers issus de l’incinérateur d’Antibes (06) sur la décharge des Lauriers, située sur sa commune et désormais fermée. Au printemps 2013, il a même réussi à faire condamner deux des filiales du groupe, la SMA à 750 000 euros pour le stockage sans autorisation de déchets inertes, et la Sovatram à 50 000 euros pour faux en écriture (Pizzorno s’est pourvu en cassation). Bagnols vient de quitter la Cavem pour l’intercommunalité du pays de Fayence, et a repris la compétence déchet en s’affranchissant du Smiddev, faisant du même coup un pied de nez – pour ne pas dire un doigt d’honneur – à ceux qui comptaient sur la réouverture des Lauriers pour renflouer les caisses.
Mais dans le Var, plus les casseroles ressemblent à des marmites, mieux on s’en sort ! Alors Pizzorno continue de rafler les DSP, même dans des secteurs où il est loin d’être à la pointe. C’est le cas de l’incinérateur de Toulon (18 ans pour un montant de 470 millions d’euros). Pour ça, il s’est allié à l’entreprise parisienne Idex, plus performante dans le domaine. Un des outsiders, une filiale de Suez, a déposé un recours auprès du Tribunal administratif de Toulon en dénonçant les conditions d’attribution de la DSP par le Sittomat (Syndicat mixte intercommunal regroupant 26 communes de l’aire toulonnaise). « Pizzorno arrose le RCT mais aussi de nombreuses associations locales comme le club de foot du Las dont le président est Jean-François Fogacci, directeur du Sittomat, alors quoi d’étonnant à ce qu’il obtienne la DSP pour l’incinérateur ?», ironise un président d’association locale.
Jean-Guy Di Giorgio, président du Sittomat vice-président du conseil général et adjoint du maire UMP de Toulon, Hubert Falco (grand ami de Pizzorno), ne voit pas lui non plus ce qu’on lui reproche : sur les conseils d’un bureau d’études, les élus ont choisi l’entrepreneur le plus compétitif et voilà tout ! Pendant une demi-heure, il tient à nous expliquer comment se déroule une commission de DSP : « […] Y’ a ce qu’on appelle une première enveloppe… Enfin je veux dire une enveloppe contenant des documents ! », trouve-t-il nécessaire de préciser en riant… Suez aurait depuis abandonné les poursuites. Mais, selon Mediapart (10/10/2013), une autre enquête serait ouverte par la JIRS (Juridiction interrégionale spécialisée) de Marseille pour favoritisme, suite à l’envoie d’un courrier anonyme accusant Pizzorno « de fluidifier » les relations avec certains acteurs locaux. Pas de quoi perturber Di Giorgio qui conclut sûr de lui : « Mon marché a été fait dans les règles de l’art ! » L’important c’est de savoir qui définit les règles (3)…
Samantha Rouchard
Article publié dans le Ravi n°121, daté septembre 2014