Patience et longueur de temps
A priori, un hôtel Formule 1 comme tant d’autres en périphérie urbaine. Celui-là, installé dans une zone industrielle à Gémenos (13), est particulier : ses 97 occupants sont uniquement des réfugiés. Ce centre d’accueil et d’hébergement répond au doux nom de Prahda (Programme d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile, voir encadré). Il en existe en Paca deux autres, à Vitrolles (13) et La Londe-les-Maures (83). Pour pouvoir le visiter, il aura fallu patienter plusieurs mois avant d’y être autorisé par la direction parisienne d’Adoma, une association d’insertion par le logement qui gère tous les Prahda de France suite à un appel d’offre lancé par l’Etat en 2016.
Le portail extérieur est ouvert. Une vingtaine de vélos trônent devant l’entrée. Quelques jeunes hommes discutent dehors, réunis autour d’une table de pique-nique en bois. Des chaussures sèchent sur les rebords de fenêtre tandis que la peinture de la façade de l’ancien hôtel s’écaille. La directrice du centre, Emilie Tapin, qui gère également le Prahda de Vitrolles, reçoit dans son bureau. L’ancienne travailleuse humanitaire au rire communicatif, est en poste depuis l’ouverture du centre en août 2017.
L’hôtel se répartit sur trois niveaux. Les réfugiés y sont hébergés dans des chambres minuscules (toutes refaites) avec télévision et lits superposés. Deux par chambre sauf pour les sept familles accueillies, qui peuvent y dormir à trois. « C’est mieux que la rue mais c’est quand même compliqué. Il y a beaucoup de monde explique Baldé, un Sénégalais de 28 ans arrivé ici il y a un an avec sa femme et père d’une fille de 9 mois. Il faut faire attention, c’est parfois dangereux pour elle. »
DEUX PAR CHAMBRE
Une cage d’escalier à l’odeur gênante mène au premier étage, où se trouvent les bureaux des trois travailleuses sociales, qui complètent avec un agent d’entretien l’équipe d’accueil. Le plus difficile à gérer est le nombre de dossiers à suivre : 37 par exemple pour l’une d’entre elles. Se trouve également à cet étage une rangée de douches individuelles et des toilettes. Les parties communes ont l’air de se dégrader, comme ce sol au carrelage éclaté ou une porte coupe-feu aux vitres explosées. Tout près du bureau de la directrice, un bénévole de la Croix-Rouge donne un cours d’alphabétisation à un jeune homme.
« Notre rôle est d’accompagner les demandeurs d’asile, de les accueillir, de leur rappeler leurs droits comme dans les CADA (centre d’accueil des demandeurs d’asile, Ndlr). L’accompagnement est aussi administratif, social et médical lorsque c’est nécessaire. » Les deux Prahda des Bouches-du-Rhône sont un peu particuliers : le département est un « pole régional Dublin » et les personnes accueillies ici sont toutes « dublinées » (1). Mais elles peuvent passer en procédure de demande d’asile normale si celle de Dublin n’a pas été réalisée dans les six mois.
Les Prahda, souvent proches des aéroports, sont critiqués par les associations d’aide aux réfugiés. Ils seraient des « lieux d’accompagnement au retour », comme l’explique Marie Lindemann, bénévole à la Cimade à Marseille et par ailleurs juriste en droit des étrangers. « Il y a des prahda avec aucun dubliné, d’autres avec 80 %, constate-t-elle. c’est vrai mais en 2017, 45 % des dublinés y ont été placés. Ils y sont assignés à résidence. Ces centres participent donc au contrôle. » A Pau, le Prahda abrite un local de police…
En octobre 2017, Jacques Toubon, le défenseur des droits, s’inquiétait du tri entre « bons migrants » et « mauvais migrants » dans les Prahda, dont « l’un des objectifs est de préparer le transfert des personnes sous procédure Dublin ». La fédération des acteurs de la solidarité estime, elle, que les dispositions de l’appel d’offres remettent en cause l’inconditionnalité de l’accueil et la déontologie du travail social. « Je peux comprendre les critiques, répond Emilie Tapin qui regrette le manque de places de mise à l’abri en règle générale. Mais c’est la loi Dublin qui est faite comme cela. Pas le dispositif. » Ici, la durée moyenne du séjour et de 225 jours. Les réfugiés sont majoritairement d’origine soudanaise et nigériane et la moyenne d’âge est de 25 ans.
GESTION DE L’ATTENTE
Tous les Prahda ne se valent pas. La situation est plus compliquée à Vitrolles, où 100 personnes sont logées. A Gémenos, une association de soutien, La Montgolfière, s’est lancée dès la création du centre. Elle compte une vingtaine de bénévoles qui ont la permission d’intégrer le centre. Le but : « les sortir du quotidien, assurer une vie sociale, culturelle, sortir le week-end, partager des moments grâce à la cuisine, randonner dans la Sainte-Baume… », explique Brigitte Baronetto, bénévole. En plus de la Croix-Rouge, les Restos du cœur viennent également en aide aux accueillis, qui disposent d’une allocation de 6,8 euros par jour et par personne. « Ça se passe plutôt bien entre eux, certains commencent à se connaître depuis longtemps, même s’il y a parfois quelques problèmes entre communautés, poursuit la militante. Ils se sentent bien ici, ils aimeraient bien rester à Gémenos. Le plus dur pour eux reste l’attente. »
Attendre… parfois des mois pour savoir si la France va accepter leur demande d’asile. Ou à quelle sauce ils vont être mangés. Ex dubliné, Abdul Wahad est ici depuis novembre 2017. Ce Soudanais de 30 ans aux faux airs de Mohamed Ali (la carrure en moins) a fui la guerre, est passé par la Libye, l’Italie, la Porte de la Chapelle avant d’être hébergé en famille d’accueil à Digne-les-Bains puis d’être redirigé à Gémenos. « C‘est mieux que dehors, on est bien entourés. Je ne m’imaginais pas vivre à l’hôtel ! », rigole-t-il. Il se verrait bien mécanicien, ici en France. Heureusement qu’ils peuvent jouer au foot le soir sur un terrain tout proche. Il va aussi régulièrement en ville à Aubagne. On est en plein ramadan, l’après-midi est tranquille, du linge sèche sur le parking de l’hôtel. Jusqu’à ce qu’une petite bagarre éclate entre deux jeunes « Vous êtes mal tombé, c’est assez rare », rassure Emilie Tapin.
D’autres attendent de savoir quel sera leur prochain point de chute. Adam, un autre soudanais ne parle que l’anglais. Tresses et grand sourire, il vient de recevoir un titre de séjour pour 10 ans et doit rester au Prahda en attendant de trouver une nouvelle solution d’hébergement. Il aimerait bien rester en France pour faire « n’importe quel travail ». « On est beaucoup ici, c’est dur, mais je me suis fait de très bons amis. Attendre, c’est vraiment le plus compliqué », souligne-t-il entre craintes et espérances. Patience et longueur de temps.
Clément Chassot
1. Selon le règlement « Dublin III », un seul État membre de l’Union européenne est responsable de l’examen d’une demande d’asile. Les réfugiés doivent donc faire obligatoirement leur demande dans le pays où ils sont arrivés. En général l’Italie, la Grèce ou l’Espagne.
Formule 1
Le diable n’y va pas pour s’habiller… Les Prahda (programme d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile) ont vu le jour en 2017 suite à un appel d’offre lancé par l’Etat. Un nouveau sigle dans la jungle des « dispositifs d’accueil pour personnes en demande d’asile » comme les CADA (Centre d’accueil pour demandeurs d’asile), les HUDA (Hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile) ou encore les CPH (Centre provisoire d’hébergement).
Ces Prahda ont été pensés au moment du démantèlement de la « jungle » de Calais et de l’évacuation des camps de réfugiés de la Porte de la Chapelle à Paris. Mais aussi pour permettre à l’État de réaliser des économies sur des nuits d’hôtel très chères. Des hôtels F1 de périphérie, tous gérés par l’association Adoma, acquis auprès du groupe Accor suite à un appel d’offre de l’Etat grâce à un montage financier de 100 000 millions d’euros sur 10 ans, apportés par la Caisse des dépôts, Aviva, la BNP… Il existe 36 Prahda en France (3 en Paca) pour 3760 places.
C. C.
Reportage publié dans le Ravi n°174, daté juin 2019