Palestine : Construire la paix
Qui a déjà foulé les pavés d’Hébron, qui a subi les contrôles incessants des 2 000 militaires en présence pour veiller sur 600 colons israéliens, qui a traversé Shuhada, cette rue fantôme interdite aux Palestiniens, qui a ressenti la tension qui règne dans cette ville de Cisjordanie occupée, peut comprendre aisément le combat d’Issa Amro. Cet homme de 36 ans est une figure de la résistance palestinienne non violente. En 2013, l’Union européenne le déclare Défenseur des droits humains.
Depuis 10 ans, à travers son ONG « Youth against settlements » (la jeunesse contre les colonies), il n’a de cesse de lutter pour la défense des droits des Palestiniens, bafoués au quotidien. Chaque année il organise une manifestation pour la réouverture de la rue Shuhada, grosse artère d’Hébron vidée de ses habitants et de ses commerces où, depuis dix-sept ans, seuls les colons israéliens ont le droit de circuler. Il tente aussi de mettre en place des jardins d’enfants, un cinéma en plein air, etc. Mais face à une armée qui démantèle toute initiative palestinienne, même pacifique, la tâche est ardue. Confronté à des armes réelles, Issa Amro a choisi la caméra : « On invite les familles, les enfants, les activistes, à filmer toutes les atteintes aux droits humains dont ils sont témoins. La vidéo permet de relater ce qui se passe vraiment. Elle nous protège aussi. »
Lorsque des colons ont attaqué sa maison, la vidéo lui a permis d’attester la véracité de ses dires auprès de la police. En dix ans de combat, il a été arrêté plusieurs fois, sans jamais être inculpé. Mais depuis juin dernier, l’armée israélienne a retenu 18 chefs d’accusation contre lui, dont la plupart pour des faits non reconnus par le droit international. Un procès hautement politique : « En Israël, l’extrême droite a pris le pouvoir, et ils ne veulent pas entendre parler des droits humains, explique-il. On essaie de m’intimider. En stoppant mes activités, on veut me faire taire. »
« Nous refusons d’être des ennemis »
Comme Issa Amro, les citoyens palestiniens, mais aussi israéliens, qui militent pacifiquement contre la colonisation et pour la paix, sont nombreux. Souvent, ils sont empêchés, souvent l’armée israélienne tente de les réduire au silence, mais ils poursuivent leur lutte. « On gardera espoir jusqu’à ce que l’on soit entendus et que nos droits soient respectés », précise Issa Amro. 590 000 colons juifs sont installés illégalement en Cisjordanie et à Jérusalem Est. Les tensions sont grandes, d’autant plus à Hébron où ils vivent au cœur même de la ville.
Pas moins de 48 heures après l’investiture de Trump, le premier ministre israélien Benyamin Natanyahu, a annoncé la construction de 2 500 nouveaux logements en territoire palestinien. A Ma’ale Adumim, à 7 kilomètres de Jérusalem Est, une zone cruciale pour la solution de deux Etats, 90 logements sont prévus. A cette annonce, une cinquantaine d’activistes palestiniens ont établi un village de protestation en disposant de grandes tentes sur le site. Comme toujours, la résistance s’organise, même si elle est de courte durée. Ici les tentes ont été démontées peu de temps après par l’armée israélienne et cette opération a été suivie par l’arrestation des protagonistes.
A Bethléem, la famille Nassar vit dans une ferme encerclée par quatre colonies. A l’entrée, on peut lire : « We refuse to be ennemies » (Nous refusons d’être des ennemis). Le message est clair. Ils accueillent tout au long de l’année des volontaires venus du monde entier, dont la présence est d’une aide précieuse mais surtout une protection contre les agressions. En 1991, Israël déclare cette région « terre d’Etat », et y installe des juifs orthodoxes. La famille Nassar refuse de partir. Elle possède tous les titres de propriété et mène un combat sans fin contre la machine judiciaire. En 2000, ils créent l’association Tent of Nations qui a pour idéal de « construire des ponts » entre les peuples. L’an dernier, la famille Nassar a fêté 100 ans de présence sur cette terre que l’on essaie sans cesse de leur soustraire.
Nakba et travail de mémoire
De l’autre côté du mur, des juifs israéliens, plutôt à gauche, militent de différentes manières contre la colonisation et n’hésitent pas à franchir le mur pour venir manifester aux côtés des palestiniens. Eitan Bronstein Aparicio, éducateur juif israélien d’origine argentine et fondateur de l’ONG Zochrot, ainsi qu’Eléonore Merza Bronstein, anthropologue-politique française d’origine algéro-syrienne, sont installés à Tel Aviv. Ils ont créé ensemble un laboratoire de recherche De-Colonizer (Décoloniser). Ce couple, dans la vie comme dans la lutte, a choisi d’axer son travail de recherche et surtout de mémoire sur la Nakba qui correspond à ce jour du 15 mai 1948, où des milices israéliennes ont chassé de chez eux plus de 750 000 palestiniens, sans espoir de retour encore aujourd’hui. Des familles dépossédées de tout et vouées à l’exil.
« Les Israéliens ne connaissent rien à la Nakba, ils savent que c’est un mot arabe, qui veut dire « catastrophe » mais la plupart du temps, ils ne savent pas ce que cela signifie réellement en termes de destructions ou de responsabilité d’Israël, explique Eitan Bronstein Aparicio. Moi-même, à l’école, je n’en avais jamais entendu parler. Aujourd’hui encore dans certains établissements si le mot est employé, il est défini péjorativement et faussement ». Ils ont réalisé une carte qui recense l’ensemble des localités palestiniennes, juives et syriennes détruites depuis les premières vagues de migration sioniste (fin du 19ème siècle) à nos jours, montrant la persistance du projet colonialiste. « Nous produisons du matériel et organisons des évènements pour défier la nature colonialiste du régime israélien », souligne Eitan Bronstein Aparicio. Le but est « de penser un autre vivre-ensemble où l’égalité ne serait pas un vain mot ». Un travail qu’ils ont présenté en février dernier à la Librairie Transit à Marseille.
« 60 à 70 % des Israéliens veulent des accords de paix ! », explique Mari-Lyne Smadja cofondatrice de Women Wage Peace (Les femmes oeuvrent pour la paix), à l’origine de la marche des femmes pour la paix. En octobre dernier, elle a réuni 30 000 participantes, juives et arabes israéliennes, croyantes et laïques, de tous bords politiques confondus et issues de la société civile. « C’est le premier pas vers un lobby des femmes pour la paix. Et tant qu’un accord n’aura pas été signé nous ne laisserons pas nos politiques quitter la table des négociations », assure Mari-Lyne Smadja. Docteur ès-Sciences de l’Education, franco-israélienne originaire de Marseille, elle ne parle pas de colonisation, mais « d’implantation ». Et botte en touche lorsque nous lui demandons si son mouvement est contre : « une chose est sûre pour qu’il y ait la paix, le gouvernement israélien devra faire des concessions. » Du côté des féministes de Coalition of Women for Peace (Coalition des femmes pour la paix) à l’origine de l’ONG Who Profits qui liste les entreprises à qui profite la colonisation, certaines auraient déjà quitté WWP, en désaccord sur le boycott. Avec autant de femmes de sensibilités différentes autour de la table, il sera sûrement difficile de trouver un juste accord de paix.
« On est dans une période de très grand durcissement qui dérive vers une parole raciste très décomplexée, regrette Pierre Stambul. Mais il est impossible de rayer 6 millions de Palestiniens de la carte. Alors le gouvernement s’est lancé dans une légalisation de l’apartheid. De fait, de nombreuses personnes qui militent pacifiquement contre, vont être poursuivies, c’est dans la logique des choses. » Et le représentant de l’Union juive française pour la paix à Marseille de conclure : « Mais de nouvelles forces vont aussi s’amplifier pour réclamer les droits des Palestiniens. »
Samantha Rouchard
Cette enquête a été publiée dans le Ravi n°148, daté de février 2017. Cet article s’inscrit dans la rubrique « La grande bleue » consacrée à nos voisins méditerranéens. En partenariat avec Ritimo.