Tu ne tueras plus
Dans la nuit du 13 janvier, Céline, 48 ans, mère d’un adolescent de 15 ans, est tuée de deux balles de fusil de chasse à Cannes (06). Le 16 janvier, Nadine, 49 ans, est tuée par balles à Monteux (84). Le 5 avril, Céline, 33 ans, policière municipale, est abattue sur son lieu de travail à Avignon (84). Dans la nuit du 7 avril, Dalila, 50 ans, maman d’une fille de 13 ans, est tuée par arme à feu à Vidauban (83). Le 4 août, Chloé, 29 ans, est tuée de trois balles dans l’abdomen, elle est enceinte de huit mois et mère d’un petit garçon de 7 ans. Le 31 août, Salomé, 21 ans, est battue à mort et son corps est retrouvé sur un parking, caché sous un tas de détritus à Cagnes-sur-Mer (06). Le 14 novembre, Marinette, 85 ans, est abattue d’un coup de carabine 22 long rifle à Allauch (13). En Paca comme ailleurs, on égrène les femmes qui meurent sous les coups de leur compagnon ou de leur ex. Depuis le début de l’année, les associations dénombrent 138 féminicides au niveau national, 117 selon l’AFP. Et l’année n’est pas finie…
+ 20 % de violences conjugales
L’an dernier le ministère de l’Intérieur comptabilisait 121 femmes tuées par leur conjoint dont 22 homicides conjugaux en Paca. « Il nous faut comptabiliser clairement, pour l’instant ce n’est pas le cas, on ne distingue pas forcément les meurtres intra-familiaux des féminicides par exemple », explique Julia Hugues, déléguée départementale aux droits des femmes. Les Bouches-du-Rhône est le deuxième département en France en matière de violences conjugales : « Les chiffres sont en constante augmentation depuis trois ans. En 2018, 5000 faits ont été recensés, c’est-à-dire des situations où la police est intervenue. Et nous observons une tendance de + 19,35 % sur les 10 premiers mois de 2019. Nous y voyons un effet de la parole libérée mais aussi sans doute une augmentation des faits », explique la préfète à l’égalité des chances, Marie Aubert.
Les gardes à vue pour qualification de violences conjugales ont augmenté de 13 % sur Marseille depuis le début de l’année, et sur Aix-en-Provence, entre juillet et septembre elles sont passées de 16 % à 22 %, avec une moyenne de trois comparutions immédiates par jour concernant des violences conjugales. « Au Tribunal de Tarascon, nous traitons environ 7 à 8 affaires de violences conjugales par semaine. Avec une explosion depuis 2019 », indique Patrick Desjardins, procureur du TGI. Il se veut tout de même rassurant : « Mais les réponses sont automatiques et les poursuites sont beaucoup plus fréquentes qu’auparavant. »
Dans les Bouches-du-Rhône, les violences conjugales représentent 72 % des contrôles judiciaires. « Pourtant on le voit sur le terrain, ça reste encore compliqué de porter plainte dans certains commissariats qui proposent le plus souvent de déposer une main courante », souligne Mary, référente Paca de l’association Putain de guerrières dont toutes les référentes sont des femmes qui ont subi des violences conjugales physiques ou psychologiques. Elle explique aussi le désarroi qui suit le dépôt de plainte qui n’est en rien une protection immédiate. Ainsi que les violences institutionnelles qui suivent.
Un grenelle critiqué
Symboliquement, le gouvernement a choisi le 25 novembre, journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes pour clôturer son grenelle sur les violences conjugales amorcé en septembre et qui devrait donner lieu à une loi en janvier. Cécile Muschotti, députée LREM du Var et Alexandra Louis, députée LREM des Bouches-du-Rhône, ont planché sur le sujet pour la région Sud. 30 mesures ont été annoncées, censées endiguer le fléau dont certaines font débat comme la levée du secret médical pour les médecins en cas de danger immédiat pour la victime.
Les associations féministes dénoncent un recyclage de mesures déjà existantes mais non appliquées comme la formation des enseignants sur la question des violences sexistes inscrite dans la loi depuis 2010, l’interdiction pour le juge de proposer une médiation entre un conjoint violent et sa victime, ou encore la grille d’évaluation mise à disposition des commissariats. Le budget est lui aussi contesté puisque sur les 1,116 milliards d’euros consacrés à l’égalité entre les femmes et les hommes en 2020, seulement 360 000 euros seront dévolus aux violences conjugales.
En Dracénie, l’association le CAP n’a pas attendu le Grenelle pour mettre en place une plateforme d’accueil pour les personnes victimes de violences conjugales et installer des permanences au sein des commissariats de Draguignan et de Fréjus. Par contre, Louisette Maret, directrice de le CAP, s’inquiète de voir disparaître les subventions au profit d’appels à projet qui ne permettent pas aux associations de poursuivre leur travail de façon pérenne. « Les partenaires ne savent plus à qui s’adresser. Certaines associations présentes depuis des années sur le terrain disparaissent. Ça ne permet pas d’avancer. C’est dommageable », explique-t-elle.
Inquiétude aussi sur le nombre d’hébergements supplémentaires qui seront attribués à la région sur les 1000 prévus au niveau national, en plus des 5000 actuels. SOS Femmes 13 qui intervient dans les Bouches-du-Rhône s’inquiète aussi de voir surgir des appels d’offre au rabais qui permettront uniquement une mise à l’abri sans l’accompagnement qui va avec. « On ne peut pas demander de faire toujours plus à moyens constants », souligne Valérie Secco, directrice de l’association. Et de conclure : « Ce dont on peut se réjouir c’est qu’un mouvement de prise de conscience commence à pénétrer la sphère privée. Après, l’argent qu’un gouvernement souhaite dédier à la cause est toujours une question de volonté politique… »