« On se caille là ! »
En janvier, le Ravi a « testé » le conseil communautaire de la Seyne-sur-Mer (83) dont nous publions ci-dessous le résultat. Dans notre numéro de mars, actuellement chez les marchands de journaux en Paca, notre « contrôle technique de la démocratie » est consacré au conseil municipal de Martigues (13)…
13H50
« Y’a pas le chauffage ici », note une femme dans le public. Les élus de tous bords arrivent au compte-gouttes. Tout le monde se salue. La palme de la plus belle accolade revient à deux adjoints PCF, Jean-Jacques Taurines, délégué « littératures et musiques » (Oui, oui c’est bien une délégation !) malaxant généreusement le dos de Graziella Gaujac, déléguée à la restauration scolaire. Marc Vuillemot, premier magistrat à la moustache fringante, pose sa veste sur le fauteuil central. L’élu d’opposition Marcel Barbero (UMP-ancien PS) fait tomber sa doudoune bleu métallisé et laisse apparaître un pull fuchsia du plus bel effet.
13H58
A 83 ans, l’ancien maire UMP, Arthur Paecht fait son entrée doucement mais sûrement. La majorité vient le saluer cordialement.
14H04
Le public s’impatiente : « Faudrait leur brancher le courant sinon ils ne vont jamais commencer ! »
14h10
Florence Cyrulnik, adjointe au patrimoine et à la culture, mais aussi « femme de », fait son entrée en toute discrétion : en retard, chapeau et lunettes de soleil en plein hiver. « Elle est venue incognito ! », ironise-t-on dans le public.
14h12
Le maire ouvre la séance. Les micros fonctionnent aussi bien que le chauffage : « On n’entend rien ! », hurle l’opposition. Marc Vuillemot propose une minute de silence en la mémoire de l’ancien maire UDF-PR, Charles Scaglia, décédé suite à un arrêt cardiaque, dont le premier mandat avait vu la fermeture des chantiers navals en 1989. « Je comprendrais que certains ne s’y associent pas », précise-t-il. Christian Bianchi, adjoint de quartier, trench-coat et gomina, se dirige vers la sortie d’un pas déterminé, d’autres PCF le suivent.
14h17
Le maire fait l’appel. « Y’en a qui viennent plus, pourtant ils encaissent ! », lance une voix dans le public.
14H25
Fathi Bousbih (UMP) demande la parole : « Je rentre de Tunisie où j’ai eu la chance de rencontrer un peuple qui se bat pour obtenir un espace démocratique. Et je voulais juste vous dire le plaisir que j’ai à savourer modestement cet espace-là pour eux, et j’espère qu’ils y arriveront un jour. » De timides applaudissements se font entendre du côté de la majorité. « Je crois que nous pouvons partager ce vœu », rajoute le maire.
14H30
Marc Vuillemot signale un bug informatique qui permet aux élus de prendre la parole sans que ce dernier la leur donne. « C’est la vraie démocratie », plaisante-t-il.
14H33
Michel Tournan, adjoint à « l’identité provençale et occitane », non content d’arriver en retard, papote. Il passera tout le conseil à se balader.
14H35
Barbero pousse un coup de gueule : « On se caille là ! ». « Certains ont l’air de dire que je suis rétif à engager les dépenses pour le chauffage avant le vote du budget ! », ironise le maire.
14H42
Florence Cyrulnik prend la parole sur le budget prévisionnel de la rénovation de l’habitat. « Je ne suis pas prête, je cherche la pochette », s’excuse-t-elle la tête dans les papiers. Et le maire de la déstresser : « Prenez votre temps Florence, prenez votre temps. » Dans le public un couple s’entraîne à prononcer son nom : « Cyrnulik, Cynrulik… ». Raphaëlle Leguen, première adjointe vote et s’en va.
15H00
Florence Cyrulnik poursuit sur le partenariat avec le Théâtre Europe, qui a fait de la Seyne le douzième pôle cirque en France. Barbero lance une pique : « J’aurais cru que madame Sampéré et monsieur Pentagrossa [ndlr : élus PCF] auraient rappelé que c’est grâce à Maurice Paul [ndlr : ancien maire PCF de 1995 à 2001] que nous avons ce pôle cirque. » Et de rajouter en plaisantant « vous voyez que je suis un garçon fidèle et tolérant !». Mais Marc Vuillemot de lui rappeler son passé de gauche avec humour : « c’est la moindre des choses vous étiez à une époque [ndlr : en 1989] deuxième sur sa liste ! ». La salle explose de rire.
15H06
« J’étais hier soir auprès d’Aurélie Filipetti… enfin je veux dire dans son ministère ! », précise le maire. Le premier magistrat aurait évoqué entre autre le Théâtre Liberté en attente de son label Scène nationale. Dans le public on compare l’exil de Depardieu avec celui éventuel de Charles Berling : « le premier le dit plus ouvertement, mais tout le monde a compris ! »
15H25
Le débat porte sur la création d’un poste de puéricultrice non titulaire. « La rigueur pour les uns, la non rigueur pour les autres », note Barbero. C’est au tour du logiciel de votes de « bugger »… « J’ai voté oui pourtant ! », hurle Barbero. La salle est hilare.
15H33
Délibération sur le marché de fournitures pour les bâtiments communaux. « On va vite la voter comme ça on pourra faire fonctionner la clim ! », s’amuse Marc Vuillemot.
15H42
Sujet qui passionne les foules : la dépigeonnisation ! L’adjoint « bouquin et pipot» signale de nombreuses fientes de pigeons à l’entrée de l’école des beaux-arts. Christine Sampéré (PCF), adjointe à l’enseignement, qui s’était vue retirer sa délégation par le maire pour s’être abstenue lors du vote du budget en 2011, s’interroge sur la dangerosité des produits utilisés pour éliminer les volatiles. Le public propose soit de les envoyer en Russie, soit de les bouffer ! Nadjat Benzohra (UMP) désillusionne le débat : « Ce qui se passe c’est qu’on les capture puis on les relâche dans les autres villes pour les désorienter, et les autres villes font pareil ! ».
15H54
Alors qu’on parle d’urbanisme, Martial Leroy, adjoint de quartier s’excuse : « J’ai oublié de voter mais j’ai voté oui pour les pigeons. » Et le maire de le taquiner : « Comme vous êtes en charge du centre-ville, c’est mieux ! » [rires]
16H10
Barbero, au nom de la minorité, propose une motion de soutien au gouvernement pour son intervention militaire au Mali. Plusieurs élus communistes s’y opposent : Philippe Mignoni, 2ème adjoint, préfère attendre un débat au Parlement ; Christine Sampéré estime que le conseil municipal n’a pas été informé de cette motion dans les temps règlementaires.
16H40
Mignoni s’enflamme et évoque le Qatar, puis Poutine qu’il prononce « Pouting », ce qui fait marrer Cyrulnik.
16H50
Par respect du règlement, le maire choisit de ne pas faire voter la motion mais de convoquer dans la semaine les représentants des différents groupes.
17H00
« Vous imaginez déjà les titres dans la presse : « Le conseil municipal de la Seyne refuse d’accorder son soutien au gouvernement français !», fait remarquer Arthur Paecht. Fathi Bousbih me lance un regard. « Oui j’y ai réfléchi, c’est pour ça que j’ai formulé cette proposition », précise le maire.
17H03
Brouhaha dans la salle. « Je voudrais pouvoir conclure ! », hurle le maire pour se faire entendre. Le débat se termine sous les applaudissements et les rires.
Samantha Rouchard