« On ne trouve rien du tout »
17h54 Trois anciens – deux femmes qui papotent et un homme plongé dans La Provence – assis sur des chaises de jardin en plastique vert prennent l’air devant une maison de la petite rue qui monte vers la mairie, une bâtisse du 19ème siècle accolée à l’église Saint-Denis (6 euros la visite). On n’est pas loin des « Trois vieux papis » de Richard Gotainer…
17h55 Parquet et fresque paysanne au mur, la salle des mariages accueille des élus pour la plupart bronzés. Embrassades, rires, etc., les lustres illuminent ces joyeuses retrouvailles.
17h56 La pièce est configurée comme pour un jour de noces : sur deux rangs, les chaises (en tissu) font face au bureau du maire. Sur chacune d’elle est disposé l’ordre du jour, dans une pochette nominative en plastique.
17h57 Entrée de Bernard Reynès, la cinquantaine sportive. Chemise blanche ouverte, crinière de la même couleur, lunettes rectangulaires sur un visage largement hâlé mais fermé, le député (depuis 2002)-maire (depuis 2007) UMP, tendance Droite populaire, de la petite ville de la « Vendée provençale » (1) impose le silence avant même d’avoir prononcé un mot et de s’être installé.
17h58 Ses deux premiers adjoints – Marcel Martel, visage rond et cheveux rares, et Marie-Jeanne Tron, une quinqua aux cheveux courts – s’installent respectivement à sa gauche et à sa droite. Bernard Reynès enlève ses lunettes et dans un seul souffle salue son conseil, compte les procurations et annonce « deux délibérations pour ce conseil municipal extraordinaire ». Visiblement, le tout nouveau secrétaire général adjoint de l’UMP 13 en charge du « hors Marseille » ne souhaite pas s’éterniser.
17h59 Alors que Marcel Martel attaque la lecture de la première délibération (cession de l’ancien commissariat de police à la banque Chaix pour 390 000 euros), une jeune et jolie blonde entre discrètement, carnet de note et portable à la main. Est-ce une employée de la mairie, une journaliste de La Provence ? D’un sourire timide, elle interroge : doit-elle s’installer dans le fond de la salle ou à la table du maire ? Marie-Jeanne Tron lui fait signe de la rejoindre.
18h00 Avant de laisser la parole à « M. Nicolas », leader de l’opposition DVD, Bernard Reynès « précise » : « Nous avons acheté ce bâtiment 130 000 euros en 2006 et France domaine a fait une estimation à 350 000 euros. » En résumé : c’est une très bonne opération financière.
18h00 suite Tee-shirt gris, la quarantaine légèrement grisonnante, le coude posé sur le dossier de sa chaise (en tissu), Frédéric Nicolas attaque d’une voix sûre : « Nous pensons que cette cession n’est pas judicieuse, car le bâtiment se situe en entrée de ville. On pourrait y installer l’office du tourisme. » Et d’annoncer : « Nous nous opposons à cette vente. »
18h01 « Je comprends, c’est une question que l’on s’est posée », concède Bernard Reynès en jouant avec ses lunettes. « On aurait aimé trouver une solution mais on ne trouve rien du tout, poursuit, pédagogue le monsieur « défense des petits commerçants et des centres-villes » de l’Assemblée nationale. Tous ceux qui sont intéressés sont freinés par deux choses : l’intérieur est compliqué, en très mauvais état, et il n’y a pas assez de place pour une terrasse. » Cette fois, sa main gauche mouline. Sa majorité boit ses paroles dans un silence de cathédrale.
18h02 Précisions de Marcel Martel : « Il y a urgence parce que la banque Chaix veut commencer les travaux le plus rapidement possible. D’ailleurs, elle va rapatrier un de ses services d’Avignon, ce qui va créer 3 emplois. » Plutôt transférer trois emplois de la cité des papes…
18h03 Au tour de Christophe Thévenon, leader de l’opposition de gauche (tendance PS) avachi sur sa chaise (en tissu), d’intervenir. « On a les mêmes remarques : on considère que c’est du gâchis et que c’est trop rapide, on déplace seulement une banque. Qu’allez-vous faire de son ancien local ? Du locatif comme vous venez de le dire ? », critique le jeune secrétaire de la section de Châteaurenard, visage rond et cheveux courts. Menton dans la paume de sa main droite, coude sur la table, Bernard Reynès écoute d’une oreille.
18h04 Le député-maire : « Je vais vous faire la même réponse, revenons à la réalité du bâtiment », etc. Christophe Thévenon le coupe, hostile : « C’est le problème de la mairie. On pourrait démolir ou y reloger certains services qui sont à l’étroit. » Et de conclure par une pique sans originalité : « C’est votre choix politique ! »
18h06 Frédéric Nicolas acquiesce : « C’est surtout votre stratégie et l’emplacement géographique qui nous posent problème. » Marcel Martel tente d’intervenir, mais Bernard Reynès, qui écoute désormais une main sur la bouche et ses lunettes sur le nez, le stoppe dans son élan d’un « chut » que son premier adjoint ne conteste pas.
18h07 « Il y a d’autres interventions ? », interroge le député-maire en toisant sa majorité. Personne ne moufte. Vote. Sans surprise, l’opposition s’oppose.
18h08 Délibération 2, « cession de l’immeuble […] au PACT des Bouches-du-Rhône », une association loi 1901 de lutte contre les mauvaises conditions d’habitat et d’insertion sociale. « La commune n’ayant pas vocation de bailleur, elle entend se séparer de ce bien qui est une charge fiscale et d’entretien », explique le premier adjoint. Là aussi, l’opération est financièrement intéressante : La commune l’a acheté 130 000 euros en 2006, France Domaine estime aujourd’hui le bien à 127 000 euros, Propagande et action contre les taudis en propose 170 000 euros. Et là encore, des emplois (sept) vont être transférés sur Châteaurenard.
18h09 « Pourquoi l’urgence ? », bougonne Christophe Thévenon. « Ils veulent commencer les travaux rapidement », rabâche Marcel Martel. A moins que cette séance extraordinaire serve surtout au renflouement en « urgence » des caisses de la ville…
18h10 Unanimité. Bernard Reynès lève la séance comme il l’avait ouverte. Un simple « merci » lui suffit. Dans la foulée et tout sourire, le secrétaire général adjoint de l’UMP 13 accepte de répondre à quelques questions. Direction son bureau. Devant un pastis « léger », la discussion tourne autour de la rentrée politique en général et de l’élection du nouveau secrétaire général de l’UMP en particulier. Ce dimanche, Jean-François Copé, actuel patron du parti créé par Jacques Chirac, doit annoncer à Châteaurenard sa candidature devant 1500 à 2000 militants. Bernard Reynès, qui le soutient, comme une grande partie des caciques du « 13 », essaie son discours, en s’écoutant parfois, le regard tourné vers l’extérieur. Il est question des difficultés de la nouvelle majorité, de retour sur le terrain et d’un « triptyque » à défendre pour reconquérir l’électorat populaire tenté par le FN : « immigration, insécurité, identité ». A croire que les leçons des dernières présidentielles et législatives n’ont pas encore été tirées…
Jean-François Poupelin
(1) Dans l’ouest des Bouches-du-Rhône, survit un noyau d’irréductibles royalistes qui commémorent à Rognonas, depuis 2009, la mort de Louis XVI par une messe en latin chaque 21 janvier (le Ravi n°92).