« On est un peu perturbé… »
09:36
Le grand Charles-Ange Ginésy fait son entrée en costard-cravate cintré bleu roi, ce 12 décembre. Petites bajoues, gros sourcils et mèche de premier communiant, il marche dans les pas de son père Charles : ancien maire de la station de ski de Péone et ancien parlementaire comme lui, l’hôtelier est depuis un an le patron du Département, en remplacement du député LR de Nice Eric Ciotti, rattrapé par le non cumul des mandats. Une collectivité que Charles a présidée de 1990 à 2003.
09:52
En deux minutes d’intervention sur le débat d’orientation budgétaire (DOB), le gros morceau de la matinée, Ginésy a déjà cité autant de fois son très droitier prédécesseur. « Grâce à une gestion rigoureuse, vertueuse, engagée il y a dix ans par Eric Ciotti, nous mettons en œuvre ce que tous les citoyens français attendent de leurs élus : la baisse de leurs impôts », fayotte par exemple l’ancien maire de Péone. Le député de Nice a surtout marqué ses mandats par la création d’une des premières « brigades de lutte contre la fraude au RSA » ou en comparant les militants de La Roya à des passeurs…
10:05
Après avoir égrené en moulinant des mains les grandes lignes du budget 2019, bien évidemment « fidèle au programme d’Eric Ciotti » – cadeaux aux personnels de la collectivité, « Green deal », « maisons de retraite hors les murs » -, Ginésy prend un air grave. Il enchaîne avec « la question institutionnelle qui agite l’actualité » : l’intégration possible d’une partie du département dans la métropole niçoise, évoquée cet été par Emmanuel Macron avec Christian Estrosi, le maire LR de Nice et meilleur ennemi de Ciotti, et quatre autres présidents de métropoles. Le président du CD annonce la présentation en fin de séance d’une motion s’y opposant : « Le Département est le garant de l’équilibre territorial et de la sécurité sociale des plus fragiles. » L’Aide sociale à l’enfance et le RSA, deux des principales compétences des départements, sont pourtant les grands absents de sa présentation…
10:08
Ginésy conclut sous les applaudissements. Marie-Louise Gourdon, élue EELV de Grasse, cheveux courts et veste orange, attaque sur « le cadeau de 15 millions d’euros » de la réduction de la taxe foncière : « Il y a peut-être une erreur d’appréciation. Les 190 000 résidences secondaires du département vont bénéficier de la solidarité de la collectivité, mais la moitié de ses habitants, ceux qui ne paient pas la taxe foncière, vont être privés de cet argent. »
10:26
Au tour du communiste Francis Tujague, élu de Contes, veste grise sur chemise rose. Eric Ciotti en profite pour se plonger dans ses parapheurs, Ginésy papote avec son DGS à la cravate improbable.
10:43
Le « fils de » passe la parole à Joseph Segura, son colistier. Le maire de Saint-Laurent-du-Var et son brushing sortent immédiatement la sulfateuse. En pleine guerre entre Ciotti et Estrosi pour la fédération des LR 06, dont l’élection a lieu le lendemain (1), et les municipales de 2020, il vient de créer un groupe dissident fidèle au maire de Nice avec 16 autres conseillers départementaux, « Alpes-Maritimes Ensemble ». Ce fonctionnaire de police vide son chargeur d’un trait : Ginésy, un « président virtuel », les bisbilles entre le CD et l’Opéra de Nice, ou encore la saisine du parquet de Nice par Renaud Muselier… Cet été, le patron LR de la Région, installé par Estrosi, a dénoncé de possibles irrégularités dans la gestion des fonds régionaux et européens par le Sictiam, un satellite du CD 06 présidé par Ginésy (Le Canard Enchaîné, 26/09).
10:57
Comme le président du Département avec Ciotti, Ségura prend grand soin de faire l’apologie de son champion, dont il égrène les bienfaits. L’assemblée somnole.
11:03
Ségura achève son intervention. En réponse, Charles-Ange ressort la brosse à reluire : « Je me félicite d’avoir à mes côtés un homme avisé, le président de la commission des finances. » Eric Ciotti himself…
11:14
Les seconds couteaux des deux camps s’écharpent sur la métropole, se lancent des vacheries, et dans le même temps multiplient les gentillesses pour leurs champions. Primaire à plus d’un sens…
11:42
Inquiétude de Joseph Tujague : « On est un peu perturbé, car on ne sait plus de quel débat il s’agit. On parle de la motion sur la métropole ? » « On l’abordera après l’ordre du jour », rassure Ginésy. Qui enchaîne : « Je veux remercier ceux qui me confortent dans mon poste de président réel, ça fait plaisir. Nous allons passer à l’ordre du jour… sauf si le président Eric Ciotti… » L’intéressé ne se fait pas prier.
11:45
Avec sa voix nasillarde et sa finesse habituelle, le député de Nice regrette que « l’assemblée soit prise en otage », puis tacle méchamment Ségura : « Je me rappelle d’une inauguration à Saint-Laurent-du-Var qui m’avait valu des flatteries que j’en ai presque rougi. » Et de tancer : « Sans le soutien de leur famille politique, peu d’élus le seraient ici ! »
12:05
Ciotti bifurque vers la politique nationale : « Notre pays est en train de décrocher. Dans quelques années, nous aurons un choix funeste entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Ici, nous avons un devoir de responsabilité. » Et Eric Ciotti ?
12:13
Ciotti achève son intervention sous les applaudissements. Ginésy minaude encore : « Je me réjouis tous les jours de pouvoir travailler avec monsieur le président de la commission des finances. » Jean-Raymond Vinciguerra, le binôme PS de Marie-Louise Gourdon, bougonne : « On peut considérer que le DOB (Débat d’orientation budgétaire, ndlr) a eu lieu ? » Non, Ciotti repart pour un tour.
12:24
La deuxième délibération de la journée sur les modifications budgétaires 2018 est adoptée à l’unanimité. Jean-Raymond Vinciguerra bougonne encore : « Vu le résultat de ce vote, on se demande à quoi a servi le débat précédent qu’on a subi… »
12:36
La 6e délibération atteste que le coût d’Iter, le réacteur expérimental construit à Cadarache (13), continue d’exploser : le CD remet au pot de 500 000 euros. La douloureuse frôle désormais les 20 milliards d’euros, quatre fois l’estimation initiale.
12:51
Ciotti et Joseph quittent l’hémicycle de concert.
12:56
Retour en un seul morceau du maire de Saint-Laurent pendant que Ginésy attaque une « motion relative à Escota ». La filiale autoroutière du groupe Vinci est accusée par la droite locale de bloquer des projets d’aménagements autoroutiers financés par le Département tout en gavant ses actionnaires. Francis Tujague rigole : « Je salue votre sagesse. Vous vous rendez enfin compte que les privatisations ne sont bénéfiques qu’à eux ! »
13:30
Motion métropole. Charles-Ange propose de se joindre aux Départements de Gironde, Loire-Atlantique, Haute-Garonne et du Nord qui demandent au gouvernement de ne pas leur imposer la fusion entre leurs collectivités et les métropoles. Ségura, Tujague, Gourdon, Vinciguerra remontent au front.
13:54
Le « président virtuel » fayotte encore : « On va terminer par une dernière intervention d’Eric Ciotti, qui ne s’est pas exprimé sur le sujet. » Une touchante attention qui laisse le mot de la fin au « président réel ».
14:04
Ginésy suspend la séance le temps d’un casse-croûte. Et le journaliste du Ravi file lui aussi… Après notre départ, Ségura propose une motion sur la création d’un comité d’éthique au sein du Conseil départemental. Venant d’un estrosiste, l’idée est savoureuse : le maire de Nice s’est encore fait épingler par Mediapart (30/09) pour des frais d’hôtel et de bouche salés payés par le Conseil régional. Une collectivité dont il n’est plus président depuis 18 mois…
Jean-François Poupelin
1. Eric Ciotti a été élu président des LR 06 à 88 % et ses proches ont décroché toutes les circonscriptions. L’élection fait l’objet d’un recours.
Fiche technique
Département des Alpes-Maritimes
1,08 millions d’habitants
29,7 % de plus de 60 ans
24,7 % de résidences secondaires
15,8 % de pauvreté
8,8 % de logements sociaux
44,62 % pour Marine Le Pen au second tour de la présidentielle
Le président
Charles-Ange Ginésy depuis le 15 septembre 2017, en remplacement du député LR de Nice Eric Ciotti, rattrapé par la loi sur le non cumul des mandats. Ancien maire de Péone et député de 2005 à 2017. Chef d’entreprise. 62 ans.
La majorité
33 élus « ciottistes » de la liste Union de la droite (ex-UMP/UDI).
L’opposition
17 élus « estrosistes » de la majorité, « Alpes-Maritimes ensemble ».
2 élus Front de gauche et 2 élus Union de la gauche (EELV et PS).
Le conseil soumis au test du Ravi
Durée : 5 heures
Présents : 29 élus de la majorité, 19 de l’opposition.
Temps de parole cumulé de l’opposition : 1 heure 52 minutes.
Le public : 19 personnes, dont 6 journalistes.
Reportage publié dans le Ravi n°167, daté novembre 2018
Le dessins de Trax, en haut de page : Eric Ciotti, président LR de la commission des finances et vrai-faux président du CD du 06.