Oh Bonne Mère !
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Ceci n’est pas un scoop : le 16 mai, l’Olympique de Marseille a perdu l’occasion de remporter un deuxième titre européen – 25 ans après la Ligue des Champions – défait par l’Atletico de Madrid 3-0 à Lyon. Pire, l’équipe ne s’est pas qualifiée pour la Ligue des Champions, classée 4ème du championnat derrière le rival lyonnais. En même temps, tout cela avait très mal commencé, par un sacrilège : on ne trompe pas insolemment la Bonne Mère !
Mardi, veille de finale, c’est une tradition, les supporters de l’OM montent à la basilique Notre-Dame de la Garde déposer un cierge, priant la vierge, protectrice de la ville et de son club de foot. Fin de matinée, aux abords de la crypte, beaucoup de touristes étrangers. Pas une écharpe ni un maillot blanc et bleu à l’horizon. Pas fou, le diocèse a tout de même fait le plein de cierges. Trois tailles sont proposées, le plus grand, à 10 euros, approche les 80 centimètres. Pour les plus nécessiteux, c’est 5 ou 2 euros. Un groupe de jeunes est accompagné d’une journaliste du groupe Azur TV, la télé locale d’Estrosi et de Muselier (Cf le Ravi n°162). L’un d’eux, en survêtement et sweat rouge, tient religieusement un cierge de taille moyenne devant le cadre.
LEÇON DE JOURNALISME
Le groupe se dirige vers un coin de la crypte où trônent ces fameux cierges. Juste à côté, une réplique en argent de la Bonne Mère et de son rejeton où se recueille le public. Le jeune : « la Bonne Mère, elle nous protège et… heu… Je sais plus ce que je dois dire. » La journaliste d’Azur TV est en train de bidonner complètement son sujet ! Elle dirige l’étudiant et lui dicte son discours : « Elle va protéger l’OM aussi ! Ok ? Après tu poses ton cierge puis tu viens prier devant la vierge. » C’est quand même pas compliqué bordel ! Vérification faite, en aparté, ces jeunes sont lycéens, en sortie scolaire à Marseille. « On n’est pas du tout venus pour l’OM », confie l’un d’entre eux. En voilà de l’Education aux médias ! Bravo confrère.
Mais miracle, une mère de famille déboule avec son minot, tous deux vêtus d’un maillot de l’OM. Là, c’est sûr, on en tient deux. Azur TV se jette sur elle. Une lycéenne, pragmatique, de conseiller : « Allez-y madame, elle, elle est vraiment supportrice ! » Peu après, c’est un jeune Breton de 20 ans, Kévin, la tenue au complet, qui monte énergiquement les escaliers de la basilique. Ce cariste a pris une semaine de vacances, initialement pour assister au dernier match de championnat de la saison. Ça tombe bien. Il a eu les larmes aux yeux lors de la qualification de l’OM en finale, il espère bien pouvoir pleurer pour de bon demain soir.
Mercredi, jour de match, la tension monte. Drapeaux et tenues bleues illuminent la ville. A la sortie de l’autoroute A7, cette grande banderole : « OM, tu es ma plus belle histoire d’amour. » La Provence dédie sobrement sa Une à « Nos héros » et tartine 21 pages sur la rencontre du soir. Peu après 11h, le Vieux-Port est en feu. Les 11 000 abonnés qui ont pu se procurer une place pour le match à Lyon s’empèguent avant de partir en bus. Et sur les réseaux sociaux tournent une petite vidéo assez cocasse : Martine Vassal, présidente LR du Conseil départemental qui pourrait bien être la future locataire de l’Hôtel de ville, est entourée, sourire crispé, de dizaines de Winners, un groupe de supporters vouant un culte à Che Guevara… Et tous chantent en chœur ce qui est devenu LE hit très classe du moment, douce mélopée en honneur du détesté président de l’Olympique lyonnais Jean-Michel Aulas. Cela donne : « JEEEEAN-MICHEEEEL AULAAAASSEE, OH GROSSSEEE PETAAAASSEEE, ON VA TOUT CASSER CHEZ TOI ! » Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire.
Vers 13h, c’est le calme avant la tempête. Une balayette métropolitaine ramasse les dizaines de cadavres de gobelets Ricard sous l’ombrière. La brasserie de l’OM fait le plein. 25 euros l’entrecôte. Il y a bien quelqu’un dans cette foutue ville qui se contrefout du match non ? « Ils m’ont pourri ma matinée, râle Pauline, infirmière de 30 ans et néomarseillaise depuis 3 mois qui habite le quartier. J’hallucine complètement de voir ça. Si les gens se mobilisaient comme ça pour autre chose, on n’en serait pas là ! » Grand soir ou pas, les choses sérieuses vont commencer : garder des places de choix en terrasse de bar pour ne rien louper. A l’Estaminet matinal, haut lieu de supporterisme et d’alcoolisme, troquet typique marseillais de Notre-Dame-du-Mont, le manège commence à 15h. Six heures avant le coup d’envoi !
DES PLACES AU MERITE
« J’attends mon père pour le premier Ricard, sinon je dors devant le match », jure une amie. Une bière fera l’affaire. Un autre groupe s’est installé, jovial, mais tout de même « si on perd, et bé on se relèvera, comme on l’a toujours fait ». On entend aussi les traditionnels « sur un match, on peut le faire… ». L’après-midi risque d’être longue, mais c’est sans compter les nombreux chants de supporters. Notre préféré, celui dédié au chouchou de l’équipe, le Brésilien Luiz Gustavo, sur un air de Gala : « Luiiiz Guustavo, de Marseille à Janeiro ! » Le patron fait péter la sono et les différentes versions de « Jean-Michel Aulas » scandées par des rappeurs locaux. Ce n’est pas du tout répétitif. En attendant on prend les paris. Une seule donne l’Atletico gagnant. Réaliste…
Devant le stade vélodrome à 17h, c’est très calme. Plus de 10 000 personnes sont attendues pour la retransmission du match. D’une logique sans pareille qui lui colle à la peau, la mairie de Marseille distribue à la sortie du métro… son nouveau guide du stationnement ! On y retrouve notre jeune Breton qui s’est procuré une invitation sur Facebook. De l’autre côté de la rue, pour entrer dans le magasin officiel du club et se payer un t-shirt à 70 euros pièce, il faut d’abord s’essuyer les pieds sur un paillasson enveloppé du maillot du PSG… Au Vieux-Port par contre, c’est la fête. C’est la jeunesse marseillaise, celle des quartiers nord, qui chante en ronde, fumigènes à la main. C’est bon enfant. Et pas de présence policière ostentatoire.
Retour au bar vers 19h. Toutes les terrasses du quartier de la Plaine sont bondées, et Jean-Michel en prend pour son grade à tous les coins de rue. L’attente est longue, les Ricard s’achètent par 10. Le papa de la collègue n’est toujours pas arrivé mais un cousin fera l’affaire. Le match démarre dans des effluves d’herbe et de pastis. Mon voisin n’a déjà plus la lumière à tous les étages et tient en équilibre sur une chaise en plastique qui n’a pas tous ses pieds… 4ème minute de jeu, l’avant-centre de l’OM manque l’occasion du match. Tout le monde se lève, il y a du pastis partout. Mon voisin est magicien : s’il renverse tout, son verre est toujours plein. Puis vient le premier but de Madrid, le deuxième, et la résignation avant le troisième. Certains s’en vont avant la fin du match. Mais beaucoup restent pour sauter, danser, chanter, comme si de rien n’était. La ville a besoin de se rassembler. Au Vieux-Port, les CRS, alignés comme des pingouins, semblent vouloir rentrer tôt. Quelques échauffourées éclatent, le temps pour le Ravi de se faire gazer à la lacrymo. Le Mc Do de la Canebière lui est plein. Tout va bien.
Clément Chassot
La tête du PDG
Le lendemain de la finale, le PDG de La Provence a dû sortir sur une civière. Après une information publiée la veille du match par Marsactu et le Canard Enchaîné, Jean-Christophe Serfati a dû se résigner à démissionner. Et pour cause ! Il avait proposé à des partenaires, dans le cadre d’un pack de communication, des places frauduleuses achetées auprès d’une agence néerlandaise, non-agrées par l’UEFA. Sur 120 invités, seule une quarantaine auraient pu pénétrer l’enceinte du stade à Lyon. Pensez-vous, même René Malleville, célèbre grande gueule médiatique et fada de l’OM, a failli se faire berner. Selon Marsactu, le fils Tapie a finalement pu lui trouver une place. Bien entendu, pas une ligne dans La Provence de ce mic mac le jour du match ni le lendemain. On savoure tout de même : un journal indépendant d’actu locale qui se paie le grand exécutant de Bernard Tapie, figure historique de l’OM…
Reportage publié dans le Ravi n°163, daté juin 2018