« Nous ne sommes pas sous Louis XI ! »
16h50
La séance, ce 21 mars 2018, se tient dans les murs de la communauté de communes du Briançonnais (CCB), attenants à la mairie. Dans le vieux centre historique – la citadelle Vauban – ils surplombent une vallée aux cimes enneigées. Briançon fait face à l’afflux de réfugiés qui risquent parfois leur vie en montagne depuis l’Italie voisine. Une situation à laquelle les locaux répondent très dignement malgré une pression policière extravagante (Cf le Ravi n°159). Pas un mot ne sera prononcé ce soir sur le sujet.
16h55
L’opposition de droite, emmenée par le jeune premier Romain Gryzka – petit pull sur chemise, lunettes et cheveux gominés – se consulte sur les derniers détails.
16h57
Cheveux blancs, pull en laine marine, jean et chaussures en cuir. Gérard Fromm salue l’opposition avant de nous serrer la main. « Nous sommes ravis », sourit-il. Peu après, un magnifique Powerpoint s’illumine devant les yeux ébahis de l’assistance.
17h03
Le conseil commence. Le maire procède à l’appel. Pendant ce temps Romain Gryzka blague avec Anne Rastello, l’élue à la Jeunesse. Ici, tout le monde se connaît, l’ambiance est décontractée. Avant de rentrer dans le dur, l’assemblée marque une minute de silence pour deux soldats morts au Mali.
17h10
Les trois premières délibérations (sur les 43 inscrites à l’ordre du jour !) concernent l’approbation des comptes 2017. A l’aide du fringant Powerpoint, l’élue aux finances Renée Petelet, comptable à la retraite, se lance dans un long monologue et un charabia de… comptable. « Excédent global de clôture », « RMBS » ou encore « profil d’extinction de l’encours de dette »… A retenir tout de même : même si la situation s’améliore, la dette de Briançon est l’une des plus élevées de France avec 4 849 euros par habitant contre une moyenne de 918 pour les villes de taille équivalente.
17h20
Quelqu’un a enfin pensé à allumer la lumière. Anne Rastello a branché son téléphone. Elle pianote discrètement sous la table pendant que le monologue continue. On la comprend.
17h28
Catherine Valdenaire, qui appartenait au groupe d’opposition de droite avant d’en être évincée, annonce qu’elle votera pour ce rapport de l’exercice 2017. « Pour être cohérents, nous nous abstiendrons », poursuit Romain Gryzka.
17h30
Eric Peythieux, autrefois dans la majorité, fait une entrée remarquée tout en tenue de ski, teint halé et lunettes de soleil sur la tête.
17h32
Renée Petelet expose le budget 2018. Romain Gryzka se retourne souvent pour échanger avec un homme mystère aux cheveux jaunes, mi-longs.
17h40
Catherine Valdenaire félicite l’élue pour sa présentation ainsi que les techniciens parce que « c’est compliqué ». Mais elle pointe une faible augmentation des dépenses de personnel qui ne s’explique pas. Elle s’interroge aussi sur l’investissement de 6 millions pour la médiathèque qui aurait dû être pris en charge également par la CCB. Gryzka, qui n’arrête pas de se retourner, fait remarquer qu’aucune ligne budgétaire pour le déneigement en décembre n’est prévue : « et nous ne sommes pas à l’abri de gros événements neigeux ! » Les charges de personnel sont aussi, selon lui, sous-estimées. Enfin, même s’il est « attaché à la culture », il juge les investissements dans le domaine trop massifs. « Il y a d’autres choses à faire, notamment sur la propreté. »
17h44
Suite à Catherine Valdenaire, le maire voit rouge. Il fustige une intervention « totalement inadmissible » car elle sous-entend une insincérité des comptes. A Gryzka sur la propreté : « Vous dites n’importe quoi ! » Il enchaîne sur un long laïus concernant l’état des routes et la nécessité d’investir dans « l’enrobé à chaud ».
17h52
L’élu d’opposition Marc Breuil, tout droit sorti d’un épisode d’Amicalement vôtre, se plaint aussi de l’augmentation des taux d’imposition du… Conseil départemental. Et relaie le mécontentement d’habitants d’un quartier à cause de leurs réseaux sous-terrains… privés. Avant de conclure, lunaire : « On est à la fin du carnaval, les masques vont tomber ! » L’homme mystère est en rogne : « Qu’est-ce qu’il nous fait là, c’est pas possible de dire des conneries pareilles ! » Si l’ambiance est détendue, le groupe d’opposition est en roue libre.
18h10
Notre moniteur de ski prend la parole, toute en ironie : « Vous savez à quel point, monsieur le maire, j’admire votre gestion. Je voterai donc contre ce budget. »
18h17
Catherine Valdenaire annonce qu’elle votera pour les « autorisations de programme » qui encadrent les investissements. « Très cohérent, elle vote contre le budget mais pour ces autorisations… », lance l’homme mystère, amusant la galerie. La concernée est à quelques mètres.
18h21
Vient une délibération prévoyant le renouvellement d’une adhésion à un fonds de soutien national aux collectivités ayant souscrits des emprunts « toxiques ». Ponthyeux : « Pour une commune c’est louable. Mais que l’Etat apporte un soutien délibéré à des financiers à la limite de la légalité, je ne le cautionnerai pas. » Sur ce, il débranche son ordinateur et quitte la salle.
18h27
Marc Breuil intervient sur une navette, qui transporte les skieurs l’hiver, devenue payante : « Certains ne sont pas au courant, il y a des esclandres car ils n’ont pas de monnaie et les autres voyageurs râlent car ils perdent du temps. Cela devient un vrai problème et donne une image déplorable. » Gérard Fromm « partage totalement ». Il explique que le gestionnaire de la station s’est retiré du financement de ces navettes et que les communes n’ont pas voulu payer la différence. « J’ai reçu une dizaine de lettres de réclamation de gens qui ne reviendront sûrement jamais plus. C’est destructeur », se désole-t-il. S’ensuit un long débat sur l’unité d’un territoire éclaté en plusieurs petites communes et leur capacité à s’unir pour proposer une offre touristique cohérente.
18h32
Le débat continue et Breuil demande au maire si, en sa qualité de président de la communauté de communes, il ne peut pas contraindre les maires des alentours à jouer collectif. Réponse : « Nous ne sommes pas sous Louis XI, je ne peux pas les mettre au plafond, accrochés dans une cage ! » « Ce serait rigolo », lâche un élu.
18h51
Sont présentées les subventions accordées au secteur social, culturel et sportif. Breuil fait remarquer qu’il y a un écart de 1 à 20 entre le social et le sport. « Vous ne prenez pas en compte le budget du CCAS », répond l’élue en charge. « Nous donnons généralement ce que les associations nous demandent, pas plus ! […] Le sport c’est aussi de l’action sociale », poursuit le maire, en citant Arthur Bauchet, jeune athlète briançonnais auréolé de quatre médailles aux derniers jeux paralympiques. L’homme mystère, à l’endroit de Breuil : « Non, mais faut qu’il arrête ! »
19h20
Une convention lie la mairie à l’émission Des racines et des ailes, diffusée le 28 mars. Emilie Armand, commerçante dans la vieille ville, s’étonne qu’on ait dégagé la place d’armes seulement pour la présentatrice Carole Gaessler : « C’est sûrement pour son sex-appeal, elle en a beaucoup plus que moi. Du coup je me suis lancé dans un régime ! »
19h52
L’adjointe à l’urbanisme, Aurélie Poyau, passe en revue une série de délibérations. Breuil taquine le maire concernant des aménagements réalisés sur sa rue. Qui s’énerve à nouveau. Breuil jubile. L’homme mystère, excédé par ses prises de paroles incessantes – il n’est pas le seul – s’en va. Il n’y a plus qu’un citoyen dans le public.
20h11
Romain Gryzka salue tout le monde, « [il doit] y aller. »
20h28
Une élue baille. le Ravi aussi !
20h56
Dernière délibération ! Elle concerne une étude pour revitaliser la vieille ville, qui perd certains commerçants. 15 minutes plus tard, s’en est terminé. « Merci de votre attention et merci au Ravi, qui est resté jusqu’au bout, il faut le souligner ! » le Ravi confirme.
Clément Chassot
Briançon (05)
12 370 habitants (2015)3 fleurs « villes et villages fleuris »9 caméras de vidéosurveillance 23 % logements sociaux 31% pour Marine Le Pen au second tour de la présidentielle 2017Le maire : Gérard Fromm (DVG) depuis 2009. Il prend la suite de l’UMP Alain Bayrou, décédé en 2009 dans un accident de la route. Il est aussi président de la Communauté de communes du Briançonnais et conseiller départemental. 78 ans, vétérinaire.La majorité : 24 conseillers de la liste « Toujours unis pour Briançon » L’opposition : 7 conseillers Divers droite « Croire en Briançon », 1 conseiller auparavant membre de la majorité et une 1 conseillère évincée du groupe de l’opposition.
Le conseil municipal soumis au test du Ravi :Durée : 4h07Présents : 22 élus de la majorité, 8 de l’oppositionTemps de parole cumulé de l’opposition : 50 minutes 39 secondes et 90 centièmesLe public : 6 personnes dont 1 journaliste
Reportage publié dans le Ravi n°161, daté avril 2018