Don Ferdinand en procès - 2ème partie (suite): la gazette et le permis
Le ventre plein, ce mardi après-midi, au deuxième jour de son procès, Ferdinand Bernhard, le maire de Sanary-sur-Mer, est de nouveau appelé à la barre. Il n’y en aura que pour lui. Dans un premier temps, il est entendu pour délit de favoritisme au marché public. C’est la gazette, Mieux Vivre à Sanary qui intéresse le tribunal. Depuis 2002, la fabrication du bulletin municipal est externalisée via une convention de gré à gré signée annuellement, toujours avec la même rédactrice. « Vous n’étiez pas spécialement proches, tout ça pour dire que de ce point de vue là, avec elle, vous n’aviez pas une relation personnelle », ironise la juge, Céline Ballerini, clin d’œil à l’audience du matin où il a été beaucoup question des maîtresses de Bernhard. Ce sont les conventions de 2007 à 2009 qui interrogent. Il y est noté : « Du fait des caractéristiques de la mission et de ce que Madame G. est le seul prestataire à pouvoir assurer pour la mairie de Sanary un conseil en communication sur les supports suivants [liste des supports cités. Ndlr ], les formalités de publicité et de mise en concurrence inhérentes au marché public sont apparues comme manifestement inutiles et impossibles à mettre en œuvre. » La présidente explique que ceci fait référence à l’article 35 du Code des marchés publics et permet d’échapper à l’exercice même du marché public mais dans un cadre très contraignant qui n’a pas lieu d’être dans le cas cité.
« Vous savez ce que vous signez ? »
Elle interroge l’édile : « Qu’est-ce que Madame G. avait de si particulier pour être la seule à pouvoir être prestataire ? » Pour le maire cette personne avait simplement donné satisfaction : « Y’a pas plus de mystère que ça !» En 2010, ces conventions s’arrêtent car un nouveau responsable du service des marchés, Monsieur Baleine, prévient le maire que ce n’est pas légal et qu’il faut une mise en concurrence. « Rassurez-moi Monsieur Bernhard, avant l’arrivée de Monsieur Baleine il y avait quand même des gens pour gérer le service juridique dans votre mairie ? », ironise la présidente. Pas dupe, elle s’avance vers son micro et ajoute : « En fait si, il y avait forcément quelqu’un qui s’intéressait au droit dans votre municipalité parce que si on écrit cette mention c’est que l’on a le sentiment que l’on fait quelque chose qui ne peut pas passer au niveau de la loi, Monsieur Bernhard. » Ferdinand fait tomber la veste et comme à son habitude botte en touche : « Ce n’est pas le maire qui a écrit ça. » Et la juge de rebondir : « Peut-être, mais j’espère que vous savez ce que vous signez ! » Et de souligner, par ailleurs, qu’à ne pas mettre les gens en concurrence on manque de références financières et que Madame G. gagne 4 000 euros par mois, qu’elle n’écrit pas tous les articles et n’a pas la charge des photos. Cette dernière aurait déclaré que la rédaction de la gazette sanaryenne équivalait à un mi-temps. On sent la jalousie poindre à la table de presse…
L’assesseur insiste : « Vous signez tout comme ça ? » L’édile de répondre, sourire aux lèvres : « Non ! Je ne signe pas s’il n’y a pas la date, ou le paraphe du DGS. Et puis, je ne signe pas non plus entre deux portes. » L’assesseur poursuit impassible : « Si vous signez, vous engagez votre responsabilité. Vous ne vous estimez pas responsable ? » Bernhard de rétorquer : « Non, car même si je suis maire, je n’ai pas toutes les compétences. » À compter de 2010, un appel d’offre est lancé. Deux prestataires répondent. Et qui remporte le marché ? Madame G. Elle obtient même une note de 20/20, imbattable. Mais ce marché public ne fait pas partie de la saisine.
Cette histoire de gazette n’était qu’une mise en bouche pour les magistrats. Une petite pause et le tribunal enchaîne sur la prise illégale d’intérêts. Ferdinand Bernhard doit s’expliquer sur l’implication des services municipaux dans l’examen de la demande de permis de construire de ses villas, mêlant selon le juge d’instruction « une succession d’amalgames entre des intérêts et/ou des moyens publics et des fins privées ». L’affaire est complexe et tordue, on se perd dans les zones cadastrées et les noms des multiples protagonistes. Pour faire simple, le 21 avril 2010, Ferdinand Bernhard achète, à titre personnel, pour 300 000 euros, un terrain (parcelle AZ 437) dans le quartier Beaucours à Sanary, à 300 mètres de la mer. Dans l’acte de vente il est mentionné que « cette parcelle n’est pas desservie, le prix de vente tenant compte de l’enclavement ». L’édile a pour idée d’y faire construire cinq villas pour lui et ses enfants. Monsieur P., qui lui vend la parcelle, n’a jamais réussi à obtenir le droit de passage qu’il lui aurait permis de construire sur ce terrain, malgré plusieurs actions judiciaires et pour diverses raisons. Car au sud, la parcelle touche un espace boisé classé et à l’ouest, les copropriétaires de la Pinède ne veulent pas céder la leur.
La charrue avant les bœufs
La présidente cite un courrier « un peu étonnant », note-t-elle daté du 30 juin 2008, envoyé au copropriétaires, dans lequel il est indiqué que la commune de Sanary a pris acte de leur refus de céder à titre gratuit la parcelle sur lequel pourrait se faire le droit de passage et propose un deal financier. La copropriété représentée par Madame M. refuse la proposition car la parcelle concernée correspond au parking et qu’elle ne comprend pas l’intérêt de la mairie a vouloir la récupérer. Entendu par le juge instructeur en 2014, elle explique avoir appris par la suite que Ferdinand Bernhard, à titre privé, avait acquis la parcelle AZ 437. Le 28 juillet 2009, c’est d’ailleurs à titre personnel que le maire réitère une demande d’accès par courrier à Madame M. « Ce qui peut être troublant, c’est que vous l’adressez avec une enveloppe à en-tête de la mairie », souligne Céline Ballerini. Bernhard nie : « Il s’agit d’un logo de La Poste en promotion de la ville. » « Ça, vous ne l’avez pas précisé au juge instructeur », insiste la présidente. Madame M. étant aussi une des patientes de son cabinet dentaire, il avait d’abord fait sa demande de droit de passage oralement « sans contrainte », ironise-t-il alors que cette dernière était allongée la bouche ouverte sur son fauteuil. Mais le tribunal n’a pas envie de rire. « Ce qui est surtout étonnant c’est qu’à cette époque, vous n’êtes absolument pas propriétaire du terrain et n’avez même pas signé un compromis de vente. Est-ce que vous ne mettez pas un peu la charrue avant les bœufs ? », interroge la présidente. Après quelques hésitations, il assure qu’à cette période il avait signé le compromis. La juge veut bien le croire, mais note qu’il n’en est pas fait état dans l’acte de vente, et n’a pas été versé durant la procédure et que ce n’est absolument pas ce qu’il a répondu au juge instructeur.
« Vous le faites exprès, Monsieur Bernhard ? »
L’interrogatoire qui suit est plutôt musclé, parce qu’il semblerait que dans ce dossier, Ferdinand Bernhard ait plus d’une fois tenté de mettre la charrue avant les bœufs… Le 10 novembre 2009, il dépose un permis de construire en mairie pour 5 villas et un garage en précisant qu’il a l’autorisation de Monsieur P. pour ce faire. « Lui aussi a été entendu et ce n’est pas ce qu’il dit. Il explique à la juge avoir eu connaissance de ce permis par l’architecte », souligne la présidente. Ferdinand Bernhard assure avoir eu son autorisation et dit que de toute façon il avait signé ce compromis. « Le compromis ne fait pas vente, Monsieur Bernhard », insiste la juge. Il persiste et soutient. « C’est moi qui suis brumeuse ou vous le faites exprès, Monsieur Bernhard ? » Il justifie maladroitement : « Tout le monde fait ça. » La juge s’énerve : « Non. Tout le monde ne fait pas ça ! » Et l’édile entêté de conclure : « Je ne signerai jamais un acte définitif si je n’ai pas obtenu le permis de construire. »
La juge enchaîne et note que sur la demande de permis déposé il est noté qu’il y a un droit de passage. Là aussi, Ferdinand Bernhard a une explication : « J’avais une servitude signée sous seing privé. » Document non communiqué à l’époque, mais versé, depuis, à la procédure et qui n’est pas remis en cause juridiquement. La présidente en arrive à l’acte de vente du 21 avril 2010, sur lequel est noté qu’il n’y a pas de droit de passage mais une formulation attire son attention : « ce que l’acquéreur reconnaît [l’absence de droit de passage. sic] et déclare vouloir en faire son affaire personnelle sans recours contre le vendeur ou le notaire présents » et que le prix de la vente a été négocié en tenant compte de cet enclavement. « Donc ce qu’on en conclut, c’est qu’il n’y a pas de servitude », souligne la juge. « Une servitude de sous seing privé ne peut pas apparaître dans un acte authentique… enfin je vous dis ce qu’on m’a expliqué », répond le maire. La juge sous-entend que par honnêteté pour le vendeur qui depuis des années essaie d’obtenir un droit de passage, ça aurait pu être inscrit… Et Ferdinand Bernhard de s’enfoncer tout seul : « Je sais que le terrain peut paraître bradé… euh, je ne devrais pas employer ce mot-là », mais pour lui ça ne l’est pas. « Oui, mais vous oubliez une chose », coupe la juge. « Non », rétorque Bernhard. « Ben si, à l’origine, de par son enclavement, la parcelle n’est pas constructible […] Et c’est vrai qu’on s’interroge, pourquoi aller acheter ce terrain… », poursuit la juge.
Autre étonnement, celui de la célérité avec laquelle le service d’urbanisme donne son accord pour le permis. Le maire assure qu’il a été traité comme un administré lambda mais explique tout de même avoir demandé au service de regarder chaque détail afin que ses opposants n’y trouvent rien à redire. Oui mais voilà, il semble avoir oublier une chose essentielle, c’est qu’un maire doit passer par son conseil municipal pour valider son permis – chose qu’il fera d’ailleurs en 2011 pour son permis modificatif – mais à cette époque il n’en fait rien. Ferdinand Bernhard a réponse à tout mais sa meilleur défense reste « Je ne le savais pas. » Il précise, au cas où le tribunal en douterait : « Mon souci c’est d’être dans la légalité ! » Et rappelle que son permis a été attaqué par cinq fois au tribunal administratif et qu’il a toujours gagné. Par ailleurs, Emmanuel Serra, partie civile, fera constater par huissier la présence d’engins de terrassement alors que le maire n’est toujours pas propriétaire. Et par la suite, un constat de travaux sur la parcelle boisée classée sera dressé sans qu’il n’y ait eu de suite à ce jour.
Le tribunal se concentre alors sur une procédure de déclaration d’utilité publique, pour ouvrir une nouvelle voirie par expropriation, et qui permettrait – la belle aubaine – de désenclaver la parcelle du maire. Il s’en défend : « Mes prédécesseurs avaient déjà prévu de l’ouvrir. » Rappelons que le maire est en mandat depuis 1989. Il tente d’expliquer les passages de canalisations puis, comme à son habitude, digresse. « Vous m’avez perdue ! », lance la juge. « Je vais vous montrer le chemin », rétorque le maire à demi-mots. Et pour prouver sa bonne foi, il assure qu’il n’a aucun intérêt personnel à cette nouvelle voirie, que le bruit va même le déranger plus qu’autre chose. Les travaux sont à l’arrêt depuis la mise en examen. Entre-temps, il a obtenu une deuxième servitude, signée chez un notaire celle-ci. Pour conclure, la juge lui demande s’il se rend compte que ses services ont été plus complaisants avec lui parce qu’il est maire. Il le réfute. Et trouve utile d’ajouter : « Je veux être jugé comme n’importe quel administré ! » La présidente sourit : « Je vous rassure là-dessus ! Il manquerait plus que ça ! » L’assesseur et le procureur l’achèvent, le mettant face à ses contradictions, ses manquements et ses responsabilités. « La prise illégale d’intérêt, Monsieur Bernhard, ce n’est pas forcément de s’en mettre plein les poches, c’est d’être, là, sur une opération qui vous concerne », rappelle l’assesseur. Si Ferdinand Bernhard continue de nier les faits reprochés, son corps de deux mètres, pour la première fois, chancelle un peu.