Don Ferdinand en procès - 1ère partie : noyer le poisson
Après huit ans d’enquête, le procès tant attendu de Ferdinand Bernhard, maire de Sanary-sur-Mer depuis 31 ans, s’est ouvert lundi 8 juin pour trois jours. Dans son ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel de Marseille de novembre 2018, le juge d’instruction a retenu cinq éléments pouvant être qualifiés de « prise illégale d’intérêt, détournement de fonds publics et favoritisme ». L’édile, qui vient d’être réélu au premier tour avec 68 % des voix (et 70 % d’abstention), risque jusqu’à dix ans de prison et d’inéligibilité. Son avocat, Maître Julien Pinelli, souhaite quant à lui la relaxe face à ce qu’il considère comme « des accusations calomnieuses ».
C’est masqué que Ferdinand Bernhard, maire (sans étiquette, ancien Modem, ancien UDF) de Sanary-sur-Mer, débarque du Var pour sa première journée de procès, accompagné de son avocat, même costume, même crâne rasé mais deux têtes de moins. Règle sanitaire oblige, le procès a été délocalisé du tribunal correctionnel vers la grande salle du tribunal de commerce situé à deux pas. « Ça vous permet de vous espacer, par contre il n’y a pas de prises électriques et c’est très mal insonorisé », introduit la présidente de séance Céline Ballerini dont la fin du propos est rendu inaudible par les bruits des balais-brosses sur la voirie. Elle attend que ça passe pour poursuivre.
Micros gantés
Ferdinand n’est pas seul à comparaître pendant ces trois jours. Son ancienne maîtresse, Sybille Beaufils est là également, accusée de « recel de détournement de fonds publics et recel de prise illégale d’intérêt ». L’édile devra quant à lui expliquer à la cour sur quels critères de compétence il lui a fait grimper les échelons, passant de contrôleuse de gestion à celui de directrice générale des services en deux ans, avec un salaire doublé. Comparaît aussi Jean-Jacques Céris, président de la Ligue de l’enseignement du Var (FOL 83), jugé pour « recel de favoritisme » concernant son poste de chef de cabinet entre 2010 et 2011 obtenu par le biais d’un appel d’offres que Ferdinand Bernhard aurait favorisé. L’édile devra aussi s’expliquer sur l’utilisation à des fins personnelles d’un véhicule de service, d’une carte de péage et d’une carte d’essence, sur l’implication des services municipaux dans l’examen de la demande de permis de construire de sa villa, mêlant selon le juge d’instruction « une succession d’amalgames entre des intérêts et/ou des moyens publics et des fins privées », et sur des accusations de favoritisme concernant aussi un autre marché public.
La juge demande à chacun de venir à la barre pour se présenter succinctement. « On va vous donner un gant, pour des raisons d’hygiène, merci de le positionner sur le micro avant de parler et de le retirer lorsque votre intervention est terminée », sourit la présidente, consciente du comique de la situation. Même traitement ganté pour les parties civiles, Emmanuel Serra [qui s’est présenté contre le maire en mars, sur une liste DVD ayant remporté 22,72 % des voix. Ndlr] et Gilles Dupuis, deux contribuables sanaryens qui balaient d’un revers de main toute intention politique et indiquent n’avoir que pour seul intérêt celui de porter à la connaissances des Sanaryens les agissements du maire et de « dénoncer les irrégularités de la commune », précise Emmanuel Serra . Ce dossier a d’abord été initié par un dépôt de plainte en 2010, appuyé par un signalement au parquet de la Chambre régionale des comptes (CRC) en 2011 après avoir établi son rapport sur la gestion de la ville varoise. La commune est aussi partie-civile mais se réserve le droit de ne pas plaider si elle considère qu’il n’y a pas préjudice.
Ferdinand Bernhard est le premier à comparaître et doit s’expliquer sur l’utilisation à des fins personnelles de son véhicule municipal entre 2009 et 2012. Il remonte le micro, positionne son gant et se gratte la gorge. Il rappelle ses origines « paysannes », son attachement à Sanary. Il explique que s’il poursuit son métier de dentiste à mi-temps en plus de son mandat de maire, celui de conseiller départemental et de président de communauté d’agglo, c’est « pour savoir ce que vivent les gens » et « pour rester ancré dans la vie civile ». Et concernant sa motivation à être élu depuis 31 ans ? « Si à la fin de ma vie d’élu, j’ai réussi à sauver un enfant de la drogue j’arrêterai, c’est peut être arrivé mais vu que je n’en suis pas sûr, alors je continue », répond-il à la juge. Ce qui décoche quelques sourires moqueur dans l’assemblée.
« Je ne suis pas un tyran »
La présidente revient sur l’infraction soulevée par la CRC, qui a constaté que le maire et sa première adjointe possédaient entre 2009 et 2012 un véhicule de fonction avec prise en charge de frais d’autoroute, sans pour autant que cela ait donné lieu à une délibération de conseil municipal. Selon le Code des collectivités, que la magistrate rappelle, le maire n’a droit qu’à un véhicule de service qui ne lui permet pas d’effectuer de trajets personnels. « Je l’ai appris après le passage de la CRC, je ne le savais pas », se justifie le maire. À l’époque, Ferdinand Bernhard a fait plusieurs trajets avec ce véhicule, souvent en week-end, en Italie notamment. « Il s’agissait d’une visite dans une ville jumelée avec Sanary », affirme-t-il. Un voyage en Haute- Savoie en décembre. « Je suis allé à la rencontre d’un couple de Sanaryens vivant aux États-Unis et qui voulait faire un legs à la ville », jure-t-il. Et d’ajouter : « Vous pensez que j’aurais fait ce trajet pour le plaisir ? ». « La Haute-Savoie en décembre… il y a pire comme endroit », ironise la présidente.
Son ancienne maîtresse confirme que leurs week-ends ensemble se faisaient avec le véhicule de fonction du maire : « Au cas où il aurait dû rentrer précipitamment mais ça n’est jamais arrivé. Par contre il gérait tout par téléphone. » Ferdinand Bernhard se défend en disant qu’un maire est dans sa fonction H24. À son habitude, Il digresse beaucoup et jette l’opprobre sur les magistrats de la CRC qui auraient pu le prévenir avant. Puis sur le percepteur qui n’a peut-être pas fait son boulot correctement. Avec Ferdinand, la faute vient toujours des autres… jamais de lui. Il précise s’être mis en conformité depuis 2013 en ayant acheté un véhicule personnel. La présidente, lassée, recadre : « Vous réfutez en entier ou pas ? On finit par s’y perdre ? », lance-t-elle. Le procureur, Étienne Perrin, le met face à ses contradictions. « Vous dites vous être mis en conformité juste après les observations de la CRC en décembre 2011, ce n’est pas vraiment ce que vous avez dit au magistrat instructeur en 2015… ». Et l’édile de faire son peuchère : « C’était un peu difficile de s’exprimer. » Il tient à ajouter hors contexte : « Je ne suis pas un despote ou un tyran comme on le dit. »
Une étrange « prestation »
Après le déjeuner, Jean-Jacques Céris, est appelé à la barre. Il dresse son parcours fait d’éduc’ pop’ et d’engagements bénévoles. Il rencontre le maire en 1989, celui-ci vient d’être fraîchement élu à Sanary et lui est directeur de la FOL 83 qui vient d’ouvrir un centre destiné à l’enfance dans la commune. Retraité de la Ligue depuis 2004, il revient aussi sur ses années en tant que conciliateur de justice à la cité Berthe de La Seyne-sur-Mer de 2006 à 2011 et explique que c’est sur l’idée d’envisager la création d’une Maison de justice et du droit (MJD) à Sanary qu’est née sa collaboration avec le maire. En 2009, il se déclare en autoentrepreneur, au départ pour pouvoir facturer diverses conférences qu’il donne ici et là, sur la laïcité notamment. Ce même statut lui permettra surtout de travailler trois mois durant pour la mairie de Sanary via un contrat qui prend la forme d’une « convention de prestation intellectuelle » facturée 18 000 euros, soit 6 000 euros par mois. Puis par la suite de répondre à un Marché à procédure adaptée (MAPA) de 144 000 euros lancé par la commune pour poursuivre ce travail de « prestation intellectuelle ». Il semble avoir été créé, clef en main, pour Céris qui est le seul à y répondre, c’est donc lui qui le remporte. Il est accusé de recel de favoritisme.
La présidente plisse les yeux et veut comprendre en quoi consistait le travail de M. Céris pendant tout ce temps. Il explique qu’on a fait appel à lui pour réfléchir à la mise en place de cette fameuse MJD, « c’était une hypothèse en tout cas », précise l’intéressé. Au vu de la réforme de la carte judiciaire de l’époque et de la fermeture des tribunaux, la présidente se permet d’en douter : « Sanary avait peu de chance d’obtenir une MJD… » Elle poursuit en lisant l’intitulé « très large » des missions confiées : organisation, collaboration, accueil, etc. qui correspondent plus à celles d’un chef de cabinet qu’à celles d’une personne œuvrant à la création d’une MDJ, ou à la mise en place d’un Conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD)
Le président de la FOL 83 se perd dans ses explications et digressions. La présidente insiste : « Qu’est-ce que vous avez fait en vrai ? » « Je parle trop je m’en excuse mais je suis un passionné », justifie Céris. Et de poursuivre à côté de la plaque : « Je ne sais pas si j’ai répondu… mais en tout cas j’ai essayé. » « L’important c’est de participer », répond la présidente, laconique. Oui mais voilà tout tend à prouver que Céris n’a pas été recruté pour réfléchir à quoi que ce soit mais bien comme chef de cabinet. C’est lui qui répondait aux mails de la CRC, envoyait les pièces jointes. Plusieurs témoignages de collaborateurs le placent à ce rang-là en tout cas. Et même l’organigramme envoyé par ses soins à la CRC semble le trahir… À l’époque, vu le nombre d’habitants de la commune, le maire ne peut pas embaucher officiellement un troisième collaborateur de cabinet, d’où le choix qui aurait été fait d’un appel d’offre favorisant Jean-Jacques Céris, c’est en tout cas ce que le tribunal cherche à savoir. Le procureur s’interroge sur le fait que le travail fourni par Monsieur Céris n’ait donné lieu à aucun rapport de sa part, en tout cas aucun d’entre eux n’a été transmis au juge instructeur… Céris affirme qu’on ne les lui a pas demandés mais que chez lui il en a des brouillons. Le procureur se questionne aussi sur la démission précipitée de ce dernier de son poste, suite au passage de la CRC.
Au bout de quatre heures de tergiversations, à éviter sans cesse les questions du tribunal en les abreuvant de digressions hors sujet, ni lui, ni le maire n’avoueront. « Si vous cherchiez à me perdre et bien c’est réussi ! », lance la présidente à plusieurs reprises. Avant, excédée, de prévenir le maire et son acolyte du risque qu’ils encourent à essayer de noyer le poisson en permanence.
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