Moralisation, piège à…
« Favoriser le retour des exilés fiscaux » en ne les soumettant qu’à une simple amende, tel est l’objet de la proposition déposée par, entre autres députés UMP, Valérie Boyer (13), Lionnel Luca (06) et Josette Pons (83) juste avant les aveux de… Jérôme Cahuzac ! Depuis, même si la mise en examen d’un Sarkozy est passée au second plan, l’affaire Cahuzac est venue en raviver d’autres dans une région où les promesses de « moralisation » sonnent souvent creux. « Entre les citoyens et les politiques, le divorce est consommé, juge Jean-Claude Roger, responsable dans les Bouches-du-Rhône d’Anticor, l’association contre la corruption, pour l’éthique en politique. C’est gravissime pour la démocratie et il va falloir crever l’abcès. Car, quand on demande aux gens ce qu’ils feraient à la place des politiques, ils répondent : "la même chose". Mais comment peut-il en être autrement quand l’exemplarité ne vient plus d’en haut ? »
Le député (13) EELV François-Michel Lambert, lui, est philosophe : « En matière de transparence, on a obtenu plus de choses avec Cahuzac en quinze jours qu’avec toute la campagne d’Eva Joly. Dans mon patrimoine, j’ai même listé un scooter à 300 euros. Je ne suis pas favorable à tant de transparence mais c’est un mal nécessaire. D’ailleurs, à droite, les élus devraient y réfléchir à deux fois. En refusant de jouer le jeu, leurs électeurs vont finir dans les bras du FN. » A droite, à l’exception des sénateurs Jean-Claude Gaudin et Sophie Joissains, de plusieurs députés Varois ou encore d’Eric Ciotti dans le « 06 », on renâcle en effet à se plier à l’opération « transparence ». A gauche, le premier à avoir dégainé, c’est le socialiste Patrick Mennucci (lire encadré). Depuis, d’autres lui ont emboîté le pas. Jusqu’à Marion Maréchal (nous voilà !) Le Pen. Peut-être pour faire oublier que c’est un avocat de la famille qui a ouvert les comptes de Cahuzac. Ou que les gestions municipales par le FN, dixit le conseiller régional (PCF) Alain Hayot, «n’ont pas été sans tache ». Elles se sont mêmes souvent terminées devant les tribunaux…
Une caste professionnalisée
Même Jean-Noël Guérini, le président du Conseil général des Bouches-du-Rhône, s’est plié à l’exercice. « La transparence est peut-être le meilleur moyen de protéger le clientélisme qui, ici, se double de clanisme et de népotisme, tacle Pierre Orsatelli, de Renouveau PS 13. Or, ce que ne veulent plus nos concitoyens, c’est la privatisation de l’argent public au profit de carrières électorales. Alors, si on exclut Cahuzac, pourquoi ne pas exclure Guérini ? » Symbolique : lors du dernier conseil national du PS, la marseillaise Cécile Alzina, adjointe à la rénovation, s’est abstenue sur les primaires « parce si la mise sous tutelle de la fédération du PS 13 est une bonne chose, l’exclusion de Guérini est un préalable indispensable afin que le clientélisme ne vienne pas polluer les débats ». Une mesure réclamée par Marie-Arlette Carlotti, Mennucci et, bien sûr, Renouveau PS 13. Pierre Orsatelli ajoutant malgré tout : « Une mise sous tutelle, comme dans l’Hérault, ça ne permet bien souvent que de s’accorder sur le plus petit dénominateur commun et ça n’aboutit pas à une remise en cause du système… »
Faudrait-il alors un grand « coup de balai » ? « En France, il n’y a pas eu comme en Italie d’opération « main propre », explique le sociologue Cesare Mattina. La dénonciation des milieux politiques est donc devenue aussi structurelle que la professionnalisation d’une véritable caste qui consacre les deux tiers de son temps à sa réélection. Avec l’affaire Cahuzac, localement, certains pourraient s’appuyer sur le national pour faire bouger les choses. Mais ici, la politique est avant tout une histoire de « familles ». Peut-être manque-t-il en France un Beppe Grillo. Certes, il y a Mélenchon. Mais, derrière, il y a le PC. »
« Ils ont menacé de me crever »
Or, les communistes ont voté la prise en charge des frais de justice de Jean-Noël Guérini, suscitant l’ire de milliers de pétitionnaires en ligne ! « A leur place, je n’aurais pas voté cette mesure », confesse Alain Hayot. Le patron de la fédé, Pierre Dharréville, reste droit dans ses bottes : « Est-ce qu’au nom du contexte, on balaie les principes ? Cahuzac a avoué, pas Guérini. Alors, que la justice passe. Car il y a urgence. Et les mesures de Hollande sont soit à côté de la plaque, soit inefficaces. Le plus choquant, c’est que celui qui prônait la rigueur était fraudeur. Et, à mon sens, ce qu’a fait Gary Klesch (lire le portrait du PDG de Kem One en page 28), en plaçant dans les paradis fiscaux les richesses qu’il a accaparées, en rachetant un euro le pole vinylique d’Arkema, est bien plus grave. »
« Parce que j’ai, entre autre, signé la pétition contre la prise en charge des frais de justice de Guérini des membres du PS ont menacé de me crever politiquement, dénonce François-Michel Lambert. Ce qu’ils n’ont pas compris, c’est que moi, je ne vis pas de la politique. Si je suis battu, j’ai une vraie vie à côté. » Si Patrick Allemand, le patron de la fédé du PS des Alpes-Maritimes, refuse de commenter « ce qui se passe dans le 13 », il vient d’organiser à Nice un débat sur la « République exemplaire » : « On est plutôt bien placé pour le faire parce que si l’on a eu la chance d’être épargné par ce type de comportements dans nos rangs, grâce à la droite, ici, on connaît bien ce genre d’affaires. »
La « moralisation » est sur toutes les lèvres. Ainsi, le socialiste aixois Cyril Di Meo lance une pétition pour la moralisation de la vie politique aixoise : « Maryse Joissains vient d’offrir une promotion turbo à son chauffeur et de recruter comme conseiller politique le maire de Ventabren, condamné suite à une altercation avec ses opposants ! Ça n’est pas illégal. Mais c’est immoral. La politique, ça ne peut se faire que sur des bases saines. Or, aujourd’hui, on assiste à une "varoïsation" des Bouches-du-Rhône. » Un phénomène que connaît bien Olivier Thomas. Ancien de l’UMP et candidat de l’association de défense des Sanaryens (83) aux prochaines municipales, il est, nous dit-il, « le seul élu du Var à avoir signé la charte d’Anticor. J’espère que d’autres feront de même. Mais il y a ici une véritable chape de plomb. Face à l’affaire Cahuzac, les gens ne sont même plus surpris. »
Le FN sera-t-il le grand gagnant de l’histoire ? Alain Hayot, qui s’y est frotté du côté de Vitrolles, est partagé : « L’abstention, certainement. Le FN, peut-être puisqu’à une crise institutionnelle se mêle une crise économique et sociale. La moralisation ne suffira donc pas. » En attendant, la mairie (PCF) de Roquevaire (13) demande désormais à ses « partenaires financiers et bancaires » de respecter un certain nombre de règles de transparence, « en particulier au regard de leur activité dans les paradis fiscaux ». Une délibération prise le 25 février : ce jour-là, celui qui était encore ministre du budget annonçait qu’il était à la recherche de 6 milliards…
Sébastien Boistel