Moi, Nikola Karabatic, « l’exilé aixois »
Le footballeur est con, le rugbyman bourru, le basketteur américain, le cycliste dopé, le nageur fragile, le tennisman international, le volleyeur smicard, le pilote dangereux… Jusqu’à l’année dernière, il ne restait en France que le handballeur pour sauver le sport français. Et jusqu’à l’année dernière, moi Nikola Karabatic, j’étais ce sauveur. Malgré mon nom à consonance slave, les Français m’avaient progressivement intégré au panthéon des athlètes français. Faut dire que j’ai mis le paquet depuis mes débuts à Strasbourg en 1990 : 7 fois champion de France, 4 fois champion d’Allemagne, double vainqueur de la ligue des champions, double champion olympique, double champion du monde, double champion européen et une ribambelle de coupes… Et encore, je n’ai que 28 ans ! Les Zidane, Parker, Noah, Loeb, Manaudou peuvent aller se rhabiller pour afficher un tel palmarès !
Mais un palmarès ne fait pas tout. Car ce qui plaisait aussi chez moi, c’était ma simplicité et mon sens de la famille. J’ai toujours suivi les conseils de mes parents. C’est mon père qui me propose de signer à Kiel en Allemagne en 2004. C’est lui qui me conseille de revenir à Montpellier en 2009 où joue déjà mon frère Luka. C’est ma mère qui gère « Kara Kom Sports », la société qui s’occupe des contrats d’images. Et si j’ai choisi le Club d’Aix-Provence, pour fuir Montpellier, c’est bien parce que mon frère y avait trouvé refuge un mois avant. Bon évidemment, dans ce tableau idyllique, il manque une femme. J’en ai bien cherché une ces dernières années, mais autant je suis au top sur un terrain de hand, autant avec la gente féminine, je suis nul. La preuve avec Géraldine Pillet, ma compagne qui a parié sur le match Cesson-Montpellier 1500 euros en utilisant mon smartphone… et ma carte bancaire (1). Bon, en tout cas, c’est ce que j’ai dit à la juge. Comme tous les hommes modernes, je laisse mon téléphone et ma CB à ma femme, c’est bien connu !
Mon frère, lui non plus, n’a pas pêché le gros lot. Faut dire que Jeny (elle préfère ce diminutif à son vrai prénom, Jennifer, allez savoir pourquoi) était animatrice sur NJR Paris où elle présentait « Tellement chic », une émission sur le festival de Cannes. Puis elle est passée sur NRJ 12 pour animer « les anges de la télé-réalité ». Bref, la thune, ça l’a toujours faite rêver (2). Je suis certain que mon frère s’est laissé embarqué par cette greluche. Ce n’est pas possible autrement. Nous les Karabatic, nous n’avons pas pu tomber tous seuls aussi bas. Je ne vois pas d’autres explications. Nous étions au sommet du hand mondial, nous étions aussi bien payés que des footballeurs, j’avais des contrats avec Adidas, Visa, Kinder… et Betclic ! 500 000 euros par an, rien que pour voir ma tête dans des spots et des 4×3. Ce n’est pas compréhensible autrement, car avec le pari de ma compagne, au mieux, je pouvais palper 5 000 euros. C’était juste une semaine de salaire, pas le million ! Non, mais, vous me croyez assez con pour tout risquer pour 5000 malheureux euros ?
« Une affirmation identitaire, une forme de transcendance »
Voilà, quatre mois après le scandale, je me retrouve à Aix-en-Provence, un petit club promu dans l’élite. J’ai du diviser mon salaire par deux et perdre la plupart de mes sponsors (3). Ici, en Provence, ils ont l’air un peu plus habitués aux magouilles. Lors de mon premier match en championnat contre… Montpellier, j’ai été ovationné par le public, comme si de rien n’était. Personne ici ne me reproche d’avoir trempé d’une façon ou d’une autre dans un scandale qui ruine 20 ans d’exploits sportifs du hand français ! Mon arrivée est vécue comme une chance exceptionnelle ! Il y en a même qui ont parlé de moi comme « une affirmation identitaire qui contribue à une forme de transcendance », comme « un totem post-moderne », un « délégué narcissique ». Bon, faut dire que le mec qui avance ce genre de connerie n’est autre que Pierre Dantin, ex secrétaire général de l’OM et aujourd’hui directeur de la chaire « Société sport Management » à l’Université d’Aix-Provence (4) ! Bon, de toute façon, je ne vais pas faire de vieux os ici. Je ne suis pas Beckham moi. Je n’ai que 28 ans et encore pas mal d’années au haut niveau. Dans 6 mois, je pars pour Barcelone, qui est aussi bien en hand qu’en foot.
Surtout, je pourrais fuir cette justice française qui me cherche des poux depuis trois mois.
Enfin, bref, dans tout cela, ce qui me rassure un peu, c’est que mon père n’est plus là pour voir le désastre (5). Branko, c’est mon héros depuis que je suis né. Et pas seulement parce qu’il est mon père. Il était gardien de l’équipe de Yougoslavie de hand qui a participé aux Jeux Olympiques de Moscou en 1980. Son équipe avait été éliminée justement par le grand frère russe. Mon père avait été héroïque durant ce match et pour moi, il est resté un modèle absolu d’intégrité. C’était un autre temps, quand le hand était avant tout une affaire politique. C’était avant la chute du mur, avec l’épopée des Barjots, des costauds, puis des experts, avant la professionnalisation, avant les paris en ligne, avant ma chute, avant Aix-en-Provence.
Stéphane Sarpaux