Moi, Macha Makeïeff, « le complexe Deschiens »
France 3, La Provence, La Marseillaise, les radios… Ouf, le marathon des interviews insipides est terminé ! Quelle galère de répondre à tous ces journalistes qui posent les mêmes questions tout en cherchant à s’attirer ma sympathie et si possible des invitations pour les spectacles. Et quand même, je suis Macha Makeïeff ! Contrairement au cumulard Dominique Bluzet (Gymnase à Marseille, Jeu de Paume et Grand Théâtre de Provence à Aix) ou Nathalie Marteau, la pourtant très communicante patronne du Merlan, moi, j’ai ma page sur wikipédia ! Disons que je fais plus partie du PSG version Quatar que de l’OM version virage nord. Car, même si je suis née à Marseille, mon centre de gravité, c’est bien Paris. C’est à Paris que j’ai fait mes études, que j’ai rencontré Jérôme Deschamps, que j’ai commencé à mettre en scène des pièces de théâtre et d’opéra. C’est à Paris que j’ai mon atelier de plasticienne, à Paris que j’ai tourné mon premier film, à Paris que j’ai monté ma compagnie « Ma demoiselle ». C’est à Paris que j’ai publié des livres, que j’ai commencé à créer des costumes, que j’ai monté une société pour restaurer les films de Tati. Oui, je sais, je suis éclectique, une artiste, complète, curieuse, insatiable. J’aurais pu facilement mener cette vie d’artiste, tendance gauche caviar, qu’aiment tant les journalistes – parisiens – de Télérama et de France Inter.
Mais voilà, dans ma carrière, j’ai également eu le malheur de rencontrer François Morel, Yolande Moreau et Olivier Saladin. Entre 1993 et 2002, les Deschiens sont entrés dans tous les foyers français, renvoyant au beauf vautré sur son canapé un miroir à peine déformant de sa médiocrité. C’était un bon « peeling » pour tous ces Français de province qui font partie des 96 % de la population qui ne vont toujours pas au théâtre malgré 50 ans de politique volontariste. Excusez-moi, je m’égare. N’empêche, avec cette histoire de Deschiens, nous voilà, Jérôme et moi, projetés sur le devant de la scène comme des artistes visionnaires qui font partie des rares à avoir réussi la jonction entre exigence artistique et grand public. Le rêve pour les politiques ! Et d’ailleurs, ça n’a pas traîné. En 2003, nous prenons la direction artistique du théâtre de Nîmes. Les étourdis, L’Affaire de la Rue de Lourcine, Solo, la dernière danse… Du Labiche, du Beckett, de l’opéra ! On fait venir la capitale à Nîmes. Et là, on ne comprend pas, le public ne suit plus. Ils veulent encore et encore du Deschiens. Mais c’est fini, les Deschiens. Morts, enterrés, aux oubliettes. Heureusement qu’on a nos amis parisiens à Chaillot qui, eux, savent nous comprendre et nous aident à monter plusieurs spectacles dignes de ce nom.
A ce moment-là de notre vie d’artistes, contrairement à ce que chantait Léo, on bouffe plus des huîtres que des pâtes. Et comme tout le microcosme culturel parisien, on s’engouffre dans le sillage de Carla Bruni, passant allègrement de la gauche caviar à la droite décomplexée. Officiellement, évidemment, on ne fait pas de politique. Mais pour faire carrière dans la culture en France, c’est évidemment complètement déterminant. Et avec Nico et ses potes, c’est cool, ils sont tellement ignares en matière culturelle qu’on a l’impression d’être des agrégés dans une maternelle. Deux mois après l’élection de Sarko à la présidence, Jérôme décroche la direction du théâtre national de l’Opéra Comique. Du coup, Nîmes, on n’y met plus trop les pieds. Ils nous virent un an plus tard et c’est plutôt un soulagement. En suivant l’exemple de Nicolas avec son fils Jean, on en profite pour donner un coup de pouce à notre fille Juliette qui commençait à tourner en rond comme assistante de réalisation. Elle met en scène Altre Stelle en 2008, puis Les sept pêchés capitaux au théâtre des Champs Elysée. Mais elle ne va pas plus loin, préférant partir en tournée avec son fiancé, Mathieu Chedid.
N’empêche, devant toutes nos initiatives pour décomplexer la culture à droite tout en préservant les traditions de filiation culturelle, Nico nous fait chevaliers de la légion d’honneur fin 2009. Ego, te voilà comblé ! Pas tout à fait encore. Car Jérôme, je l’aime bien, mais j’ai aussi besoin d’exister sans lui. Cela doit venir de mes origines protestantes. Donc, je cherche un point de chute. Marseille ? Non, franchement, je n’y pensais pas autrement que pour y venir passer un week-end. Ou alors, je veux bien, mais uniquement pour diriger l’Opéra. En 2010, j’arrive à convaincre Fred, enfin, je veux dire Frédéric Mitterrand de me nommer là-bas. Mais à la mairie, comme toujours, c’est le bordel, Gaudin est d’accord, mais la résistance s’organise en sous-main (1). S’ensuit un an de négociations, où il faut que j’actionne mes réseaux à l’Elysée pour doubler Catherine Marnas (2), à qui l’on avait déjà promis le poste, et être nommée en janvier 2011, directrice de La Criée !
Une scène nationale complètement larguée et pleine d’amiante, mais c’était ça ou rien ! La première année, j’en profite pour placer ma dernière création, Apaches, et déclarer ma volonté de faire des choses « surprenantes » (3). Cette année, je déclame mon amour pour la ville et j’annonce mon programme : « Je veux ouvrir La Criée sur la ville, en faire un lieu convivial où l’on aime s’y retrouver. (4) » Franchement, qu’est-ce que vous voulez que je dise d’autre ? En un an, j’ai compris où j’avais mis les pieds. Vivre à Marseille, c’est bon pour le soleil et la mer, mais niveau culture, c’est le Far West ! Tout le monde se tire dans les pattes du matin au soir avec 2013 en toile de fond. Le clientélisme a tout nivelé par le bas. Mais moi, je ne veux pas me salir les mains. J’ai déjà donné à Paris avec Sarko. Alors, je fais de la langue de bois, car déjà, je le sens, je ne suis plus vraiment là. Aussi souvent que je le peux, je remonte à Paris (5), dans mon XIIe arrondissement chéri, au 7bis, avenue de Saint-Mandé, où sont installés mes bureaux, ma compagnie, mon atelier, ma vie d’artiste en somme.
Stéphane Sarpaux