Moi, Frank Mc Court, yankee trop puissant
Un homme élégant, la soixantaine grisonnante, aux faux airs de Laurent Ruquier, fait des bonds sur la Canebière devant la vitrine de la boutique officielle de l’OM. If you are not jumping, your’re not from Marseille ! And now, in French : si tu ne sautes pas, tu n’es pas marseillais ! Good heavens ! (1) Va falloir que je m’entraîne si je veux vraiment devenir « un acteur important de la communauté marseillaise » (2) Je me présente : Mc Court, Frank, le nouveau propriétaire de l’OM. La vente n’est pas encore finalisée mais je mouille le maillot pour séduire la veuve Dreyfus, les actionnaires, les instances du foot français, la presse. Je fais même des courbettes au Mayor. Comment il s’appelle déjà ? The fat man ? Ah oui, Jean-Claude ! Il m’a mis directement à l’aise celui-là. J’ai tout de suite compris que, comme moi, il ne comprenait rien de rien au soccer. « Il va falloir gagner, qu’il m’a dit. Il va falloir mettre des sous ! Et puisque vous en avez, c’est ce que vous ferez. » (3)
Des sous, j’en manque pas en effet. J’ai 1,2 milliards en poche. De quoi faire tourner les têtes dans cette ville de gagne-petit. Je m’adapte. J’essaye de n’oublier personne dans le plan « com » pour vendre mon « OM Champions Project ». Ça sonne bien, non ? « Sans les supporters, il n’y a pas l’OM tel que l’on connaît. » (2) « Il est très important que le Vélodrome reste accessible : je peux vous le promettre il y aura toujours des places réservées aux ultras. » (4) Milliardaire peut-être, mais au grand cœur ! Tonight we will… Tonight we will burn you out ! (5) Je maîtrise déjà les subtilités du championnat français façon de faire vibrer les fans marseillais. Objectif n°1 : « je veux battre Paris » (6) Straight to the goal ! (7) Dans le Massachusetts où je suis né, on n’a pas froid aux yeux. Alors, go OM ! Go OM ! Paris, Paris, we fuck you ! (8) Subtil, non ?
Quand on veut faire des affaires, faut savoir faire rêver. Pourquoi acheter l’OM ? « Parce que c’est le meilleur club de France et l’un des meilleurs du monde » (3) Pourquoi je me passionne pour Marseille ? Parce que cette ville est dans mon cœur depuis que mon père, en 44, a libéré la Provence avec la 40ème division blindée. Pourquoi gaspiller autant de dollars ? « On ne réalise pas une telle opération avec l’ambition de gagner de l’argent. » (2) Ça c’est pour la galerie bien sûr. Damn it ! Sérieux, vous ne pensez pas quand même que les States c’est Disney world ? Parole d’Irlandais : je viens ici pour faire du cash bien entendu. What else ? Money ! J’ai d’abord essayé d’acheter Tottenham Hotspur, le club de foot londonien. Trop cher. C’est comme chez moi : j’avais toujours rêvé d’être le proprio des Red Sox, l’équipe de baseball de Boston, ma ville natale. Et j’ai dû me contenter d’acheter celle des Dodgers de Los Angeles. Excellente opération, cela dit, quoi qu’on en dise !
« J’ai l’ambition d’être propriétaire très très longtemps ! »
Ok, sous ma gouvernance les Dodgers ont fait faillite avec 200 millions de dollars de dettes. Ok, on me soupçonne d’avoir détourné 180 millions. Ok, avec moi, le club n’a remporté aucun titre en neuf saisons. Yes, j’ai décroché la deuxième place du Top 10 des pires propriétaires de l’histoire de la MLB, la ligue nord américaine de baseball. Mais happy end ! Après avoir lessivé les Dodgers, achetés pour 430 millions, j’ai réussi à les revendre 2 milliards de dollars : une plus-value historique aux Etats-Unis ! Et vous en déduisez, petits malins, que je spécule maintenant sur la revente rapide de l’OM, qui va seulement me coûter à l’achat 50 petits millions d’euros ? Même pas vrai ! La preuve, c’est moi qui l’affirme dans votre « grand » quotidien du soir, c’est dire si c’est du solide : « Pour ma famille et moi, j’ai l’ambition d’être propriétaire de l’OM pour très très longtemps. Je vois cela sur plusieurs générations, pour mes fils et pour mes filles. » (2)
Je les entends ricaner d’ici à Los Angeles ! La famille Mc Court ! Mon divorce avec Jamie, que j’ai eu le malheur de nommer présidente des Dodgers, m’a coûté 20 millions de dollars, le plus cher de l’histoire de la Californie (9). J’ai même essayé de la virer de son poste après une aventure avec son chauffeur et un voyage en France aux frais du club. Toute la presse US se gausse de la façon dont nous avons utilisé l’argent des Dodgers comme s’il était le nôtre. Le Los Angeles Times mégote parce que mes deux fils ont perçu respectivement 400 000 et 200 000 dollars de salaire annuel alors que l’un travaillait chez Goldman Sachs et que l’autre était étudiant à Stanford (10) Bullshit ! (11) Comme les gens sont mesquins face à ceux qui réussissent ! Heureusement, en France, vous n’avez pas tous la haine contre l’esprit d’entreprise. Monica, ma nouvelle femme, a fait sensation lors de notre première virée au Vélodrome. Son truc, c’est les chevaux. Pour lui faire plaisir, j’ai acheté le Longines Global Champions Tour, une compétition internationale de sauts d’obstacles, et un haras de 40 000 m2 en Floride.
No way ! (12) Ils ne semblent pas s’effrayer les Marseillais malgré mon CV. Ils sont morts de faim ou quoi ? C’est peut-être parce que c’est déjà le Far West ici. Je vais me plaire dans cette ville. Y a des bagnoles partout. C’est cool. C’est mon premier métier. Ma famille a fait fortune en construisant des routes. J’ai fait fructifier l’héritage dans l’immobilier, comme Donald Trump, en rachetant à bas prix des terrains pour en faire des parkings. La grande classe ! « Je ne suis pas les Qataris » (6) Je n’arrête pas de le dire : je ne peux pas arroser de dollars l’OM comme ils le font pour le PSG. Mais j’ai d’autres ressources. Pour les Dodgers, j’ai payé plusieurs centaines de milliers de dollars un gourou russe afin d’envoyer des « V Energy », des ondes positives, à toute l’équipe (13). Come on ! Oublions tout ça ! Et une dernière pour la route : We are the Marseillais / You guys are fucker ! / We’ll show no mercy ! / Cause we will kill you ! / When OM will score ! / Our stade will explode ! / From the corner will rise / The Marseillais’song ! (14).
Portrait « poids lourd » publié dans le Ravi n°144, daté d’octobre 2016