Moi, Alain Gardère, « le prophète de la sécurité »

mai 2012
Troisième préfet délégué à la sécurité et à la défense en Paca nommé par Sarkozy en deux ans, Alain Gardère assure le show sécuritaire. Sa mission : convaincre que l’Etat est déterminé à faire régner l’ordre dans la Babylone marseillaise. Au moins jusqu’au dimanche 6 mai, le 2ème tour de l’élection présidentielle…

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Si tu ne viens pas à Alain Gardère, Alain Gardère ira à toi ! Je suis bon quand même ! « Je suis le meilleur technicien de sécurité publique, et je le dis en toute humilité. » (1) Je suis le boss, le cador, et j’ai un sacré humour par-dessus ça. « Lagardère ira à toi ! » Le Bossu, Jean Marais, vous vous souvenez ? Personne ne sait que la formule fait référence au Coran où l’on raconte que si Mahomet ne vient pas à la montagne, la montagne viendra à Mahomet. Faut que je dise à Claude qu’il a nommé un préfet halal ! Personne ne le sait, mais c’est un marrant Guéant, on rigole bien ensemble. Je m’éclatais bien avec lui au ministère de l’Intérieur où il m’a choisi comme directeur de cabinet en mars 2011. Mais le devoir c’est le devoir ! La plus grande ville française gérée par l’UMP est aussi celle qui affiche le pire bilan en matière de sécurité. C’est moche pour Sarkozy. Alors on m’y a envoyé en urgence jouer les matadors en septembre dernier. J’adore !

« Faisons la chasse aux mecs avinés »

Salut, les gars, c’est moi le sauveur ! Je sais que je suis de passage. Soit les Français vont virer Sarko, soit Sarko va me virer comme il a fait sauter avant moi les deux autres fusibles. Mon prédécesseur n’est resté préfet délégué à la sécurité que huit mois. Un bon flic pourtant ce Gilles Leclair mais trop sincère. « Je ne résoudrai pas à moi tout seul les difficultés liées à une ville pauvre, je ne suis ni le sauveur, ni Jésus Christ ! », qu’il a carrément avoué aux journalistes (2). Mais si mon gars ! Nous sommes les vengeurs masqués, les prophètes de la sécurité, les pourfendeurs du crime. Faut surtout pas prendre trop au sérieux tous les blablas sur la culture du résultat ! L’essentiel ce n’est pas vraiment de faire reculer la délinquance, on va pas quand même siphonner notre fonds de commerce. Faut convaincre les gens que la situation est grave mais qu’elle est bien en main. Des cow-boys ! Ils veulent des cow-boys !

Nicolas, c’est mon modèle. Dès 2002, lorsqu’il était le patron à l’Intérieur, j’étais directeur de cabinet à la Direction générale de la police nationale auprès de Michel Gaudin, l’un des proches de notre omni-président. En 2007, j’ai soutenu ouvertement sa candidature, « pire qu’un colleur d’affiches » (3). Il ma récompensé en me nommant, en 2005, directeur de la police urbaine de proximité de Paris. Auprès de Sarko, j’ai retenu la leçon : en toute circonstance, l’essentiel c’est de la ramener. Et puis du mouvement, du mouvement ! Du rythme, du rythme ! Et surtout : de la visibilité. Un exemple ? Pour sécuriser la porte d’Aix à Marseille, Leclair avait posté une compagnie de CRS. Moi, j’ai poussé une gueulante parce qu’ils passaient les journées dans leur fourgon. Patrouillez ! Circulez ! Cela ne sert à rien ? On s’en fout ! Faut se montrer !

« La population marseillaise a droit à avoir de la sécurité visible, en tout cas dans l’hyper centre ville. » (1) Et bien « faisons la chasse aux mecs avinés qui pissent sur les portes et dorment par terre » (1), aux Roms, aux voyous. Bravo Monsieur le maire UMP Jean-Claude Gaudin pour votre arrêté anti-mendicité. D’accord, ce n’est pas très charitable pour un bon croyant mais vous serez absous lors de votre prochain voyage au Vatican ! Autre solution ? Les caméras de surveillance ! « Il y en aura 300 en 2012 et même 1600 en 2013 ! » (5) Ah, elle va être belle l’année de la capitale européenne de la culture. Cela ne sert à rien les caméras ? Tout le monde le sait mais cela rassure les bons citoyens. Aucun élu, à gauche comme à droite, ne peut d’ailleurs s’y opposer sauf à passer pour un laxiste irresponsable.

« Pas le temps de céder aux états d’âme »

Et les quartiers dans tout ça ? Ben là, c’est pas pareil. Faut y faire surtout du ramdam de temps en temps, envoyer la cavalerie de la Brigade anti-criminalité pour amuser les sauvageons, aligner les Robocops quand le ministre débarque, faire une descente avec les journalistes après chaque fait divers. Bon, début mars par exemple, Guéant a été obligé de revenir à Marseille après trois assassinats par balle. Kalachnikov. Au Panier, des jeunes ont flingué le gérant d’une boîte parce qu’ils s’étaient fait vider la nuit. Mon métier exige de l’imagination, un certain talent littéraire et le sens de l’improvisation. Que dire ? Que c’est triste pour moi et pour mon bilan chiffré ? Non, mieux vaut déclarer que « c’est triste pour les Marseillais et pour la ville de Marseille qu’un homme soit mort pour une telle futilité » (6). En janvier, cité La Paternelle, la BAC trouve dans le coffre d’une voiture dix fusils d’assaut, 20 chargeurs et leurs munitions. Que dire ? Que les armes circulent toujours librement dans les quartiers ? Non, plutôt que « ce petit événement illustre le travail très accompli depuis plusieurs mois » (7).

Je ne suis pas né de la dernière pluie. J’avais 26 000 hommes sous mes ordres dans l’agglo parisienne. Ils sont seulement 3000 ici et l’heure n’est toujours pas à claquer du fric pour embaucher des fonctionnaires, même ceux en uniforme. L’urgence : tenir jusqu’au 2d tour de la présidentielle. Aux journaleux, j’ai lâché : « Moi, je ne fais pas de politique et je n’ai guère le temps de céder aux états d’âme. » (5) Il suffit de le dire pour le croire ! Mais mon job, c’est quand même bien d’assurer les arrières de Claude et Nicolas. Ma meilleure réplique depuis mon arrivée ? C’est ma répartie au gros Mennucci, le maire socialo de secteur qui se plaignait que Guéant ne tienne pas ses promesses d’augmenter les effectifs de police : « un ministre de l’Intérieur ne ment pas ! » (8) Allez, circulez, y a rien à voir !

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