Mineurs en mode majeurs
L’information n’a pas filtré du petit monde de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Début juin, le ministère de la justice temporairement mis fin au centre éducatif fermé (CEF) pour mineurs de Brignoles (83) suite à la mise en examen de son directeur et de deux éducateurs, accusés de violences envers un de leurs pensionnaires.
Cette fermeture est la dernière d’une longue liste pour ces structures présentées comme des alternatives à l’incarcération pour les mineurs récidivistes. Sécurisation de plus en plus présente, éducateurs non formés, absence de projet pédagogique, efficacité contestée, violences, etc., les dérives sont nombreuses depuis leur ouverture en 2002. Dans ses rapports, le contrôleur général des lieux de privation de liberté a utilisé des gros mots pour les qualifier : « atteinte grave aux droits des enfants à leur éducation », « à leur santé » et « à la vie » ! On pourrait croire au retour des sordides colonies pénitentiaires…
Créées par la droite, les CEF, comme les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) ouverts en même temps, devaient mettre fin à l’image de l’impunité des mineurs, en particulier ceux des quartiers populaires. Jusque-là primait l’ordonnance de février 1945 qui considérait qu’un jeune délinquant était un jeune en grande difficulté et en danger et avait instauré la primauté de l’éducatif sur le répressif. « Début 90, l’image des quartiers populaires bascule dans la peur et la différence entre gauche et droite sur cette question s’estompe », rappelle le sociologue Laurent Mucchielli, directeur de l’Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux. « L’histoire de la PJJ a été de sortir des lieux d’enfermement, mais on y retourne », dénonce Vincent Massani, éducateur rattaché au tribunal de grande instance de Marseille et co-secrétaire national du SNPES-FSU, un des principaux syndicats de la PJJ.
Inversion des normes
Si l’accompagnement des jeunes délinquants (social, éducatif) continue de se faire majoritairement en milieu ouvert (maintien à domicile, unités éducatives, familles d’accueil…), les CEF sont en effet en train de devenir « la norme », une « étape dans leur parcours », assure Laurence Le Louët, co-secrétaire nationale du SNEPS en charge du Sud. « Ils sont devenus une réponse un peu trop systématique, y compris pour les primo délinquants », abonde François Lavernhe, secrétaire général adjoint de la CGT PJJ. « En 2005, il y avait trois foyers PJJ à Marseille. Aujourd’hui, il n’y en a plus qu’un, mais deux CEF et un EPM. Ça change tout ! », dénonce encore Vincent Massani. Et ça ne devrait pas changer. Le nouveau président de la république a promis de doubler le nombre des centres fermés. Ils sont aujourd’hui 51 en France, dont quatre en Paca (1).
« Les emplois et les moyens de la PJJ ont été recentrés sur les milieux fermés, qui coûtent beaucoup plus cher », résume Laurent Mucchielli. Baisse des investissements publics et décentralisations obligent, l’institution est également de plus en plus dépendante des collectivités locales. En Paca, une des premières mesures du LR Estrosi a été de couper les crédits à une douzaine de structures d’insertion…
Cette inversion des normes a été accompagnée d’une politique pénale de plus en plus répressive. Sous Sarkozy, la PJJ a été amputée de l’aide sociale à l’enfance et a perdu en mixité ce qu’elle a gagné en pauvreté. S’est aussi imposée l’idée qu’il doit y avoir une réponse pénale à chaque acte. « Ce serait faire du tort à un gamin de ne pas le faire et c’est censé avoir une vocation pédagogique, comme le passage par les geôles du tribunal et le déferrement devant un magistrat, ironise Marion Lagaillarde, juge des enfants à Marseille. Mais ça a des conséquences : nous n’avons pas le temps de bien connaître le gosse, de réfléchir à une décision. On ne fait pas dans la dentelle. » Et cette ancienne présidente du syndicat de la magistrature (classé à gauche) de soupirer : « L’institution est tellement maltraitée qu’elle est devenue maltraitante. »
« On ne considère plus que les mineurs délinquants sont d’abord des gamins en grande difficulté, en danger. On ne voit parfois même plus ce qu’ils sont : des gamins ! », se désespère Vincent Massani. « On oublie que ce sont des ados, peut-être avec plus de problèmes que d’autres, et qu’ils ont simplement besoins d’évoluer », insiste François Lavernhe.
Record d’incarcérations
Si elle reconnaît volontiers que « le discours sur la justice des mineurs s’est durcit », qu’on demande à la PJJ de « faire disparaître les mineurs délinquants », Michèle Guidi, la directrice interrégionale Sud de la PJJ (Paca et Corse) réfute par contre tout « abandon de l’éducatif » par ses services, qui accompagnent chaque année quelques 5000 mineurs et jeunes majeurs. « Je peux comprendre que les éducateurs aient ce sentiment puisqu’ils travaillent désormais sur les décisions de justice, mais notre rôle reste de changer l’image des jeunes, de leur éviter la détention », insiste l’ancienne « DI » de l’Île de France. Et de poursuivre : « On parle des CEF, mais on a créé une troisième unité en milieu ouvert à Nice, on a augmenté le nombre de famille d’accueil et depuis mon arrivée le taux d’incarcération a baissé. »
Début juillet, SNPES, CGT, SM, LDH et quelques autres se sont pourtant inquiétés du taux de détention de mineurs en France au 1er juin : 851. Le plus fort depuis 15 ans selon eux. Au 1er juillet, il y en avait 871, dont 114 en Paca…
1. Le quatrième CEF est celui de Montfavet (84). Il y a également quatre quartiers pour mineurs dans les prisons de Paca (86 places), qui auraient du fermer avec la création des EPM…