Marseille Provence, capitale de la puéri-culture ?
Dans cette quête du Graal qu’est celle d’une place en crèche à Marseille, après nous être cassés les dents tant du côté associatif, privé, municipal que parental (comme à Paris, c’est au moment de la conception qu’il faut s’inscrire), on tomba rapidement sur le « 06 » d’une mystérieuse « nounou » qui, dans le 1er, avait monté une « crèche alternative ». L’idéal pour « dépanner ». Jusqu’à ce qu’on apprenne, par la presse, que la crèche était… clandestine ! De quoi mettre en lumière les limites de la politique de la petite enfance dans la deuxième ville de France, comme vient de le faire la Chambre régionale des comptes (Cf le Ravi n°111) qui, dans le cadre d’une enquête nationale sur le sujet de la Cour des comptes, a également décortiqué la situation martégale.
Pourtant, pour Colette Babouchian, l’adjointe à la petite enfance à Marseille : « Notre politique de la petite enfance n’a pas à rougir. » (sic) Tout en rappelant que cela « ne fait pas partie des compétences obligatoires des communes » (1). Reste qu’avec moins de 6000 places pour 32 000 enfants de moins de trois ans, à Marseille, seul « un enfant sur trois bénéficie d’un mode de garde », « un sur cinq » l’étant « dans une structure collective » et « un sur dix par une assistante maternelle ». Dans sa réponse, la ville annonce, en additionnant le nombre d’enfants par assistante maternelle et en considérant qu’il y a jusqu’à trois enfants par place en crèche, « 17 203 places d’accueil » et un « taux de couverture de 47 % » ! Comme si la pénitentiaire confondait capacité d’accueil et surpopulation carcérale…
Alors, quand la ville assure avoir « créé 1 583 places de crèche entre 2007 et 2011 », la CRC corrige : « Entre 2007 et 2011, 1 583 places ont été créées, dont 1 089 par le secteur associatif, 429 par le secteur privé et 65 par la ville ». Et « si le secteur communal représente encore 43,43 % de l’offre d’accueil collectif, son poids est en diminution constante ».
Opacité et pénurie
Au-delà du peu de visibilité de la ville en matière de garde individuelle (pour elle, il y aurait « 7 931 places auprès d’assistantes maternelles » alors que, d’après la Caf, seuls « 3 344 » enfants en bénéficient), la CRC met en évidence des « disparités territoriales » non seulement « croissantes » mais de surcroît « cumulatives ». Ainsi, au regard du taux de couverture, « plus de 40 points d’écart séparent l’arrondissement le mieux pourvu (8ème) de l’arrondissement le moins bien pourvu (3ème) ». C’est bien connu : les riches n’ont pas que ça à faire et les pauvres du temps et de la famille (2).
A cela s’ajoute l’opacité dans l’attribution des places : « Les parents ne sont pas informés de la tenue et des dates » des « réunions d’affectation », « la composition des réunions n’est ni connue, ni formalisée, ni publique » et « les réponses négatives ne sont pas transmises aux familles ». Cerise sur le gâteau ? « Il existe une procédure interne non écrite en cas d’intervention d’élus de secteur »… Commentaire de la socialiste Morgane Turc, en charge du dossier dans le 1/7 : « La ville a beau rappeler que la petite enfance, ce n’est pas une compétence obligatoire, la vérité, c’est qu’elle ne gère tout simplement pas cette question. Prenez la crèche Amédée Autran. Dès 2009, les services sanitaires et de sécurité ont tiré la sonnette d’alarme. Malgré les menaces de fermeture de la préfecture, ce n’est que cet été, quatre ans après, que les travaux ont commencé. Comment s’étonner si fleurissent les crèches clandestines ? »
Sourire d’une directrice de crèche associative : « Les conséquences pour nous de cette situation ? On sait qu’on aura toujours de la demande. Et que, quoi qu’on propose, les parents seront toujours contents. Quant aux pressions pour des passe-droits, il y en a. Mais pas des gens de la mairie : ils se tournent vers les crèches… municipales. Ça n’a rien d’exceptionnel. Comme de voir une famille perdre sa place en crèche quand un parent perd son travail. On subit ici aussi une politique globale où les structures doivent accueillir de plus en plus d’enfants avec du personnel de moins en moins formé et nombreux. Après, rien d’étonnant à ce qu’une ville préfère financer une structure associative que de gérer une crèche municipale… »
Logique de remplissage
De son côté, la Caf – qui, à l’instar du département et de la PMI (Protection maternelle et infantile) fait partie des principaux acteurs de la politique de la petite enfance – se refuse à trancher entre la ville et la CRC. Mais tient à préciser que « si les Bouches-du-Rhône sont souvent présentées comme faisant partie des "mauvais élèves", la situation est plus complexe. Certes le taux de couverture global est inférieur à la moyenne de 54 %. Mais, si le taux de couverture en accueil collectif est inférieur à 15 % en France, il est meilleur dans le « 13 » puisqu’aux alentours de 20 %. Ce qui fait la différence, c’est le mode de garde individuel : le taux de couverture est inférieur à 20 % dans les Bouches, contre 35 % au national. Il y a ici une véritable appétence pour les modes de garde collectifs. Question de coût. Mais aussi de confiance. » Quant à la situation de Marseille, la Caf note que « le taux de couverture est inférieur à celui du reste du département ».
De fait, pour Marie-Laure Cadart, ancienne responsable de la PMI sur Aix, le rôle des villes est loin d’être négligeable : « dès les années 80, la Caf a incité les communes à créer des places. Et si, à partir de 2005, le dispositif est devenu moins intéressant, dès cette époque, on a pu distinguer ceux qui faisaient des efforts et les autres. Tant quantitativement que qualitativement. A Aix, il y avait un vrai travail de réflexion sur l’accueil, notamment des enfants handicapés, un travail qui, à mon sens, n’avait pas été fait sur Marseille. »
Sauf qu’entre temps, s’est imposé, poursuit Marie-Laure Cadard, « une logique comptable de remplissage ». Et « l’ouverture du secteur au privé. C’est ainsi qu’en 2009, les crèches sur Aix ont été confiées à une société, les Petits Chaperons Rouges ». Un phénomène encouragé suite au rapport en 2008 de la députée UMP du 06, Michèle Tabarot, et que connaît bien la Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants (FNEJE) : « On est passé de l’accueil de l’enfant dans sa globalité à une simple problématique de garde où, ce qui compte, c’est de concilier vie familiale et professionnelle. » Et si l’orientation, au niveau local, dépend autant de la volonté du département que du dynamisme municipal et associatif, d’après la FNEJE, « face au coût, de plus en plus de villes, comme Nice, se tournent vers le privé. Ou les micro et autres pseudo-crèches. »
Soupir de Marie-Laure Cadart : « On recommence à oublier l’enfant. Et l’on considère qu’il est normal que, dans une crèche, ça pleure. Ce qui n’empêche pas que, localement, cela se passe bien. Comme par exemple à Rognac. Ou à Martigues. » Las, la municipalité communiste aura refusé de répondre à nos questions, notamment sur le rapport de la CRC, celui-ci n’ayant pas encore été soumis au conseil municipal. Et l’adjointe à la petite enfance de nous assurer mordicus ne pas être au courant de l’existence d’un tel document ! Baby-sitting blues…
Sébastien Boistel
1. Colette Babouchian n’a pas donné suite à nos demandes d’interview.
2. La préfète à l’égalité des chances, Marie Lajus, non plus.