Marseille lost in transition
C’était fin juin 2015, à quelques mois de la Cop 21. Malgré le refus du LR Jean-Claude Gaudin d’accueillir Alternatiba à Marseille, un tour de France des alternatives aux dérèglements climatiques, l’étape marseillaise s’est posée sur le cours Julien, dans l’hyper centre de la ville. Sans les organisations institutionnelles, refroidies par la décision de la mairie, quelques 140 associations et entreprises de l’économie sociale et solidaire ont fait découvrir leurs solutions.
Deux ans après, si la sauce de cet « Alternatibaïoli » est un peu retombée, la dynamique perdure. « Il y a eu un essoufflement. Mais un réseau non organisé s’est constitué, porté par des gens qui ont envie de faire autrement », explique Pierre, qui fait partie de la dizaine de militants à prolonger l’aventure (1). Une envie qui vit sans les élus locaux. « Ils partent du principe que les gens se bougent au lieu de se demander comment faire bouger les gens. On le voit sur la question des ordures ou de la place du vélo dans la ville », se désole Pierre, bien décidé à les mettre à contribution dans le cadre du « Grand défi 2017 » d’Alternatiba, la mise en place d’alternatives à grande échelle. Un « grand défi », assurément !
Pourtant, si Gaudin est lost in transition, Marseille a les deux pieds dedans. Revégétalisation des rues par les habitants, multiplication des épiceries bio et/ou paysannes et de vrac, des Amap (association de maintien de l’agriculture paysanne) et de jardins partagés, agriculteurs urbains, projets de supermarchés coopératifs et d’habitat participatif, monnaie complémentaire, fournisseur d’énergie renouvelable, etc., la ville fourmille d’initiatives. Elle possède même un collectif, un site Internet et, depuis peu, un mensuel associatif dédiés à la transition (2). « Marseille ville en transition » est un collectif informel, qui est là pour médiatiser des pratiques qui y sont initiées, proposer des pistes d’action au niveau local et montrer que la transition est possible, que les citoyens ont du pouvoir », explique Johan, 26 ans et principal animateur des trois.
Parmi les solutions les moins connues, La Roue, une monnaie complémentaire provençale née dans le Vaucluse. Après un départ poussif, elle commence à se développer. Une quarantaine de commerçants l’acceptent désormais. « Son rôle est de relocaliser l’économie, mais pas à la manière de Marine Le Pen !, explique Alice Blanchard, psy de la protection de l’enfance de 26 ans, rencontrée à la permanence hebdomadaire de Seve 13, l’association qui la porte, à l’Equitable café (le jeudi de 18h à 20h). L’idée c’est que cet argent ait un circuit vertueux, qu’il soit dirigé vers l’économie réelle et locale. » Dans la pratique, une roue égale un euro et sa durée de vie est d’un an, afin d’éviter l’épargne et la spéculation. On s’en procure dans les « bureaux de change » installés dans des commerces de la ville (3). A terme, l’objectif de l’association est de faire rentrer leurs fournisseurs dans la boucle, pour que la roue tourne pleinement.
Autre initiative méconnue, Enercoop Paca. Lancée il y deux ans, la coopérative propose une électricité 100 % verte grâce à un approvisionnement chez des producteurs d’énergie renouvelable (éolien, solaire, biomasse, hydroélectricité), dont une dizaine en Paca (4). Elle compte aujourd’hui 3500 clients dans la région (850 à Marseille). « Nous proposons aux citoyens de se réapproprier leur énergie et de la relocaliser », insiste Virginie Gallon, la responsable de communication de la coopérative. En plus de la fourniture d’électricité, Enercoop Paca accompagne des projets de production, « essentiellement en milieu rural », « afin d’agir sur la filière ». La solution a un coût : 10 à 15 % de plus sur la facture.
A Marseille, la transition est aussi citoyenne. A côté du mouvement de solidarité envers les migrants ou des résistances à la transformation de la ville à coup de bulldozers, comme celle à la réhabilitation de La Plaine, des alternatives émergent aussi dans ce domaine. Comme « Brouettes et compagnie », dans le troisième arrondissement de la ville, un des territoires les plus pauvres de France. Créé pour pallier l’absence de bibliothèque sur le secteur – ce sera des déambulations mensuelles avec une brouette de livres -, ce collectif d’habitants « en marche et en démarches » se retrouve aujourd’hui de tous ses combats : les transports, les écoles, le projet de requalification urbaine du secteur, les conseils citoyens, etc.
Surtout, il expérimente, comme dans sa dernière bataille, l’ouverture au public du couvent de la rue Levat, 17 000 m2 de bâti et de verdure rachetés par la ville l’année dernière. Elle en a confié la gestion pour trois ans au collectif d’artistes Juxtapose. Le collectif aimerait bien y imposer une maîtrise d’usage. « Dans leurs projets de réhabilitation, les pouvoirs publics oublient ce que souhaitent les habitants et comment ils occupent ces lieux. Sur le couvent, on pourrait imaginer leur laisser le temps de mettre en place leurs usages », propose Claude Renard, une ancienne chargée de mission à l’Institut de la ville. Encore un (très) grand défi !
Jean-François Poupelin
1. https://www.facebook.com/alternatiba.marseille
2. http://m-v-t.info
3. http://seve13.org
Enquête publiée dans le Ravi n°151 daté mai 2017