« Marseille est une et indivisible »
La formule est un refrain connu. Elle permet de balayer toute référence au fameux clivage Nord/Sud censé traverser la ville. Les deux visions sont toutes aussi fausses. Il n’y a pas un clivage mais une multitude de frontières qui fractionnent la ville en autant de quartiers et d’habitants mis dos à dos. L’étude Compas sur les disparités socio-spatiales à Marseille est sans appel : « Entre 2000 et 2009, les écarts entre territoires riches et territoires pauvres se sont très fortement accrus. Ainsi, en 2000, l’écart entre le revenu médian du 3ème arrondissement et celui du 8ème était de 1000 €. Il est passé en 2009 à 1400 € environ. » Cette ville émiettée est aussi le résultat d’une politique urbanistique sans autre projet que de construire partout où c’est possible.
En cela, la révision du plan d’occupation des sols de 2001 est exemplaire. « Ils se sont précipités pour la boucler avant l’entrée en application de la loi de Solidarité et de renouvellement urbain (SRU) qui avait notamment des prescriptions assez précises en matière de protection de l’environnement », explique Jean Canton. Résultat : des pans entiers de la ville au Nord et au Sud sont ouverts à l’urbanisation. Marseille y perd ses dernières zones maraîchères, celles-là même que le nouveau plan local d’urbanisme s’efforce de préserver.
Outre qu’elle a nourri le secteur du BTP, cette politique poursuit une ambition, la croissance d’une ville qui a perdu nombre de ses habitants dans les décennies précédentes. Durant les années Gaudin, la ville connaît un véritable boom immobilier dont les premiers acteurs et bénéficiaires sont les grands groupes de promotion immobilière. Le sociologue André Donzel a épluché le fichier Perval qui rassemble l’ensemble des transactions immobilières passées par les études notariales. Le résultat est saisissant : « Les opérateurs privés (entreprises du BTP et sociétés de promotion immobilière) avec 55 % des surfaces acquises entre 2000 et 2004 ont accru leurs interventions dans tous les secteurs de la ville », écrit-il (1). En centre ville et dans les quartiers sud cela représente 68 % et 75 % des surfaces mises en vente.
« La taille des opérations privilégient les grands groupes nationaux et internationaux, commente-t-il aujourd’hui. Et contrairement à une idée reçue, elle ne renforce pas l’accession à la propriété mais l’investissement locatif par le biais des dispositifs de défiscalisation. » Nous sommes très loin de l’ambition de la propriété pour tous et encore plus loin de la volonté de faire venir des ménages solvables à Marseille. Ceux-ci fuient une ville dépourvue d’espaces verts et asphyxiée par les bouchons quotidiens, où les espaces publics conviviaux sont des centres commerciaux.
Durant ses années à la Ville, Jean Canton souffre sans cesse de l’ingérence du cabinet du maire : « Nous avions tous les mercredis une réunion en mairie consacrée aux permis de construire. Longtemps, j’ai cru naïvement que la liste des permis à étudier émanait du service concerné. En fait, elle passait d’abord par le directeur de cabinet du maire, Claude Bertrand, qui mettait un oui ou un non en face de chaque permis. L’élue appliquait ensuite à la lettre ses indications. »
À l’hôtel de ville, toute décision passe d’abord par la réunion du lundi dans le bureau du maire à laquelle assiste la garde rapprochée : quelques élus, les hommes de cabinet et les directeurs des sociétés d’économie mixte. « Croyez-moi, Gaudin est au courant de tout », note encore Canton. Charles Boumendil en était un habitué. Ancien membre du cabinet, le directeur de Marseille Aménagement a été le principal maître d’œuvre des grandes opérations urbaines jusqu’à son départ à la retraite en 2013. Les terrains y étaient distribués sans mise en concurrence. Une façon de faire qu’a soulignée la Chambre régionale des comptes lors de son contrôle de la gestion de la Sem cette même année. Cela a donné lieu à l’ouverture d’une enquête préliminaire pour des soupçons de favoritisme. De perquisitions en auditions, celle-ci confirmerait les soupçons des enquêteurs de la CRC. Si cette dernière débouche sur une instruction judiciaire, cette nouvelle affaire risque d’écorner l’image d’incorruptible que le maire tient tant à préserver.
Benoit Gilles & Julien Vincent (Marsactu)
1. Le nouvel esprit de Marseille, éditions l’Harmattan
Pour « célébrer » dignement les 20 ans passés par Gaudin dans le fauteuil de maire de Marseille, il n’en fallait pas moins de deux rédactions ! En juin, le Ravi a ainsi accueilli dans ses colonnes Marsactu. Nous étions ravis de soutenir ainsi le pure player phocéen, liquidé en mars, repris en avril par ses journalistes. Ils préparent pour la rentrée leur grand retour en ligne. le mensuel « pas pareille fête donc aussi la nécessaire renaissance de la presse marseillaise indépendante !