Marseille antisociale
A son arrivée à la mairie de Marseille, en 1995, Jean-Claude Gaudin aurait dégainé son stylo pour annoncer au préfet qu’il ne réaliserait pas le programme de plusieurs centaines de logements sociaux, dont une partie dans les quartiers sud, initié par son prédécesseur. Un symbole de la politique du sénateur-maire UMP !
Pour preuve, 19 ans plus tard l’histoire se répète. En décembre dernier, Un centre ville pour tous a déposé un recours contre le plan local d’urbanisme de la ville, voté fin juin 2013. Pour cette association de défense du droit au logement, il contrevient au plan local de l’habitat (PLH) de la communauté urbaine (Cum, l’institution compétente) en ne comportant « aucune mesure contraignante en matière de logement et de mixité sociale […] pour accroître l’offre de logements sociaux […] », indique le document. Exemple : en-deçà de 120 logements, les promoteurs n’ont aucune obligation d’inclure du social à leur projet.
Avec 19,22 % de logements sociaux sur son territoire (quelques 72 500), Marseille est pourtant loin d’être un cancre. Elle fait même partie des (très) bons élèves au niveau régional. Mais cet exploit en cache un autre moins glorieux : alors que certains arrondissements de la ville ont des taux supérieurs à 40 % (14ème et 15ème arr.), d’autres se contentent de moins de 5 % (6ème et 7ème arr.) (1) ! De plus, dans une ville où 80 % de la population peut prétendre au logement social, dont 60 % au très social, les besoins sont immenses. Quelques 32 000 dossiers sont constamment en souffrance… « On n’a pas à rougir de ce qui a été fait, plaide Yves Moraine, porte-parole de campagne de Jean-Claude Gaudin et maire des 6/8. Les deux dernières années où nous étions majoritaires à la Cum, 2006 et 2007, nous avons construit 1500 logements sociaux par an en moyenne, contre 800 en 2012 et 2013 pour la gauche. » Et l’avocat de poursuivre : « On fait du social dans les 6ème, 8ème et 10ème arrondissements, mais en privilégiant les petites opérations. »
Les chiffres officiels sont un peu moins glorieux. Si Marseille construit des logements sociaux, c’est surtout sur le secteur d’Euroméditerranée (2ème et 3ème arr.), sous l’impulsion de l’Etat. De plus, selon le diagnostic du PLH 2012-2018 (1), aucun logement social n’est par exemple sorti de terre en 2009 et 2010 dans le 8ème arr. Pire, Pascal Gallard, directeur adjoint de l’Association Régionale HLM (2), a une vision inverse des livraisons entre 2000 et 2012 : « Jusqu’en 2008, il y a eu entre 800 et 1000 logements sociaux livrés sur MPM, dont Marseille représente 80 %; jusqu’à 2000 depuis 2009. » Et d’expliquer, avec force diplomatie : « Il y a des efforts de la part de la mairie, mais on est limité dans les résultats. Il y a probablement un manque de moyens et de volonté politique. »
« On n’a pas à rougir ! » Jean-Claude Gaudin a aussi (surtout ?) une approche très politique du logement social. « Il est toujours persuadé d’avoir perdu en 1983 à cause des logements sociaux construits dans les quartiers sud », se désespère un cadre d’un bailleur local. D’où son refus d’en construire dans cette partie de la ville, pour ne pas y installer une population jugée pauvre et favorable à la gauche, et sa volonté de privilégier le logement social pour classes moyennes (PLS) dans les programmes. La foi du maire au dieu marché a enfin livré la seconde ville de France aux promoteurs et à la spéculation. « A la construction de logements qui rapportent », résume Jean-Marc Coppola, chef de file du Front de gauche pour les municipales.
Mais Marseille est également victime d’une mode : le retrait de l’Etat et la perte de compétences chez les bailleurs sociaux. « Comme pendant longtemps ils ont privilégié la réhabilitation de leur patrimoine, ils n’ont plus les appareils de production en capacité de répondre à la demande politique, poursuit notre cadre sous couvert d’anonymat. Les élus se tournent donc vers les grands groupes, qui travaillent dans leur intérêt et non celui des collectivités. » Et de proposer sa solution au problème : « Il faut construire pour les 80 % qui en ont besoin et garder 20 % de logements pour riches ! »
Curieusement, la proposition n’apparaît dans aucun programme. D’ailleurs, à part au Front de gauche, qui en a fait sa deuxième priorité et promet notamment « l’application de la loi SRU et même plus dans tous les arrondissements », les candidats aux municipales ne font pas du logement social l’un des principaux enjeux des municipales. Même Pape Diouf, sensible lui aussi au sujet, ne semble pas complètement « changer la donne ». « Le logement sera bien placé, mais pas tout en haut de la liste comme je l’aurais voulu. Lorsqu’on habite à la Busserine [quartiers nord, Ndlr], ça n’est pourtant pas simple de trouver un emploi », regrette Jean Canton, président d’Un centre ville pour tous et tête de liste « nouvelle donne » dans les 2ème et 3ème arr. (3).
Alors qu’il multiplie les conférences de presse thématiques depuis début janvier, Patrick Mennucci (PS) n’en avait toujours pas réunie sur le sujet au moment du bouclage du Ravi. Mais il a répondu présent à l’invitation de la Fondation Abbé Pierre pour détailler ses propositions et proposer un rééquilibrage territorial du logement social, le 7 février, au côté d’Arlette Fructus, adjointe UDI au logement, défendant le bilan de la ville de Marseille. De son côté, Jean-Claude Gaudin noie ses rares idées dans la « solidarité et la lutte contre l’exclusion ».
Rien d’étonnant, selon Pascal Gallard. Explication : « Je comprends la prudence des élus, beaucoup d’entre eux se sont brûlés les ailes sur le sujet. S’il est mis en lumière, il est rejeté. » Et le candidat avec.
Jean-François Poupelin