Marseille 2040 : Breaking Bad
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Selon la position que l’on adopte pour observer le système de santé français, l’impression n’est pas la même. Impression rassurante lorsque l’on considère que le traitement contre un cancer commence après que le malade ait tendu sa carte vitale au secrétariat d’un service spécialisé. Pas de Breaking-Bad chez nous, on ne paye pas son traitement en devenant dealer de drogue comme dans cette série américaine désormais culte.
Par contre, celui qui aura dormi une nuit sur un brancard dans des urgences agitées, sans savoir qui l’emportera en premier entre un infirmier pressé et la pathologie qui lui vaut d’être là, gardera cette impression de défaillance grandissante du système de santé.
On assiste à tout d’un brancard. Infirmiers et médecins surmenés, tensions entre personnel soignant débordé et patients impatients. On voit ces gens qui viennent ici juste pour le tiers payant, tellement les temps sont durs ne laissant à certains que peu d’argent à avancer, même pour la santé. On poireaute encore parce qu’il n’y a pas assez d’anesthésistes ou simplement parce que le système informatique préhistorique vient à nouveau de planter.
Dans les chambres, ça n’est pas mieux. L’hôpital est souvent saturé sauf certains. Eux, ils sont en sous-régime. Vides d’activités. La répartition n’est plus équilibrée. On se débat à la ville pendant que dans trop de campagnes, trop de montagnes, et même dans certains quartiers populaires, soufflent dans ces déserts médicaux la même tension qu’avant un duel de western. Notre bon vieux système de santé se craquelle et personne n’accepte d’en porter même une petite part de responsabilité.
Les Agences régionales de la santé, sortes de préfectures médicales, ambitionnent des réorganisations, mais souffrent de cette lenteur toute administrative faite d’inertie et d’indécisions. Les fusions d’hôpitaux ou leurs réorientations stratégiques se heurtent aux résistances solides d’élus locaux soucieux de conserver l’emploi et les voix qui vont avec. Les syndicats (particulièrement FO à Marseille) gardent à l’esprit leur hégémonie, parfois même sur l’intérêt du patient. Les médecins ne sont pas tous prêts à laisser à des infirmiers qualifiés certains actes médicaux qui leur libéreraient pourtant du temps mais les rendraient moins importants. L’industrie du médicament impose tranquillement et sans résistance du ministère de la Santé ses prix prohibitifs et arbitraires portés par une sécurité sociale qui de son côté dé-rembourse toujours plus pour chercher un équilibre.
L’équilibre est précaire et demande des efforts. Le système de santé depuis toujours est sur un fil. Mais se lève le vent de la grande dépendance. Celle qui accompagne la plus grande longévité des Français. Notre Région est particulièrement concernée. Comme par les maladies chroniques d’ailleurs qui s’installent toujours plus dans le quotidien de ses habitants. Le moment est charnière. Arrive le temps des grands mouvements, pour se reprendre, et éviter ainsi les derniers soubresauts d’un système de santé qui deviendrait toujours plus mauvais. Façon Breaking-Bad.
Philippe Pujol
Vient de paraître Marseille 2040 , « le jour où notre système de santé craquera », éditions Flammarion, 224 pages, 15 euros.
Tribune publiée dans le Ravi n°161, daté avril 2018