Marseille : 2013 pour sauver 15 ans de flou artistique

janvier 2012
Jean-Claude Gaudin, le sénateur-maire UMP de Marseille, n'a pas aimé qu'un journaliste du Ravi, invité sur le plateau de France 3, souligne son médiocre bilan culturel. Cet article, publié en décembre dans nos colonnes dans une enquête co-réalisée avec Mediapart, confirme que la Capitale européenne de la culture aura fort à faire pour redresser en 2013 la situation.

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« Aix, c’est la culture classique, Arles marie la tradition antique et la création contemporaine, et Marseille ?, demande le géographe Boris Grésillon. Ce pourrait être les arts vivants. Mais, alors que d’autres villes, comme Lille ou Lyon, ont fait le choix de politiques fortes, il manque à Marseille des priorités et un affichage. » L’ex-porteur du projet 2013, Bernard Latarjet, aime à raconter comment Marseille a remporté le gros lot en expliquant benoîtement au jury européen « qu’il fallait nous sélectionner parce que nous étions les plus mauvais ».

Ce n’est pas que la ville manque d’atouts. « Mais elle les maltraite, estime Bernard Aubert, le programmateur de la Fiesta des Suds. Elle aurait pu être la capitale du rap, mais elle a laissé partir les meilleurs. C’est la même chose avec la scène littéraire ou le cinéma. On préfère construire une patinoire, qui est vraiment l’équipement le plus ridicule du mandat de Gaudin. » Sport ou culture ? Très longtemps, le maire a penché pour le premier. « Quand Marseille s’est portée candidate à pour accueillir la Coupe de l’America de 2007, la Ville voulait même vendre l’esplanade du J4, pourtant déjà promise pour la construction du Mucem (musée des Civilisations Europe Méditerranée), pour y faire une marina », rappelle Nicolas Maisetti, doctorant en sciences politiques.

Certains s’accrochent, comme le festival Marsatac, baladé de lieu en lieu depuis sa création en 1999, faute d’espace de musique de plein air approprié. « Pendant longtemps, Marsatac a été une espèce de gros mot pour Gaudin, des empêcheurs de tourner en rond qu’on déplaçait de site en site au dernier moment », affirme Dro Kilndjian, le programmateur du festival. L’édition 2011 a finalement atterri à La Friche de La Belle de Mai et a dû refuser quelque 3 000 spectateurs sur deux soirées, à cause d’une jauge insuffisante.

D’autres hésitent, comme Mireille Batby qui, deux ans après avoir installé son laboratoire artistique à Marseille, se demande si elle ne va pas quitter la ville faute de soutien. « J’ai rapidement trouvé ici une vitalité incroyable, des Marseillais très intéressés par la culture, explique-t-elle. Mais malgré la reconnaissance des professionnels, personne ne suit du côté des institutions qui préfèrent orienter l’argent vers les structures les plus grosses et les plus visibles. C’est un immense gâchis. »

« Gaudin considère que la culture fait perdre des voix »

Au tournant des années 1990, sous le mandat de Robert Vigouroux, Marseille connaît pourtant une certaine effervescence culturelle. Nommé adjoint à la culture, le poète Julien Blaine double son budget entre 1986 et 1995 (de 4,3 % à 8,3 %). « Je voulais favoriser l’implantation d’artistes de France et de l’étranger pour dynamiser l’image de la ville, qui était bien pire à la fin des années Defferre qu’aujourd’hui », explique-t-il, outré que Gaudin ait « détruit » cette dynamique. Apparaissent alors la Friche de La Belle de mai, le musée d’Art contemporain (Mac), Lieux publics – Centre national de création pour les arts de la rue et la scène nationale du Merlan dans les quartiers Nord, le Centre international de poésie et une collection d’arts africains et océaniens à la Vieille Charité…

Même Daniel Hermann, l’adjoint à la culture du maire de Marseille, rappelle qu’à son entrée en fonction en 2008, il n’y avait aucun musée marseillais doté des trois étoiles dans le Guide vert : « Il y avait à Marseille un désintérêt total pour les musées, alors qu’on a l’une des plus belles collections d’art moderne à Cantini ! » Témoin de cette déperdition, la Vieille Charité ne revit qu’un an sur deux lors des grandes expositions. Quand le public ne trouve pas porte close… « Il manque du personnel alors on ferme un étage, voire le musée lui-même ou on raccourcit les expositions, se désole Jean-Pierre Zanlucca, employé municipal à la Vieille Charité et délégué SDU 13-FSU. Ce n’est pas du service public. » Après vingt ans d’existence, la librairie de la Vieille Charité a jeté l’éponge fin octobre 2011.

En ligne de mire de la mairie, « le niveau des équipes actuelles, [qui n’est] pas à la hauteur [de ses] ambitions ». Avec celui de la propreté, ce service détient le record du taux d’absentéisme (22 % selon la mairie, 40 % selon le syndicat SDU). Mais à qui la faute ? « Le service du patrimoine [quelque 250 agents, NDLR] sert à reclasser les fonctionnaires territoriaux depuis vingt-cinq ans », dénonce Jean-Pierre Zanlucca. Face au défi de 2013, la Ville s’est lancée dans une remise à niveau : restructuration des treize musées de la ville, formation du personnel, négociation de nocturnes et d’horaires d’ouverture alignés sur ceux des musées nationaux. Et Daniel Hermann n’est pas peu fier d’avoir obtenu 32 millions d’euros de la Ville pour la rénovation du musée d’Histoire de Marseille qui devrait rouvrir avec 3 000 m2 en plus en 2013.

Côté bibliothèques marseillaises, le tableau n’est guère plus reluisant, malgré l’ouverture en 2004 de l’Alcazar, une magnifique bibliothèque municipale à vocation régionale (BMVR). Son dernier directeur, Gilles Éboli, dernier conservateur d’État en poste à Marseille, a claqué la porte en décembre 2010 (1). « Il avait été recruté pour préparer 2013, donc les équipes sont découragées, constate Muriel Gallon, cadre à la bibliothèque de Marseille et déléguée SDU. La BMVR de Marseille est désormais la seule bibliothèque française classée avec des fonds patrimoniaux d’État, sans conservateur d’État. Alors qu’à Lyon, ils sont 14 ! »Avec 136 millions d’euros en 2011, Marseille consacre 9,4 % de son budget à la culture. La somme est loin d’être ridicule, mais elle est en grande partie absorbée par les grosses structures (Opéra, théâtres de la Criée, du Gymnase, du Merlan et musées). « Et Jean-Claude Gaudin a ouvert le budget de la culture à des manifestations qui n’en avaient pas du tout le profil comme le carnaval de Marseille », ajoute Julien Blaine. Le député UMP Renaud Muselier, éternel dauphin de Jean-Claude Gaudin (2), défend le bilan : « Nous ne sommes jamais intervenus sur la programmation, notre priorité a toujours été la liberté des acteurs culturels marseillais. » Et de mettre en avant deux exemples : la rebelle Friche de La Belle de Mai et le festival (de danse et des arts multiples) de Marseille. « La Ville le subventionne le FDAmM à hauteur de 1,5 million d’euros tout en me laissant la maîtrise de la programmation, salue Apolline Quintrand, sa directrice. Mais son action s’arrête là, alors que d’autres métropoles ont compris l’intérêt d’accompagner et de valoriser les structures culturelles. »

« À part le folklore provençal, la culture n’intéresse pas Gaudin, qui considère, à tort, qu’elle fait perdre des voix, contrairement aux sports ou à l’économie », déplore Julien Blaine. Elle ferait même peur aux élus marseillais qui ont tendance à s’abriter derrière un saupoudrage proche du clientélisme, en aidant un peu tout le monde pour que personne ne meure. Il faut attendre la campagne municipale de 2008, pour que Jean-Claude Gaudin commence à parler des vertus touristiques de la culture. « Ils ont mis un peu de temps à comprendre !, s’exclame Daniel Hermann. Bilbao avait assimilé bien avant que poser des grands gestes architecturaux, avoir 20 % de population étudiante, une industrie culturelle, c’était bon pour le développement d’une ville. »

2013 est arrivé à point nommé. « C’est Jean-Claude Gaudin qui a décidé de se lancer dans la Capitale européenne de la culture, précise Jacques Pfister, directeur de la CCI et président de MP2013. De fait, c’était un de nos axes depuis des années ! C’est également lui qui a choisi Bernard Latarjet. » L’ancien patron de la Villette a surtout regardé la mer en arrivant en 2007. De nombreux chantiers vont voir le jour entre le Vieux-Port et Arenc : Mucem, centre régional de la Méditerranée, hangar J1 et salle de concert du Silo. Bernard Latarjet s’est allègrement approprié « cet ensemble culturel et urbain entièrement dédié à la culture sans équivalent en Europe ».

Au moins, 2013 aura permis à la Ville, qui bâtit et rénove à tour de bras, de rattraper son retard en équipements culturels. « À côté du budget de MP2013, il y a quelque 700 millions d’euros investis sur le territoire, dont les deux tiers à Marseille, se réjouit Jacques Pfister. Toute cette rénovation de la façade portuaire, enfin rendue aux habitants, va faire un bien dément à l’image de Marseille ! Après, il faudra les faire fonctionner au-delà. »

Reste à continuer sur la lancée. « Pour la prochaine mandature, l’enjeu sera désormais plus les contenus que les contenants, déjà réalisés », constate Patrick Mennucci, maire PS des 1er et 7e arrondissements, qui se verrait bien à la tête de Marseille en 2014. « De beaux équipements ne font pas une vision culturelle, met en garde Boris Grésillon. Il faudra se donner les moyens de les faire vivre, d’aller chercher le public. »

Louise Fessard

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