Mais où est Jean-Luc ?
Vous aimez « Où est Charlie ? » ? Vous adorerez « Où est Jean-Luc ? » ! Facile à repérer, pas à attraper, Mélenchon : après un 1er mai marseillais, voilà qu’il s’envole, après la « fête à Macron » et un passage par le stade Vélodrome, pour la Russie. Alors, élu de la Nation ou de Marseille ? Agacé, le patron de la France insoumise rappelle qu’il est aussi celui d’un « groupe parlementaire » et qu’il n’a « même plus de week-end ». Mais la polémique sur son recours à « Airbnb » pour se loger illustre les interrogations sur sa présence. Sa suppléante, l’écolo Sophie Camard, grimace : « Ça a pris du temps mais on lui a trouvé un meublé. Idem pour la permanence. On cherche un lieu plus visible. »
Lui rêve d’un « balcon » pour « appeler à la manif ». Pour l’heure, pour accéder au fief marseillais des insoumis, il faut grimper les étages d’un immeuble sans plaque ni drapeau. Et il n’y est pas : « Il devait venir en fin de semaine, se désole son assistante. Mais jeudi, il a une grosse émission. » Confession d’une proche : « D’ordinaire, après une élection, on a le temps de prendre nos marques. Là, ça a commencé sur les chapeaux de roue. Les élus sont donc à Paris tout le temps. Et plus sur le terrain. »
Le bilan « parisien » du « Marseillais » est donc élogieux, l’insoumis des quartiers nord, Samy Joshua mettant en avant un « groupe qui assure visibilité et efficacité ». Et Camard d’asséner : « C’est le principal opposant à Macron ! » Mélenchon, lyrique : « On est passé du candidat singulier à l’équipe plurielle. » Mais qui doit se contenter de la rue pour « construire le rapport de force » et faire « sauter le verrou entre partis, syndicats et associations ».
Quand on insiste, dents et rangs se serrent. Joshua trie : « Prenez Alexandra Louis, la macroniste des quartiers nord. Ici comme à Paris, son bilan est nul ! » Camard renchérit : « On n’arrête jamais. On n’a même pas eu le temps de faire le bilan. » Et de brandir une carte de Marseille des endroits où l’édile est intervenu : « Il est allé partout ! »
L’écolo esquisse un schéma. Au centre ? La permanence. D’un côté, les sollicitations : les « cas individuels », les sujets « marseillais », les demandes « classiques », les questions « militantes »… Et, de l’autre, les réponses. Avant de soupirer : « Evidemment, tout le monde veut Mélenchon ! Mais, avec une telle notoriété, c’est le jeu. Alors, quand il débarque, il faut lui trouver quelque chose à faire et on n’a qu’à piocher. » Elle cite les déplacements à la cité Air Bel, à l’usine Gémalto… Et même ceux où « il n’y a pas de journaliste ». Moue dubitative de Jean-Marc Coppola du PCF : « Nous aussi, on est allé à Air Bel. Mais avant lui. Et sans caméra. »
Pas simple de jongler entre les attentes locales, les campagnes « nationales », le mouvement social ainsi que les européennes. Sans parler des municipales où tout le monde le presse avec une insistance qui le fatigue. Si Danièle, militante de « base », souligne son plaisir à jouer les « écrivains insoumis » à la permanence et à mener les campagnes dans son « groupe d’appui devenu groupe d’action », l’articulation entre « horizontalité » et « verticalité » reste compliquée (cf le Ravi n°152). Le patron des « insoumis », fustigeant le fonctionnement des partis, joue le flou artistique à propos d’un « mouvement gazeux » qui, reconnaît-il, va forcément se « rigidifier » avec les élections à venir : « On ne peut rien faire sans équipe sur le terrain. »
Ce qui en a déjà découragé certains : « Avant qu’il ne soit candidat ici, on savait que ce qui se faisait au niveau local ne l’intéressait pas. Quand il a jeté son dévolu sur Marseille, on a su que c’était fini », déplore, sous couvert d’anonymat, un ancien militant. Quand on lui parle des cortèges, des militants à la permanence, il fait la moue : « Oui, c’est le côté Parti de gauche. Avec les défauts et sans les qualités. Ce qu’il faudrait, c’est ne pas singer le mouvement social et surtout dépasser la Vème République. Mais Mélenchon, c’est la Vème dans toute sa splendeur. » Et de lâcher : « Quoique, depuis le début, il fait du François Ruffin. Ce n’est pas pour me déplaire. Mais l’agit prop, ça ne peut être l’alpha et l’omega. Comme la rue. Et puis Macron, ce n’est pas le diable. Mais pour Mélenchon, la politique, c’est la poursuite de la guerre par d’autres moyens. »
Une âpreté que l’on retrouve entre « FI » et le PC : « Les tensions existaient avant les élections, note Joshua. Mais cela va au-delà de ce que l’on pourrait attendre. » Il est clair qu’en « off », d’un côté comme de l’autre, ce n’est pas tendre. Ce qui n’est pas sans faire penser aux relations tumultueuses avec les médias ! Camard râle : « D’un côté comme de l’autre, on est dans de l’irrationnel. » Même si, explique-t-il en substance, il s’est calmé. Moyennant quelques pare-feux…
D’ailleurs, la veille de la marche anti-Macron du 26 mai, le déjeuner de presse auquel est convié le Ravi se veut apaisé. On parle de tout, de rien. Soudain, après presque trois heures, en évoquant les derniers sondages, Mélenchon renverse les rôles : « Et vous, comment vous expliquez que je remonte ? », nous demande-t-il, avec des étoiles dans les yeux. Alors, il est où, Jean-Luc ? Loin, très loin !
Sébastien Boistel
Enquête publiée dans le Ravi n°163, daté juin 2018