L’opium du peuple
Pour un dossier intitulé « Tous drogués », quel meilleur interlocuteur que Jean-Luc Bennahmias ? Mais pas sur n’importe quelle addiction : celle au pouvoir. « Élu sans discontinuer pendant près de 20 ans », l’ancien parlementaire européen écolo en parle d’autant plus librement qu’il est presque à la « retraite » : « J’arrête de me présenter. Pas de faire de la politique », sourit celui qui, siégeant au conseil économique et social, vient de sortir un livre sur Nicolas Hulot.
Pas question de nier que « le pouvoir est addictif. C’est jouissif. Certes, tu bosses comme un dingue mais tu as une vie de prince. Tu n’as même pas le temps de dépenser le fric que tu gagnes ! Tu es dans un cocon. Tout t’est payé. Mais tu n’es plus dans la vraie vie. » Difficile donc d’arrêter. « Pour des raisons financières. Mais aussi pour continuer à exister. Comme dans le sport, la culture ou l’entreprise. Et c’est encore pire quand on n’a connu que ça. »
Le conseil municipal de Marseille a tout de la réunion de junkies. Commentaire d’un collègue voyant claudiquer le centriste Jacques Rocca-Serra : « Sa fille a beau avoir pris sa place, il vient encore… » Faut dire que l’exemple vient du sommet. Après avoir annoncé sa démission de la métropole au profit de l’actuelle présidente LR du Conseil départemental Martine Vassal, Jean-Claude Gaudin fait les gros yeux à qui lui demande quand il fera de même à l’hôtel de ville. Rappelant avoir quitté le Sénat la mort dans l’âme, il clame : « La politique, c’est toute ma vie ! »
Soupir de Xavier Méry : « Il n’a que ça. C’est vital pour lui. » Alors que celui qui se partage entre son poste d’adjoint (LR) à la solidarité et son école privée assure ne souffrir d’aucune addiction : « Enfin si. Depuis que je suis élu, je me suis rendu compte que je suis accro à ce qui faisait ma vie jusque-ici : la philosophie. » Même credo pour le 1er adjoint LR Dominique Tian, qui martèle, lui aussi, qu’il a « autre chose dans sa vie ». La voile, l’hôtellerie… Ainsi qu’une condamnation – dont il a fait appel – pour détournement de fraude fiscale et déclaration mensongère de patrimoine. C’est donc « un peu contraint et forcé que j’arrête », avoue celui qui a aussi perdu son siège de député. « Mon seul regret ? Ce sera de ne pas m’occuper des JO en tant qu’élu. Et de ne plus faire les mariages. »
Et quid des avantages ? « Il n’y en a aucun ! Les chauffeurs ? Moi, je circule en deux-roues. Les notes de frais ? Je paye tout ! Quant aux voyages, je n’y participe jamais. Et puis, l’addiction, c’est pas forcément mauvais. Heureusement que dans les petites communes, il y a des élus suffisamment attachés à la fonction pour être disponibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. C’est un sacerdoce ! »
Autre « retraité » à l’insu de son plein gré, le socialiste Patrick Mennucci : « Je suis pas accro au pouvoir. A la politique, à la limite. Mais c’est moins compliqué de décrocher que de la cocaïne. Et puis, je n’ai pas eu le choix. J’ai été battu (par Jean-Luc Mélenchon aux législatives, Ndlr). A part faire un coup d’état… » Et de nous renvoyer vers le film qui vient de sortir sur son ultime campagne.
Classique dans le monde de l’addiction, le déni : « Je ne vois pas de quoi vous parlez. Je ne suis pas du tout accro. Et je vous assure que je suis dans la vraie vie », tonne la sénatrice PS Samia Ghali. Autre classique ? La fuite : « Voyez avec mon collaborateur », nous expédie Martine Vassal, ce dernier nous renvoyant vers le « service presse ». Celui de la métropole, du département, ou, bientôt, de la ville de Marseille ?
Et dans la galaxie d’extrême droite, ça taille sur l’air de « moi, non, mais les autres… ». Ancien proche du sénateur frontiste Stéphane Ravier, Antoine Maggio prolonge son intervention dans l’hémicycle où il s’est interrogé sur ce que cache la ligne « divers » des dépenses de la mairie des 13/14, se demandant « combien de places achetées pour la foire » et ce que coûte la « location du Dôme pour les vœux » : « La politique, une drogue ? Ça dépend des fonctions. Et des personnes. Il y en a à qui ça monte à la tête… »
Sandrine D’Angio, la nièce de Ravier, à laquelle ce dernier a cédé son siège de maire de secteur, serre les dents, affirmant que la seule chose à laquelle elle est accro, c’est à la nicotine. Son sénateur d’oncle, Stéphane Ravier, lui, nous montre son portable. Avant de la jouer franc jeu : « Évidemment qu’il y a de quoi perdre pied. Au Sénat, il y a même des huissiers pour porter votre valise ! Et puis, faut pas se mentir. Quand vous passez devant une aire de jeux ou un stade et que vous vous dites "c’est moi qui l’ai fait", c’est putain de bandant ! Mais très vite, vous comprenez que, même si vous avez une écharpe, un titre, certes, vous avez un peu de pouvoir mais pas le pouvoir. Pour ça, faut être au sommet, pas dans les travées. »
Autant dire qu’à En Marche, plus personne ne croit ceux qui jurent qu’ils ne feront qu’un mandat. Et un responsable local de distinguer « l’addiction de celui qui fera tout pour conserver sa place et celle du débutant. C’est un peu la différence entre anciens et nouveaux riches. Le pire, ce sont ceux qui n’avaient eu aucun engagement. Quand ils ne font pas des selfies avec Macron – ou Mélenchon – ils sont tout contents de faire BFM… » Ce qui ne l’empêche pas d’afficher un sourire radieux : « L’addiction au pouvoir, on la retrouve partout. En Marche s’est même bâti dessus. C’est en jouant sur ça qu’on a réussi à faire exploser le PS et les Républicains ! » Gare à l’overdose !
Sébastien Boistel