L’ONF a la gueule de bois
« On se décrit ça Sébastien ? » Jérôme Guyot responsable pour l’office national des forêts (ONF) de l’unité territoriale du Luberon, accompagné de Sébastien Bataille, chef de projet aménagement, sont en plein boulot. Avec leurs sept autres collègues techniciens forestiers, ils se chargent de l’inventaire de la forêt communale de Lourmarin (84). Joli terrain de jeu, dans le parc naturel régional du Lubéron. Cet inventaire, nécessitant environ 15 jours, aboutira à la confection d’un plan de gestion, une de leurs activités principales. Par parcelles, ils analysent le peuplement forestier, la taille des arbres, leur état de santé, évaluent la nécessité de procéder à des coupes etc. C’est qu’il faut les suivre ces « hommes en vert » et éviter les éraflures dans cette forêt touffue de chêne vert et de pin, aux odeurs de sève et de thym.
L’ONF, avec ses 10 000 personnels (dont 6 000 fonctionnaires) gère les forêts publiques, soit 11 % du territoire et 25 % des forêts françaises. Les missions sont nombreuses : supervision de la coupe de bois, aménagements, études, mais aussi mission de police, d’accueil du public et – surtout dans le sud – prévention des risques incendies. Avec un objectif primordial : assurer une gestion durable du parc forestier, dernier rempart écologique. Mais depuis des années, pour beaucoup de forestiers, la coupe est pleine. En mai dernier, plusieurs manifestations ont été organisées en France, dont Avignon, pour dénoncer une privatisation rampante de cet établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC, il gère son propre budget) déficitaire de 40 millions d’euros en 2017 sur un budget de 800 millions d’euros et endetté à hauteur de plus de 300 millions d’euros.
Agents sous pression
La revendication principale : protester contre la recherche à tout crin de la rentabilité d’un patrimoine public depuis Colbert. « Il n’y a plus qu’une seule chose qui compte, c’est la coupe de bois », fulmine Sébastien Bataille, également secrétaire général du SNUPFEN (1) pour les Bouches-du-Rhône et le Vaucluse et qui s’exprime en dehors de son service. Avec comme conséquence, moins de temps pour les missions régaliennes de l’office, alors que les postes ont été gelés et la dotation de l’Etat figée depuis des années (120 millions d’euros par an). « Il existe un vrai malaise. Forestier, c’est un métier de passion, on ne rentre pas à l’ONF par hasard. Et beaucoup, notamment ceux qui sont là depuis 15 ou 20 ans, ne partagent plus les orientations de l’office aujourd’hui. »
Tissu de mensonges selon Olivier Rousset, directeur de l’ONF pour les régions Paca et Occitanie : « On demande aux agents d’élaborer des plans de gestion et de les mettre en œuvre. Il n’y a pas plus de demandes de coupes de bois telles qu’elles sont prévues dans le plan de gestion. Et aucune pression. On valorise cependant du bois que nous ne ramassions pas auparavant. » Cela notamment grâce au développement de la filière bois énergie (pour la production d’énergie comme à la centrale biomasse de Gardanne dans les Bouches-du-Rhône) et des prix qui repartent à la hausse après 20 ans de crash. Ce que dément Sébastien bataille : « il existe des coupes non réglées, qui ne sont pas prévues dans les aménagements et c’est la direction territoriale qui les demande. Et puis, quand celle ci vient nous voir, le premier critère d’évaluation, c’est le nombre de mètres cubes coupés par rapport à l’an dernier. Nous subissons de réelles pressions. »
Privatisation rampante
Autre souci, le recours de plus en plus massif à des salariés de droit privé, « contractuels ». S’il y en a toujours eu dans l’administratif, certains ont été embauchés sur le terrain. Or, ils ne sont pas assermentés, et ne peuvent donc jouer leur rôle de police. Avec le principal avantage pour l’ONF d’économiser sur le coût des cotisations retraites, ce qu’Olivier Rousset ne conteste pas. Une situation qui devrait s’aggraver : 30 % des effectifs vont partir en retraite dans les trois ans. Pour faire rentrer du cash et éviter de supprimer des postes à tout va, l’ONF a également mis en place des agences aux activités concurrentielles : bureaux d’études, travaux d’aménagement. Ce qui n’a visiblement pas suffi. La faute également au désengagement partiel de l’Etat qui ne prend plus en charge les retraites depuis 2006 : 80 millions d’euros annuels à la clé.
« Comme le reste de la société, le métier et les missions changent à une vitesse folle, le modèle économique a très peu évolué et les agents ont beaucoup de mal à s’adapter, constate Laurence Lelegard Moreau, directrice territoriale par intérim pour le 13 et le 84, entre le marteau et l’enclume et syndiquée EFA CGC, représentant les ingénieurs. Il faut s’adapter mais l’office est en réorganisation permanente. Nous avons une direction bulldozer qui cherche, à droite et à gauche, comment combler le déficit. Le problème majeur est qu’on nous demande de tout faire mais les dotations de l’Etat ne suivent pas. L’équation est insolvable ! » Si pour elle, qui fait un parallèle avec un système de santé qui doit marger à tout prix, la privatisation complète de l’office n’est pas dans les cartons, « l’ONF n’est plus seulement qu’un service public. Le langage marketing utilisé depuis 20 ans est à l’opposé du forestier. La direction manque clairement de pédagogie ». Gare à l’incendie !
Clément Chassot
1. Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l’espace naturel, lié à Solidaires. Une intersyndicale s’est créée, représentant 85 % du personnel.
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