Ligne nouvelle : la rébellion va bon train
Alain et Marie-Claire Etienne s’activent. « C’est la seule réunion dans le Var, il s’agirait de pas la rater ! », ironise cette dernière. Le couple vit à La Crau, quartier des Tourraches. Leur maison familiale date de la Révolution française, le chêne a plus de 250 ans et la valeur sentimentale qu’ils portent au lieu n’a pas de prix. Pourtant, si l’on en croit les tracés de SNCF réseau (feu RFF) dans quelques années leur quartier sera soit « écrasé » par la « ligne nouvelle Provence-Côte d’Azur » (LNPCA), soit encerclé par des pylônes de plusieurs mètres de haut ! Ils apprennent la nouvelle cet été, un peu par hasard, alors que les élus locaux, eux, sont déjà au courant depuis un moment, notamment leur maire Christian Simon (1) qui est aussi conseiller régional LR. Le couple Etienne et une cinquantaine de voisins, se sont depuis regroupés en association, qui vient grossir les rangs de toutes celles qui se sont créées contre la LGV, feu la « ligne à grande vitesse », et qui poursuivent désormais le combat contre sa cadette, la LNPCA.
La salle communale est pleine à craquer, plus de 350 personnes se sont déplacées, parfois d’assez loin. « Et un soir de semaine en plus », note Alain Etienne qui avec l’association a fait le tour des boîtes aux lettres pour prévenir les habitants de La Crau de cette réunion de concertation. « D’information, oui, plutôt !», lance Marie-Claire. Une seule dans le Var, et une réunion de synthèse le 21 décembre. Les collectifs varois fulminent… Jean-Michel Cherrier, ancien chef de mission pour la LGV et qui rempile pour la LNPCA se justifie : « Le Var est en "priorité 2", c’est normal qu’il n’y ait qu’une réunion puisque là nous venons parler de la "priorité 1" et de l’échangeur de La Pauline [ndlr : qui concerne les Etienne] » (2). Une chose est sûre, collectifs et décideurs n’ont pas le même sens des priorités ! Le débat durera trois heures trente et sera plus que houleux.
Une LGV jamais enterrée
Les collectifs ne sont pas dupes, la LGV n’a jamais été enterrée, même si la cour des comptes a dénoncé (en 2014) « un modèle à bout de souffle » et que RFF est criblée de milliards de dettes. Elle a juste été remastérisée avec des trains qui sont censés rouler moins vite mais qui coûtent toujours plus cher, pour l’instant 22 milliards d’euros pour 220 km (jusqu’à Vintimille) soit 100 millions du kilomètre. Un record ! «Tout ça pour transporter qui ? Des attachés-cases ? Des bronze-cul ? Ou la population locale ?, nous lance Gérard Demory de la Confédération environnement Méditerranée. C’est de la pure com, y’a qu’à voir la plaquette [ndlr : un annuaire de 245 pages sur papier glacé]. Comme si l’argent coulait à flot… C’est honteux, on est dans un autre monde ! » Même constat amer du côté de l’adjoint au maire de Signes (DVD), Joseph Fabris : « Ils mènent ce projet en effaçant toutes les oppositions. C’est beaucoup trop onéreux et destructeur de l’environnement. Vous vous rendez compte combien de collèges ou de crèches on pourrait construire avec une somme pareille ! »
Pour le financement, on repassera, car même SNCF réseau ne le connaît pas. Les associations dénoncent une omerta et un manque de transparence. « Tout s’est fait par en dessous », explique Nadyne Chevret, présidente de Stop nuisances Cuers. « On nous a vendu la LNPCA comme un nouveau projet, alors on a joué le jeu et on a demandé un nouveau débat public, pour informer la population. Ce qui nous a été refusé ! » Avec d’autres associations, ils ont attaqué en justice. « Alors que d’un côté SNCF réseau martèle à la presse qu’il s’agit d’un nouveau projet, la société dit le contraire à la commission des débats publics… », note Olivier Lesage, président de Stop TGV Coudon.
Le jouet des politiques
En tête de wagon, Estrosi, Gaudin et Falco. C’est un peu à celui qui aura la plus grosse… gare ! Pour Christian Estrosi (LR), président de Région il s’agit d’ « une opportunité unique et historique ». Il affirme dans son rapport en préparation de l’assemblée plénière du 3 novembre que 75 % des habitants sont favorables à la ligne nouvelle. Les 25 % restants doivent sûrement être dans la salle… Mais dans le même temps il dit vouloir ouvrir à la concurrence, pour s’affranchir de la SNCF. « Monsieur Estrosi est tellement pressé qu’il veut rayer les distances et les inconvénients de la géographie », ironise un membre de l’UDVN 83 (Union départementale pour la sauvegarde de la vie, de la nature et de l’environnement).
Dans deux courriers que le Ravi a pu se procurer, Olivier Audibert-Troin, député du Var et Hubert Falco, en tant que président de Toulon Provence Métropole, demandent explicitement en date des 30 mai et 30 juin 2016 à Alain Vidalies, secrétaire d’Etat chargé des transports de faire passer Toulon de la « priorité 2 » à la « priorité 1 » histoire de gagner 20 ans, comme les copains marseillais et niçois. Il a pour l’instant gagné La Crau. Le Fn a mesuré l’enjeu politique et est venu chasser en meute ce soir. Les conseillers régionaux, Amaury Navarranne et Muriel Fiole, sont à la manœuvre. L’intervention de cette dernière restera d’ailleurs dans les annales : « Ce projet, on vous l’enfile comme un suppo forcé. Et je suis médecin, je sais de quoi je parle ! »
Samantha Rouchard
1. N’a pas répondu à notre demande d’interview.
2. Priorité 1 : Tronçons Marseille-Aubagne, Cannes-Nice et secteur de la Pauline (avant 2030).
Article publié dans le Ravi n°145, daté novembre 2015