« L’éthique c’est comme la confiture, moins on en a, plus on l’étale… »
15h03
Le très grand Ferdinand Bernhard, inamovible maire de Sanary-sur-Mer, crâne rasé et sourire carnassier (il est dentiste…), procède à l’appel. La salle des fêtes du Plan du Castellet est bondée, moyenne d’âge 65 ans, l’atmosphère est tendue, ambiance Far West. Ce conseil communautaire de rentrée est en effet attendu.
15h04
Lors de la dernière séance, un incident a fait parler de lui. Au moment de la délibération entérinant l’élection des conseillers représentant la commission de délégation de service public, Cécilia Papadacci, élue d’opposition à Sanary (association de défense des Sanaryens, DVD), a en effet eu l’outrecuidance d’interpeller l’assemblée sur l’opportunisme d’y nommer Gabriel Tambon, connu pour être le plus vieux maire de France (Le Castellet). Déjà condamné en 1998 à trois ans de prison avec sursis pour « escroquerie et délit sur l’égalité d’accès des candidats aux marchés publics », puis en mai dernier à un an de prison avec sursis et interdiction d’exercer sa fonction pour « harcèlement » sur deux employés communaux. Il a fait appel. Reste qu’après avoir émis des doutes sur la probité de Gabriel Tambon, Ferdinand Bernhard s’en est pris avec agressivité et véhémence à Cécilia Papadacci demandant « le respect de la présomption d’innocence ». Elle ne réfléchirait pas avant de parler et qualifie son intervention « d’indécente » et « d’ignoble ».
15h05
Ferdinand Bernhard traîne lui-même quelques casseroles (voir le Ravi n°101) : la cour des comptes l’a épinglé sur sa gestion hasardeuse en octobre 2012, sa mairie a été perquisitionnée début septembre dans le cadre d’une enquête ouverte pour « favoritisme, détournements de fonds publics, prise illégale d’intérêts, corruption et recel ». Enfin il a été condamné en 2013 pour avoir injurié un opposant de « fadoli » et « simple d’esprit ».
15h06
Ahh… les joies du Var ! Mais l’histoire n’est pas terminée. A la demande de plusieurs administrés bandolais, le maire, Jean-Paul Joseph (UDI), a mis au vote une délibération « relative au droit d’expression et aux droits de l’opposition » au sein de la communauté de communes. Elle n’a pas été adoptée : Laëtitia Quilici, adjointe au maire en rupture avec ce dernier, vice-présidente de la CCSSB et déjà annoncée comme le binôme de Bernhard aux prochaines cantonales, ayant réussi à convaincre une majorité d’élus de ne pas statuer sur cette délibération initialement pas prévue à l’ordre du jour… Bref, le bordel. Cette même délibération doit être examinée aujourd’hui.
15h07
On passe au premier dossier, « le plus important » selon le président : le passage de la communauté de communes en communauté d’agglomération. Pour exposer les conséquences qu’auraient cette transformation juridique, deux avocats du cabinet Landot, mandaté par la commune, sont venus présenter un bien beau et long Powerpoint. En gros, c’est tout bénef, car cela n’implique pas de hausse d’impôts et la dotation de l’Etat augmenterait de 10 euros par habitant. Sauf qu’il faut aller très vite dans le processus, avant le 1er janvier 2015. Pendant la présentation, Ferdinand Bernhard fait par moment semblant de roupiller.
15h50
Ce court délai fait dire au maire de Bandol, Jean-Paul Joseph, à la voix timide (les micros sont réservés au président et aux vice-présidents) qu’on « cache peut-être quelque chose », même s’il est d’accord sur le fond de la transformation. Réponse de Bernhard : « Les délais sont courts d’accord mais suffisants pour informer vos administrés, gueule-t-il alors que le journaliste du Ravi est assis juste sous la sono à l’acoustique hasardeuse. Cacher quelque chose ? Ce serait remettre en cause l’intégrité du cabinet Landot et puis cela voudrait dire que les maires et les services seraient aveugles. C’est inadmissible ! » Avant de conclure : « Nous sommes dans un lieu où chacun peut s’exprimer et dire sa part de bêtises. »
16h00
Après cette saillie, les réactions sont vives. « Ça y est, ça recommence! », souffle Edouard Friedler, élu d’opposition divers gauche du Beausset. Jean-Paul Joseph réplique : « Ne prenez pas tout comme une attaque personnelle, ça vous évitera à vous aussi de dire parfois des imbécilités ! » Applaudissements nourris. Au même moment la lumière s’assombrit et un coup de tonnerre retentit. Une mamie joue de son éventail. La séance prend des allures de mauvais soap opera politique.
16h05
Edouard Friedler reproche au président d’avoir reçu les documents liés à ce changement de statut 5 jours avant la séance. Bernhard prononce alors le mot « clique ». Friedler explose, tapant des deux poings sur la table qui, du coup, lévite un instant. Boum ! Pendant ce temps-là, l’un des avocats assis à la gauche de Ferdinand Bernhard scrute son Powerpoint sans bouger d’une oreille.
16h10
On passe à la deuxième délibération, tant attendue, celle de la motion sur la liberté d’expression. « Très brièvement hein, on ne va pas passer toute la journée là-dessus, renifle Ferdinand Bernhard. Par rapport aux mots que j’ai employés, rien ne servait de s’effaroucher là-dessus. Chacun peut s’exprimer, chacun peut répondre, Nous ne sommes pas dans une chambre d’enregistrement. Mettre en cause un élu de cette manière est intolérable. » Ni Papadacci ni Tambon ne pipe mot.
16h16
« Je vous demande de rejeter cette motion, lance Bernhard. D’ailleurs votons avant si vous le voulez bien, nous écouterons les remarques après. » Edouard Friedler voit rouge : « vous estimez que ce que nous avons à dire ne peut pas influer sur le vote ? » Cécilia Papadacci et son collègue Olivier Thomas, la tête de liste battue par Bernhard lors des municipales, soufflent de tout leur corps. Résultat du vote, 5 pour, 1 abstention, tout le reste contre.
16h22
Le débat continu malgré le vote, et Bernhard s’en prend encore une fois à Cécilia Papadacci en faisant référence à « des textos insultants auprès de [ses] colistiers » en concluant, grand prince, « pour l’éthique c’est comme la confiture, moins on en a plus on l’étale ». Papadacci se réveille : « non le débat n’est pas clos. Vous m’avez évoqué, j’ai le droit de m’exprimer. Où en sont les poursuites judiciaires contre moi ? (pour diffamation, Ndlr). » Bernhard fait semblant de ne pas entendre : « dossier suivant. » C’en est trop pour les deux élus d’oppositions sanaryens qui quittent la salle, suivie par l’élue FN, solidaire, et une partie de la salle. Bernhard, rictus aux lèvres, les regarde partir pendant qu’un des vice-présidents récite l’intitulé de la délibération suivante.
16h27
Les délibérations techniques s’enchaînent dans un calme relatif.
16h54
Ferdinand Bernhard s’apprête à clore la séance mais ne peut s’empêcher une dernière sortie sur ses deux opposants municipaux : « Ah, vous voyez, depuis qu’ils sont partis, on peut travailler beaucoup plus tranquillement ! Merci et au revoir. » C’est ça d’avoir la démocratie chevillée au corps.
Clément Chassot