L’ESS un tremplin pour les quartiers ?
L’ESS ? L’envie d’enquêter sur l’économie sociale et solidaire dans les quartiers populaires nous a d’abord surpris. Mais le principe de « Et si ? », le nom de code du projet de journalisme participatif du Ravi, est d’accompagner les choix des groupes d’habitants avec lesquels nous travaillons, durant trois mois, pour produire un journal qui fasse – enfin ! – entendre la voix des quartiers. Que vive l’ESS puisqu’en ont ainsi décidé la vingtaine de journalistes improvisés réunis au centre social de la Croix des Oiseaux, à Avignon, et dans les locaux de Médias 2 Méditerranée de notre compère Thierry Dargent, au nord de Marseille ! Et puis avec pareil sujet, nous allions enfin pouvoir dire peut-être, un peu du bien d’un gouvernement probablement attaché à l’économie solidaire. Encore raté !
Certes une convention d’objectifs pour les années 2013 et 2015 consacrée au développement de l’ESS pour les quartiers prioritaires a été signée entre le ministre délégué chargé de la ville et celui en charge de l’ESS. Quatre objectifs y sont avancés : améliorer la connaissance de l’ESS pour agir efficacement ; créer de l’activité par un « choc coopératif » (sic) et par le développement de clauses d’insertion ; soutenir l’accès des jeunes aux emplois de l’ESS ; développer l’entreprenariat et l’innovation sociale dans les quartiers.
Un programme formidable sur le papier, dont le détail est moins alléchant : il s’agissait principalement d’orienter les jeunes des quartiers dits prioritaires vers les emplois aidés ou d’insertion. Avec comme principal levier, les clauses d’insertion incluses dans les chantiers de rénovation urbaine. Une réussite, à voir les mobilisations régulières des habitants, en particulier à Marseille, pour les faire respecter par les bétonneurs qui se partagent le gâteau.
Une priorité qui ne l’est plus
Surtout, six mois après la fin de ladite convention, il est impossible de mettre la main sur un bilan, même national. Le ministère de l’Economie, qui chapeaute l’ESS, renvoie au ministère de la Ville, qui fait le mort. Du côté de la préfecture de région, qui devait mettre en œuvre la convention et en assurer le pilotage ainsi que l’évaluation, même silence gêné. « Il n’y a personne pour vous répondre et nous n’avons pas de bilan », reconnaît finalement le service presse. A croire que le développement de l’ESS dans les quartiers prioritaires, ne l’est plus tellement…
Directeur d’Inter Made Marseille, un réseau d’incubateurs d’entreprises sociales et solidaires, Cédric Hamon ne partage pas cet avis. « Ce que je vois des services de la politique de la ville à la Métropole ou du délégué du préfet à l’égalité des chances, ce n’est pas une négation du sujet mais une volonté réelle de soutenir l’émancipation de l’ESS. » Avant de concéder : « Pour Inter Made, il y a pour l’instant un constat d’échec alors que nous avons mis en place de l’accompagnement entrepreneurial pour sensibiliser et amener les gens vers [ce secteur]. » Précarité, exclusion, manque de confiance dans les représentants de l’Etat, des collectivités ou de structures jugées « bourgeoises », « déconnexion des acteurs de l’ESS et des projets du centre ville avec les quartiers populaires » ou encore problèmes de mobilité, les raisons de cet échec sont multiples pour Cédric Hamon.
De son côté, la Cress Paca, la Chambre régionale de l’ESS, est consciente du gouffre. « C’est une question très complexe, plus large, celle du défi de l’emploi dans ces territoires. Nous avons conscience de notre retard, s’excuse presque Denis Philippe, le président, tout en rappelant que la chambre est encore très jeune. Paradoxalement, l’ESS, c’est souvent uniquement ce qui reste quand il n’y a plus personne : associations, centres sociaux, structures d’insertion, régies de quartier… La question, c’est de savoir comment ces acteurs peuvent innover et être soutenus pour investir. »
Une soupape qui manque de fluide
L’ESS est pourtant une soupape pour les quartiers. « Tout ce secteur joue un rôle de relais de l’action publique : associations de bénévoles à caractère social, centres sociaux, insertion… On parle aussi de phénomène "bottom up" : l’émergence d’activités liées à certains besoins caractéristiques de ces quartiers », théorise Patrick Gianfaldoni, maître de conférences et responsable du master Politiques sociales de l’université d’Avignon.
Relais ou substitution ? En Vaucluse, la déclinaison départementale de la fondation Face (Fondation agir contre l’exclusion), financée à la fois par les pouvoirs publics et de grandes entreprises privées, mise sur la médiation « pour changer les regards des deux côtés », explique la directrice Frédérique Corcoral : « Nos dix médiateurs sont là pour apporter un accès au droit quand il y a un différend avec la Caf, la préfecture… Nous contribuons à une certaine paix sociale. Nous travaillons aussi avec des entreprises qui s’engagent pour développer leur responsabilité sociétale (RSE, Ndlr). Elles n’ont parfois pas une bonne image dans les quartiers. Nous dialoguons avec le public, mettons en place des procédures à l’amiable pour annuler les coupures d’électricité par exemple… » De l’ESS certes, qui vient tout de même de l’extérieur.
Toujours selon Patrick Gianfaldoni, pour se développer dans les quartiers populaires, l’ESS a besoin d’expérimentations et donc de soutien public. Malheureusement, au niveau régional, on peut craindre la dégringolade. Si la dernière mandature de Michel Vauzelle (PS) avait mis l’accent sur le développement de l’ESS avec un peu plus de 20 millions d’euros pour la seule année 2015, la région version Christian Estrosi (LR) semble lâcher le morceau. Le budget 2016 affiche une baisse de 25 % des crédits mais dont la moitié (7,5 millions d’euros) est destinée, par le biais d’un « nouveau programme », au TPE et PME. De l’économie classique… Le fonds d’expérimentation CREER, doté de presque 3 millions d’euros, est lui purement supprimé.
Ce qui n’empêche pas Sophie Camard, ex-présidente écologiste à la commission de l’emploi, de dresser un constat d’échec dans les quartiers populaires : « La région est trop seule, elle a besoin de relais de proximité. Les collectivités, notamment les mairies doivent prendre leurs responsabilités. Or il n’y a rien à Marseille par exemple. » Pour son collègue, Philippe Chesneau (EELV), le monsieur ESS de la région pendant plus de 15 ans, les idées foisonnent dans les territoires politiques de la Ville : « Faut-il encore que les élus prennent le temps de faire du terrain, de se rendre compte de la réalité et du besoin parfois de faire démarrer des projets pour qu’ils deviennent viables. » Quoi ? De l’économie subventionnée ? Pour l’intérêt général ? L’idée n’est plus très à la mode…
Clément Chassot et Jean-François Poupelin