Les transports (gratuits) en campagne
« Les transports gratuits ? Ah oui, ce serait une très bonne chose mais comment ils vont payer les employés, les bus, tout ça… ? », s’interroge Elodie, jeune apprentie fleuriste de 20 ans qui paie régulièrement 1,30 euros pour se rendre au travail. Démagogue la mesure phare de la candidate socialiste à la mairie d’Avignon Cécile Helle ? Ce dispositif a en tout cas été testé avec succès par l’agglomération du Pays d’Aubagne depuis 2009 et c’est sur ce modèle que s’appuient les promoteurs de la gratuité dans la cité des Papes.
Pour eux, la gratuité n’a que du bon : hausse du pouvoir d’achat, meilleure mobilité pour aller travailler ou recréer du lien social, moins de pollution et de congestion automobile… Mais surtout, elle boosterait l’utilisation des transports en commun : à peine 5 % des 180 000 habitants du Grand Avignon les utilisent. A Aubagne, la gratuité aurait permis d’augmenter la fréquentation de 150 % en trois ans. « Cela ne peut être mis en place partout, concède l’un des deux porte-paroles avignonnais d’Europe Ecologie – les Verts et proche de la candidate socialiste, Jean-Pierre Cervantès. Mais c’est possible dans une ville comme Avignon où la billetterie ne représente que 16 % du budget global, ce qui correspond à environ 4,5 millions d’euros. On prévoit même une économie d’1,5 millions d’euros en supprimant les coûts liés à la billetterie. »
Le tram ou la gratuité ?
De fait, les transports seront au centre de la campagne municipale. Le projet de tramway à 250 millions d’euros lancé par le maire sortant Marie-Josée Roig en guise d’héritage en témoigne. Cécile Helle rêverait de pouvoir le court-circuiter, préférant la mise en place de bus à haut niveau de service, moins coûteux mais plus efficaces selon elle. La région Paca, dont elle est vice-présidente chargée de la culture, a même tout récemment annoncé qu’elle n’engagerait finalement pas les 15 millions d’euros initialement prévus dans le financement du projet. Mais la droite, qui y voit un coup bas électoral, va tout faire pour que les travaux deviennent irréversibles, en sachant qu’ils doivent commencer avant la fin de l’année pour pouvoir percevoir les subsides de l’Etat.
Jean Guerrero, délégué syndicaliste CGT à la TCRA (Transports publics du Grand Avignon) est plus circonspect sur la mise en place de cette gratuité. « Pour que cela marche, il est nécessaire d’avoir en amont un réseau performant avec des fréquences de lignes et des amplitudes horaires acceptables, estime-t-il. Même si des efforts ont été faits, les bus ont toujours du retard et ne desservent pas toujours les grosses zones de densité. » Pour Cécile Helle, pas de problème : « Le versement transport (taxe payée par les entreprises de plus de 9 salariés pour financer les transports publics, Ndlr) rapporte environ 25 millions d’euros par an. Si on enlève le coût de la gratuité, cela nous laisse une marge de manœuvre importante pour rénover et entretenir le réseau. » Et si le tram se fait, la ville, où l’endettement plus fort que la moyenne représente plus de 2000 euros par habitants, pourra-t-elle courir tous les lièvres ?
Campagne intercommunale
Autre écueil, les transports relèvent d’une compétence intercommunale. Avec le nouveau mode de représentation des intercommunalités mis en place l’année prochaine (voir page 12), même si la gauche l’emportait à Avignon, la communauté d’agglomération, étant donné la sociologie du territoire, pourrait être tenue par la droite. Même si cette dernière n’a pas rejeté en bloc la gratuité, elle reste circonspecte. A l’image de Bernard Chaussegros, investi par l’UMP (mais qui doit composer avec une candidature dissidente) : « C’est un sujet difficile. Le citoyen que je suis est soucieux d’offrir du bien-être aux Avignonnais. Mais le financement est compliqué, je ne suis pas au fait de tous les éléments mais il faudra étudier cela de près. » Jean-Marc Roubaud, maire de Villeneuve lez Avignon (Gard), l’un des poids lourds de la Coga (Communauté d’agglomération du Grand Avignon), est plus sévère : « On veut raser gratis ! En période de crise, je ne crois pas qu’il soit raisonnable d’instituer une gratuité. » Le sujet promet donc des débats houleux au sein de l’intercommunalité où l’avis des élus sans étiquette de petites communes sera primordial.
« Je ne fais pas de politique fiction, balaie Cécile Helle. Avec mes collègues socialistes, nous menons une campagne à l’échelle intercommunale, cela c’est nouveau. Et j’ai confiance dans le fait de remporter la Coga. Cette mesure, comme la remunicipalisation des cantines, est forte, elle démontre qu’on peut mener une vraie politique de gauche au niveau local, solidaire et redistributive. »
Quoi qu’il en soit, la gratuité des transports comme étendard est une belle stratégie politique pour le PS (1). Elle permet de faire du pied aux écologistes, pas toujours en phase sur l’aménagement du territoire, et de court-circuiter le Front de gauche d’André Castelli, qui se lance en autonomie dans la bataille municipale. « Il ne faut pas se méprendre, la gratuité des transports comme la remunicipalisation des cantines, nous la portons depuis bien longtemps », tient-t-il à préciser. « Pas de course à l’échalote », tempère Cécile Helle. La bataille des deux gauches ne fait que commencer.
Clément Chassot