Les « tradi » s’ouvrent au monde
La recette est simple : un accordéon, une cornemuse ou un violon, parfois quelques chanteurs, un spot assez grand pour accueillir orchestre et danseurs et la boîte de nuit à ciel ouvert version « retour vers le futur » démarre dans une ambiance très vite festive. Tournant le dos aux nombreux clichés sur le folklore réactionnaire, beaucoup de jeunes vivent la musique traditionnelle comme une alternative à une culture de masse standardisée. Comme Mathilde Spini, cornemuseuse de 24 ans : « Nous, génération ratée, nous ne pouvons plus vivre comme nos parents, qui ont connu les trente glorieuses et un avenir tout tracé, facile et riche… C’est pour retrouver la culture de ma grand-mère et sa langue, qu’elle m’avait toujours tue, que j’ai choisi cette musique-là. »
Massilia Sound System a été précurseur dans les années 80. « C’est Bob Marley qui m’a poussé à chanter en Occitan, rappelle Tatou, chanteur et fondateur du groupe, qui sort aujourd’hui un nouvel album avec Moussu T. & lei Jovents. Le reggae n’avait pas d’ancrage en Provence mais nous a donné envie, à son image, de proposer un truc universel et voisin à la fois. » Empreint de rap, de musique jamaïcaine et d’accents chantants du sud, Massilia revalorise une culture qu’il estime méprisée par un centralisme élitiste à la française. Le succès est à la clé et la culture occitane change de décor en ouvrant les portes de Babel. « Si tu demandes aux gens, pourquoi ils ont l’accent ? Ils te répondent : "bah, je sais pas, le soleil…", poursuit Tatou. En fait, quand tu t’exprimes en français, tu as l’accent de ta langue souche, même si tu ne la parles pas. » Une sorte de « Profrançal » comme le définit CigalMan, beat-boxer montant de la scène marseillaise.
Régionalisme sans intégrisme
Mais parmi les afficionados de musiques folkloriques, certains irréductibles résistent encore et toujours à « l’envahisseur »… « C’est important de garder des valeurs pour ne pas oublier d’où l’on vient, celles de nos ancêtres », souligne Gaëtan Coloc, tambourinaïre de 25 ans. Dans sa troupe, où l’on reste en famille, pas question de mêler des instruments venus d’ailleurs. Les danses et les costumes traditionnels y sont de rigueur. Mais si Gaëtan ne comprend pas l’intérêt de moderniser des chants typiquement provençaux, il est ouvert à une relecture de la musique traditionnelle et participe à d’autres groupes qui mêlent musique du monde et culture occitane.
« Le régionalisme n’est pas synonyme d’intégrisme, précise Denis Pantaléo, directeur de la Compagnie le Roudelet Felibren, qui organise en juillet, toutes les années à Marseille, le festival international de folklore de Château-Gombert. Nous défendons nos terres provençales avec une culture riche qui n’est pas reconnue par le ministère de la Culture. C’est bien simple, quand nous souhaitons les joindre par téléphone, on nous renvoie au ministère de la Santé ! Nous survivons grâce à des subventions de partis politiques de tous bords, sauf le Front National. Notre pratique musicale et populaire favorise les rencontres. »
Utopie et ghettos
Dans le cadre de Marseille Provence 2013, la capitale européenne de la culture, jusqu’ici peu ouverte aux musiques traditionnelles, le festival « Le Monde est chez nous », qui a eu lieu les 8 et 9 juin à Aubagne (13), s’est défini « non comme un rassemblement de type folklorique avec costumes et drapeaux, mais comme un véritable plateau artistique multiculturel et innovant… ». Le Chantier à Correns (83), centre de création des nouvelles musiques traditionnelles & musiques du monde, dirigé par Françoise Dastrevigne, œuvre dans le même sens en offrant aux artistes de la région « un outil de découverte et d’échange entre mémoire et modernité ». La 16ème édition du festival des Joutes musicales de Correns, du 17 au 19 mai, devrait faire à nouveau le plein.
Pourtant pour Eric Montbel, professeur d’ethnomusicologie à la faculté d’Aix-en-Provence, la rencontre entre musiques du monde et musique traditionnelle française, reste toujours une utopie, particulièrement à Marseille. « Marseille est cosmopolite, c’est vrai, mais aucune grande ville n’est aussi ghettoïsée, souligne-t-il. Je suis cornemuseux, prof de musique dite "du monde" – mieux vaudrait dire la musique du tiers-monde – à la Cité de la musique porte d’Aix. Et tous mes élèves sont des "blancs bobos" ! Un seul prof est issu de l’immigration alors qu’on est sensé prôner la multiculture et lutter contre le déterminisme de classe. » Mais de rester optimiste tout de même : « La musique est un outil merveilleux pour rapprocher les peuples et casser les barrières qui justement nous séparent dans la réalité. » Et Tatou de conclure en ouvrant les frontières lui aussi : « C’est quoi une musique du monde ? Je ne suis pas un chanteur régional, ni français, je suis un chanteur du monde. »
Elsa Montbel