Les retrouvailles ratées de Gyptis et Protis
L’Encyclopédie de la Nouvelle Société Savante de Marseillologie est en rédaction permanente, c’est elle qui servira aux futurs Marseillais des écoles du 28e siècle. À l’entrée « naissance de la métropole », ils pourront y lire le texte suivant.
« Il y a 27 siècles, un beau Grec au teint mat, éprouvé par une longue traversée, réussit à séduire la jeune princesse du peuple des collines, les Ségobriges. De l’union de la mer et des terres naquit une grande cité "que s’appelorio Marseille".
2600 ans plus tard, aux alentours de 2015, le descendant des Grecs, le beau Protis de Mazargues, qui répondait aussi au nom de Jean-Claude, et la petite petite fillote des Ségobriges, la princesse Gyptis Joissains s’étaient donné rendez-vous avec l’histoire pour renouveler les vœux de leurs aïeux et mettre à jour la version de la Grande Citée jadis créée. Hélas, la cérémonie tourna court au grand dam du curé, un préfet à moustache.
Avouons que les beaux étrangers ténébreux ont un peu moins la cote qu’à l’époque. Ils évoquent plus le charter que la jarretière aux Ségobriges retranchés par-delà le corset montagneux dans de petits villages très gaulois, aussi loin que possible de la grande cité dont ils ne conservent que de confuses et apocalyptiques représentations. Quand Protis l’ancien avait débarqué au Lacydon, il incarnait la civilisation, la démocratie, le théâtre, les jeux olympiques, la philosophie et la géométrie. Forcément, ça en imposait. Aujourd’hui, la corbeille du Protis moderne est un petit peu moins attrayante : corruption, crime organisé, papiers gras… Ils ont beau clamer « équipements-structurants » : MuCEM, Vélodrome et Opéra, les Ségobriges préfèrent que le ménage soit fait avant d’être célébré. Parce que depuis, les Ségobriges ont bien pris et appris des Grecs, et aujourd’hui, ma foi, c’est eux qui ont le blé !
Pour être tout à fait exact, il faut dire que Protis de Mazargues n’est pas très enclin non plus à partager sa couronne avec les chefs des tribus des collines. Très dévot mais un brin flemmard, il va régulièrement prier « l’Oracle » gouvernemental pour qu’il travaille à sa place et apporte infrastructures, sécurité, propreté, éducation, emplois, santé à sa chère Massalia. Ah… si cet ingrat d’oracle voulait bien s’occuper de ces « inconvénients », il n’aurait pas besoin d’aller quémander la Ségobrige pour en rafler la dot. Finalement, sans l’insistance de l’Oracle gouvernemental et des marchands du palais de la Bourse, jamais tout cela ne se serait passé.
Las, c’est à contrecœur que les deux tribus se sont retrouvées près du Lacydon, à l’endroit même où 2600 ans plus tôt, Gyptis avait rempli la coupe de l’hôte grec, signe d’élection amoureuse. La famille Ségobrige avait prévenu qu’elle ferait tout pour empêcher l’union. Mais la cérémonie que l’on pensa maintes fois annulée fut finalement maintenue et le oaï fut total. Gyptis Joissains elle-même faillit en venir aux mains avec une cousine (et oui, malgré la délicatesse apparente de l’or récemment gagné, la Ségobrige reste au fond très bourrue).
Et si l’union eut finalement bien lieu après le départ d’une partie de la famille, l’ensemble laissa une impression de rapt que beaucoup ne manquèrent pas de contester. »
Voilà, chers amis, la lecture à froid des marseillologues. Il nous reste à lancer un appel : si d’aventure tous ces comédiens d’élus venaient à perdre leur office, nous souhaiterions ouvrir quelques café-théâtres ou cirques dans lesquels ils tâcheraient de continuer à nous régaler.
Camille Floderer, Nicolas Maisetti et Fabien Pecot