Les PRE en quarantaine ?
« Une politique éducative à Marseille ? Au mieux, il y a un service à la vie scolaire », ironise un fonctionnaire. Certes, que les écoles publiques de la deuxième ville de France soient « la honte de la République » est presque une banalité. Mais quand, dans le domaine éducatif, l’État veut prendre les choses en main, ce n’est pas forcément une réussite. En témoigne le programme de réussite éducative, un dispositif pluridisciplinaire permettant la prise en charge des enfants les plus fragiles, porté depuis 2005 par le Groupement d’intérêt public (GIP) « politique de la ville ».
Mais les jours du GIP sont comptés. Et si la métropole doit récupérer le gros de la politique de la ville, pour le PRE, c’est le flou le plus complet. De quoi inquiéter les associations intervenantes qui se sont fendues d’un courrier au préfet. Mais aussi les familles dont les enfants sont pris en charge. « Les parents me demandent si l’accompagnement de leur enfant va se poursuivre, déplore un éducateur. On est incapable de leur répondre, ne sachant même pas ce que l’on va devenir. »
Dispositif temporaire
Un comble quand on sait que la fin du GIP est connue depuis l’été dernier. Ce qui n’a pas empêché de voir des salariés subir un entretien préalable à leur licenciement avant que la procédure ne soit, en catastrophe, annulée. Mais, pour les contractuels et la plupart des minots accompagnés, tout se termine fin juin. Car l’État veut mettre en place un GIP ad hoc pour porter le PRE. Avec, comme « objectif, dixit Arlette Fructus, que les enfants ne pâtissent pas de ces évolutions institutionnelles ». Mais « ça s’annonce complexe », souligne l’élue (UDI) en charge de la politique de la ville à la métropole.
Il y a d’abord des difficultés côté calendrier. « Pour créer la nouvelle entité, il faut un décret, l’aval de Bercy et donc tout boucler au 14 juillet, explique Yves Rousset, le préfet à l’égalité des chances. Mais il faut aussi recruter un directeur, son adjoint, pour un lancement au plus tôt courant septembre… En attendant, on va mettre en place un dispositif temporaire avec une association pour prendre en charge les quelques enfants qui ont besoin de l’être cet été ». Piquant de voir l’État licencier d’un côté et recruter de l’autre !
Même le périmètre du PRE est incertain. « Outre la préfecture et l’Education nationale, il devrait y avoir la CAF, l’Agence régionale de santé… Et si la ville veut s’y investir, la porte est grande ouverte », explique celui qui tacle souvent Marseille sur son absence d’investissement financier. Grimace de Fructus : « En terme d’affichage, on aurait pu s’en tirer avec un transfert de ligne budgétaire. La mise à disposition de moyens matériels et humains de la ville de Marseille représente environ 10 % du budget. » D’autres tiquent sur le recentrage « étatique » d’un dispositif à la base pluriel…
Descente en flamme
De fait, même le fonctionnement ne semble pas encore arrêté. Ainsi, les salariés ont appris il y a peu la suppression des postes de « coordonnateurs ». Alors qu’en 2014, une évaluation préconisait au contraire de « renforcer la coordination » ! Rousset, dans ses petits souliers : « On ne va plus travailler par grands secteurs mais s’appuyer sur les collèges en zone prioritaire. Ce qui va nous permettre d’agir au plus près du terrain. » En attendant, les salariés qui restent vont devoir fournir… une évaluation du dispositif. Tout comme les associations invitées le 30 mai pour une présentation de sa refonte. « Territoire inégalement couvert, nombre d’enfants pris en charge insuffisant… l’essentiel de la réunion a consisté à descendre en flammes le dispositif tel qu’il existait jusque-là », s’étonne un participant.
Controversé dès l’origine, le PRE a fait l’objet l’an dernier d’appréciations carrément contradictoires, un rapport allant jusqu’à dire qu’il n’avait aucun effet, voire essentiellement des impacts négatifs ! De quoi faire bondir un éduc’ : « Cela permet au contraire de tisser des liens sur des années ! » Et la préfecture de s’appuyer sur une évaluation du PRE marseillais de 2014 préconisant une « augmentation du nombre de parcours ». Jusqu’à 2000 contre « 1047 » en 2014-2015. Et même, dixit un associatif, « à peine 500 enfants aujourd’hui. Soit, avec un budget de 1,7 million d’euros, 3000 euros par enfant contre 900 en moyenne ». Sauf que, d’après les salariés du PRE, ces derniers temps, on leur aurait demandé, en substance, de « lever le pied »…
Alors, au-delà du retard dans la mise en œuvre du nouveau PRE, ce qui est redouté, c’est de voir un programme qualitatif se transformer en une simple réponse « quantitative ». Soupir d’un « ancien » : « l’État en a marre de mettre de l’argent et d’être accusé de ne rien faire. Alors, il reprend en direct. » Comme lorsque la ministre de l’Éducation vient annoncer un plan d’urgence. Car Arlette Fructus a beau assurer la « mise en place d’un véritable continuum éducatif depuis la naissance jusqu’à l’âge adulte », à Marseille, « éduquons », semble toujours sonner comme une insulte.
Sébastien Boistel
Cet article a été publié dans le Ravi n°141 en juin 2016