Les paysans en campagne
« L’agriculture se porte bien, ce sont les agriculteurs qui vont mal », lance Véronique, venue assister, en cet après-midi de janvier, à la présentation du programme de la Confédération paysanne du Var. Elle espère, comme de nombreux agriculteurs que sa voix comptera…enfin ! En Paca, il y a 18 989 chefs d’exploitations et assimilés (collège 1) et 55 071 anciens exploitants et assimilés (collège 4). Ils avaient jusqu’au 31 janvier pour élire au suffrage direct, comme tous les six ans, leurs représentants à la chambre d’agriculture départementale et régionale. Des élections 2013 qui, avec la Politique agricole commune (PAC) 2014 en ligne de mire, apparaissent d’autant plus importantes. Les résultats seront connus le 10 février. (cet article a été écrit avant le scrutin. Voir note en fin de document…)
Un insecte nuisible ?
La FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), proche de l’UMP, jadis du RPR de Jacques Chirac, a la main mise sur les présidences de la plupart des chambres d’agriculture. Paca ne déroge pas à la règle. En 2007, le syndicat majoritaire avait obtenu 59,93 % contre 21,53 % pour la Confédération paysanne. « Y’a pas de politique dans notre chambre d’agriculture, moi je travaille avec tout le monde. Notre devise c’est : Tous unis, l’agriculture gagne », affirme Alain Baccino, viticulteur, président de la Chambre du Var, et candidat FDSEA – Jeunes Agriculteurs à sa propre succession. « Gagner sans partage, pour régner sans partage », dénoncent les autres syndicats agacés par cette hégémonie. « Notre but c’est qu’ils fassent moins de 50 %, afin de mettre d’autres orientations au tour de la table pour faire avancer les discussions, même si ça arrange bien l’Etat de n’avoir qu’un seul interlocuteur… », précise Max Bauer, horticulteur, tête de liste de la Coordination Rurale « 83 ». Un syndicat qui se revendique apolitique tout en ayant les faveurs de Marine Le Pen. Au point que son président, Bernard Lannes, a écrit une lettre ouverte au Front national, fin 2012, lui demandant de « ne plus tenter d’associer notre syndicat à votre parti politique ».
Hubert Barret, viticulteur tête de liste de la Confédération Paysanne veut « remettre le paysan au pouvoir ». Son syndicat, étiqueté à gauche, défend « les exploitations à taille humaine contre la course au productivisme ». La « conf » est sur tous les fronts : défense des terres fertiles, gratuité des semences, lutte contre les OGM… Et il y a de quoi faire dans une région où la protection des terres agricoles est un enjeu de taille face à la forte pression foncière. Ils se battent parfois même contre ceux qui sont censés les représenter puisque la Chambre d’agriculture du Var a décidé de construire sa nouvelle antenne sur des terres… agricoles ! « C’est fort, on m’accuse de vouloir faire pousser de la vigne sur des terres qui sont faites pour ça ! », s’indigne Alain Baccino qui dit vouloir rassembler sur un même site le centre de recherche international sur le rosé, la chambre d’agriculture du Var et les centres d’apprentissage.
« Avant les rapprochements politiques avec les syndicats n’étaient pas aussi forts. Aujourd’hui les prises de position de la FNSEA sur les OGM créent une fracture qui n’est plus supportable, c’est devenu de l’agro business », s’inquiète Jean-Louis, apiculteur. Même ras-le-bol du côté du Modef (Mouvement de défense des exploitants familiaux), plus proche du PCF, qui pour cette élection fait liste commune avec la Confédération Paysanne. Louis Grena, tête de liste des anciens exploitants agricoles, dénonce « un argent qui profite toujours aux mêmes ». Alain Baccino refuse ce procès d’intention : « Lors des inondations, on a fait une condition de la répartition de l’aide pour tout le monde. Chacun a pu le constater sur le terrain. »
La saison du labour ?
« Avec les anciennes présidences, on pouvait encore avoir un échange citoyen, regrette Michèle Gros, élue sortante de la Confédération paysanne. Dans la version « Agri-manager », il n’y a pas de dialogue possible, tout est verrouillé. » Le syndicat a aussi interpellé le CSA accusant la télévision publique de « discrimination digne du temps de l’ORTF », concernant un temps d’antenne qui n’aurait été octroyé qu’au FNSEA, notamment les trois premiers jours avant le début du vote.
Pour Max Bauer, même si la lutte semble rude, l’espoir pointe le bout de son nez : « Déjà au niveau politique, depuis Sarkozy et aussi avec Hollande, les ministres de l’agriculture ne sont plus des anciens de la FNSEA, c’est déjà un grand pas. » Le vote par correspondance mis en place depuis quelques années est aussi vécu comme un signe encourageant de changement. « C’est un plus pour la démocratie car avant on sait très bien comment ça se passait, on allait voter en mairie et sur place il y avait des gros bras qui vous disaient quel bulletin mettre dans l’enveloppe ! , dénonce Max Bauer. On n’était pas loin de la démocratie bananière ! »
Samantha Rouchard