Les nouvelles combines à Nanard
« Les projets qui agrandissent le groupe sont une bonne chose, mais j’attends que Bernard Tapie fournissent des outils positifs pour La Provence. » Elu SNJ au comité d’entreprise du quotidien provençal, Serger Mercier accueille d’autant plus fraîchement les opérations de diversification lancées par son patron que, selon lui, « 2014 est une année compliquée » pour La Provence.
Alors que l’avenir du journal est suspendu à la possible annulation de l’arbitrage de l’affaire Adidas, qui a offert 403 millions d’euros à l’ex taulard (jugement le 17 février), alors que son navire amiral a perdu 40 journalistes en un an (sur 200) et se bat pour garder sa quinzaine de CDD, alors que certaines agences sont proches du burn out, Bernard Tapie préfère en effet continuer d’investir dans d’autres médias régionaux (1). Depuis le 7 novembre, grâce à un chèque de 8 millions d’euros aux salariés de Nice-Matin (Nice-Matin et Var-Matin), le multi mis en examen a récupéré à prix bradé les 50 % de Corse-Matin qui lui manquaient et dispose d’une option sur le patrimoine immobilier du groupe azuréen, valorisé à plus de 5 millions d’euros.
Mieux, Robert Namias, un de ses proches, a pris la tête du directoire de la nouvelle coopérative de presse. « C’est nous qui sommes allés le chercher, jure Jean-François Roubaud, délégué SNJ-CGT à Nice-Matin. C’est une tête de gondole [qui] a rassuré le tribunal de commerce. C’est [aussi] un journaliste qui n’a pas de tâche, [et] on avait besoin de rappeler que l’on est un journal. » Et le syndicaliste d’insister : « Bernard Tapie n’est [dans notre projet de reprise] ni de près, ni de loin. Mais sans lui, le deal n’aurait pas été possible. » L’homme d’affaire a visiblement saisi la nuance. Dès le 8 novembre, Tapie a avancé dans sa Provence deux pistes de synergies entre les deux groupes : la création d’une régie pub (nationale et internationale SVP) et d’un site Internet communs…
Nouvelles combines
Les combines à Nanard ne s’arrêtent pas là. Bernard Tapie a aussi annoncé avoir dans ses cartons une quinzaine de millions d’euros de projets (2), dont deux identifiés : le rachat de La Chaîne Marseille (LCM) et une entrée au capital de Vitamine, une radio commerciale régionale basée à Toulon minée depuis quelques années par une sombre affaire familiale (3). De quoi asseoir son emprise sur le paysage médiatique régional, en l’étendant à l’audiovisuel.
Mais pour l’instant rien n’est fait. Si l’ancien président de l’OM a déclaré détenir « 50 % d’une société de production qui [a] fait une offre » pour LCM (4), au moment du bouclage du Ravi il n’était actionnaire d’aucune des deux boîtes qui ont approché Medias du Sud, la maison mère de la chaîne marseillaise (4 télés de Marseille à Perpignan) : les très honorables Films du Soleil et Studio 555, bien connue des amateurs de porno (5). Pire, en novembre, les dirigeants des deux sociétés ont reçu une fin de non recevoir de Christophe Musset, le PDG de Médias du Sud. « Marseille gère l’ensemble des chaînes, c’est donc difficile de s’en séparer, assure au Ravi Christophe Musset. De plus, nous allons nous renforcer début 2015 en lançant TV Sud Provence. Marseille reste donc au cœur de notre stratégie et de nos enjeux, même si on [y] souffre. » La chaîne est passée de 50 à une quinzaine de salariés…
« Le discours de Musset s’adresse surtout à ses actionnaires, répond Jacques Hubinet, le PDG des Films du Soleil, qui reste flou sur le projet de reprise (6). Les résultats de Marseille sont véritablement mauvais. » Et de jurer : « [Le rachat] est toujours d’actualité. » Avec Tapie ? « Je n’ai toujours pas vu de chèque », rigole le réalisateur. Il se murmure pourtant dans les couloirs de La Provence que l’opération pourrait se réaliser en début d’année.
Tapie en manque de Vitamine ?
Autre potentiel partenaire à être comme la sœur Anne et qui n’a encore rien vu venir, Lazare Groune, le PDG de Vitamine. Si aucun projet n’a encore été présenté au CSA, comme il se doit, Lazare Groune confirme les discussions avec La Provence pour une entrée au capital de la radio. En perte de vitesse et déficitaire, Vitamine « a besoin de cash pour redémarrer », explique son fondateur, qui lorgne sur la régie pub du quotidien. Selon lui, Tapie y gagnerait de son côté de nouveaux « canaux » pour développer le web du journal (mission dévolue à son fils Stéphane) et un « rafraîchissement de son image ».
Si l’articulation du nouvel empire médiatique est séduisante, les raisons de l’arrivée de Nanard dans les médias restent cependant un mystère pour beaucoup. D’autant plus qu’elle ne s’est accompagnée ni d’un retour politique, ni d’un enterrement de ses affaires. « Franchement, à part faire bosser ses enfants », juge ainsi un ancien proche. Et d’insister : « Tapie est une vieille bête blessée, [mais il] est à l’abri du besoin pour plusieurs générations. [Et il] déteste mettre un centime dans quelque chose et encore plus le perdre. » Une certitude, comme au temps de sa gloire, Nanard reste un charognard.
Jean-François Poupelin
1. Contactée, la direction de La Provence n’a pas donné suite.
2. Lefigaro.fr, 03/11/2014.
3. Lepoint.fr, 26/07/2013.
4. Laprovence.com, 08/11/2014.
5. Les deux sociétés ont réalisé l’émission « Tapie se met à table », diffusée pendant les municipales.
6. Contacté, Christian Bartoli n’a pas donné suite à nos sollicitations.