Les maires, la mer et le pouvoir
En France, les positions de pouvoir dans l’espace politique local obéissent à certaines logiques : plus la taille de la commune augmente et plus le poste est élevé dans la hiérarchie du conseil correspondant (municipal, communautaire, voire départemental et régional), plus il est difficile d’y accéder. Cette difficulté d’accès se ressent à travers plusieurs critères : l’âge (plus élevé), le sexe (plus d’hommes que de femmes, malgré la loi sur la parité), la catégorie socioprofessionnelle (toujours plus élevée, avec une suprématie nette des cadres et professions intellectuelles supérieures). Les raisons en sont simples : le pouvoir correspondant est plus élevé et provoque plus de concurrence, du coup ceux qui disposent de plus de compétences pour y accéder sont favorisés, que ce soit dans la phase d’approche (durant la campagne électorale) ou dans la phase d’exercice du pouvoir (durant le mandat, en vue de le conserver).
Sollicité par des historiens qui étudiaient les maires du pourtour méditerranéen du 18e siècle à nos jours, j’ai été amené à étudier la sociologie actuelle de ces personnages publics particuliers. Quelle ne fut pas ma surprise quand j’ai constaté une logique quasi identique : plus on se rapproche de la mer, plus les élus locaux – et plus particulièrement les maires – font partie d’une élite sociale et politique locale, âgée et masculine. À titre d’exemple, la proportion des maires appartenant à la catégorie des « cadres et professions intellectuelles supérieures » atteint 58 % dans les communes du littoral méditerranéen alors qu’il n’est que de 27 % dans les autres régions de France. Qu’est-ce qui pouvait bien expliquer ce phénomène ?
Cette difficulté supplémentaire à se faire élire dans ces communes pourrait être attribuée à la plus grande attractivité des territoires correspondants, du fait des conditions météorologiques considérées comme plus favorables, mais également de la présence de la mer avec toutes les activités touristiques et sportives qui peuvent y être associées (que l’on peut constater autant par les migrations estivales et l’afflux de touristes que par l’attractivité migratoire de ces régions, notamment de retraités). Cette attractivité génère plus de flux financiers et donc plus de pouvoir : les personnes s’engageant dans la conquête du pouvoir local pourraient penser – à tort ou à raison – qu’il y a plus à y gagner qu’ailleurs en terme de pouvoir et de profits matériels ou symboliques associés.
Mais au-delà de l’attractivité des postes eux-mêmes, il existe peut-être dans ces régions une utilisation plus active qu’ailleurs des positions occupées et des ressources qu’elles procurent. Quand on essaie d’explorer le côté illégal des avantages que tentent de s’octroyer les élus locaux, la mise en relation du rapport 2013 du Service central de prévention de la corruption avec les données de l’ONG Transparency international permet de constater que les élus locaux des départements du littoral méditerranéen seraient trois à quatre fois plus corrompus que la moyenne nationale. S’agirait-il d’un trait culturel des « Méditerranéens », d’une certaine défiance vis-à-vis des règles imposées par l’État central ? Sans doute pas seulement, puisque l’un des départements les plus touchés n’est autre que Paris.
À quand le renouveau de la vie politique et sa moralisation, tant annoncés mais toujours attendus ?
Michel Koebel, sociologue à l’université de Strasbourg
Pour en savoir plus : Le pouvoir local ou la démocratie improbable, de Michel Koebel, aux Editions du Croquant, en téléchargement libre depuis http://koebel.pagesperso-orange.fr Egalement : « Les spécificités des maires du pourtour méditerranéen français », in Les cahiers de la Méditerranée, n°94, juin 2017.
Tribune libre publiée dans le Ravi n°154, datée septembre 2017