Les liaisons dangereuses
L’histoire se passe à Nice, le soir du 1er tour des présidentielles. Christian Estrosi, député-maire UMP de la ville, prend violemment à partie deux journalistes de France 3 Côte d’Azur en reportage à la fédé UMP des Alpes-Maritimes. Leur faute ? La chaîne, qui depuis le 1er avril ne couvre plus les réunions politiques, a séché la veille le meeting de Nicolas Sarkozy…
« Motodidacte » a été à bonne école. « [Pendant ses ennuis judiciaires], Jacques Médecin était intervenu pour que le bureau niçois de Radio France Côte d’Azur soit fermé, rappelle Frédéric Lamasse, délégué SNJ CGT. Ici, le paysage médiatique est pauvre. Il y a un seul quotidien, Nice Matin, qui tient grâce au budget pub des collectivités. Si un papier déplaît, la campagne est annulée. Les journalistes qui débarquent s’adaptent. »
Dans le Var, on s’adapte également. Hubert Falco, qui a eu la peau du précédent PDG du groupe Nice Matin avec Christian Estrosi, est un coupeur de têtes : quelques rédacteurs en chef de Var Matin doivent au sénateur-maire de Toulon une fin de carrière prématurée. « Les politiques considèrent aujourd’hui qu’on fait partie de leur plan com, y compris lorsqu’ils attaquent France TV », dénonce Frédéric Lamasse. Il y a pourtant plus simple : s’offrir un média comme Alexandre Guérini (lire ci-dessous).
Journaux ou tracts ?
« La relation d’un élu aux journalistes est fonction du support pour lequel ils travaillent (prestige, local ou national) et de ses ambitions. S’il en a, il sera plus sur leur dos, explique Jacques Le Bohec, sociologue des médias auteur d’une thèse sur "les interactions entre édiles et localiers". Du côté du journaliste, si la nécessité est d’avoir des sources politiques et administratives, il va faire attention à ne pas se griller. » Autre aspect à prendre en compte : « L’inévitable intégration du journaliste dans la vie locale. » Une intégration qui peut pousser jusqu’à rejoindre la com ou le cabinet de l’élu…
Qu’en pensent les principaux intéressés ? Un confrère de La Provence témoigne anonymement. Malgré quelques décisions très politiques de sa direction, comme transformer Marseille l’Hebdo en hebdomadaire sociétal pour faire plaisir à Jean-Claude Gaudin, notre journaliste jure ne pas souffrir de censure. « On a travaillé autant sur la gauche, avec l’affaire Guérini, que sur la droite, avec l’histoire des HLM de la mairie de Marseille. La relation journaliste-élu est globalement normale. Elle relève de la responsabilité individuelle. Certains préfèrent ne pas faire de vagues, mais si tu veux bien faire, tu peux. » Et d’expliquer : « Dans la région, l’histoire de la presse est très politique. Jusqu’au début des années 80, j’ai vu des journaux devenir des tracts à la veille des élections. Il ne faut pas l’occulter.
Propriété du PCF jusqu’en 1998, La Marseillaise a encore cette réputation. « La direction et certains journalistes sont encore encartés, mais dans les faits les élus [communistes] ne nous imposent rien, dément un journaliste d’une locale. Par contre, la ligne est très claire, nous sommes un journal progressiste de gauche qui s’intéresse aux questions sociales. » Pour ce témoin, lui aussi souhaitant rester anonyme, le problème des relations du journal aux politiques vient plutôt de vieux réflexes : « La direction pratique l’autocensure. Depuis qu’on a pris parti pour un candidat communiste accusé de fraude électorale à Aubagne, ce qui s’est révélé vrai, on ne parle plus des affaires. On peut griffer sur le politique mais on ne mord pas sur l’affairisme. » Et notre confrère de rigoler : « Le rapport du journal est plus grotesque avec notre partenaire anisé du Mondial à pétanque. Cette année, on a supprimé le numéro de l’édition sur l’affiche, la 51ème, juste par crainte de mécontenter Ricard. Qui est pourtant aussi propriétaire de la marque Pastis 51…»
Jean-François Poupelin