Les guides-conférenciers s’accrochent à leur carte
La discrète mobilisation des guides-conférenciers contre la déréglementation de leur profession ne faiblit pas. Ils étaient déjà une cinquantaine à manifester sur le Vieux-Port, à Marseille, le 19 janvier, répondant à l’appel d’un comité d’action national qui réunit plusieurs syndicats (1) et des professionnels non affiliés. Les guides figuraient dans la liste des métiers réglementés auxquels comptait s’attaquer la loi Macron. Mais ils en ont été rapidement retirés. Ce qui n’a, toutefois, pas mis fin aux projets du gouvernement à leur sujet.
« Fin 2014, nous avons appris de source sûre que les autorités prévoyaient de déréglementer notre profession au 1er trimestre 2015 en utilisant l’article 10 de la loi de simplification de la vie des entreprises », explique Sophie Bigogne, guide-interprète et déléguée syndicale CGT chez CityVision. L’article autorise en effet le gouvernement « à prendre par ordonnance » des mesures afin de simplifier les régimes d’autorisation et de déclaration auxquels sont soumis certains professionnels. Pour les guides, l’Etat voulait supprimer la carte professionnelle, obtenue en remplissant des conditions de formation, au profit d’un simple un registre déclaratif.
Concurrence low cost
Une mesure rêvée pour les tour-opérateurs étrangers toujours partants afin de doper leurs marges. Ils pourraient ainsi économiser en faisant travailler leurs accompagnateurs au lieu de guides (2). Et tant pis pour la qualité de la visite. Les guides de France n’ont pas accepté ce projet. Ils ont déjà souvent du mal à terminer dignement leur mois. Alors, s’il faut en plus faire face à une concurrence low-cost, autant rendre immédiatement sa carte.
Sur ce point, même le Snav (3), syndicat patronal, est d’accord. Il ne va pas jusqu’à soutenir officiellement les guides mais c’est tout comme. « Nous comprenons leur mobilisation. La carte professionnelle est un gage de qualité de service des guides avec qui nous travaillons », estime Luc Dallery, président de la commission des affaires sociales du Snav.
Pour donner du poids à leurs arguments, les guides se réunissent chaque mardi devant Bercy depuis début mars. Une initiative payante puisqu’une délégation y a été reçue le 3 mars. Les fonctionnaires du ministère leur ont garanti que si ordonnance il y a, elle ne passera pas avant la fin du premier trimestre. Ils assurent par ailleurs que pour s’inscrire sur le registre un diplôme restera nécessaire.
Des annonces qui ne rassurent pas vraiment les professionnels. Car, selon les dires du ministère, toutes les démarches d’enregistrement seront désormais dématérialisées. En réponse à l’envoi de leur diplôme scanné, ils recevront une carte à imprimer. « Cela favorisera la falsification qui est déjà un problème auquel nous faisons face », déplore Sophie Bigogne de la CGT.
Conditions de travail dégradées
L’État ne cache pas non plus son intention d’élargir les conditions de formation pour devenir guide professionnel. Pour répondre à deux directives européennes (4), il compte ouvrir la profession à tous les titulaires d’un Master II. Peu importe la filière. « Un diplômé en biologie pourrait obtenir la carte de guide. C’est une aberration », se désole Sophie Bigogne.
« Nous aurions dû réagir plus tôt. Maintenant que la porte est ouverte, tout devient possible », regrette la déléguée CGT. Surtout que beaucoup de guides souffrent déjà de leurs conditions de travail. « Nous n’avons pas de convention collective. Nous dépendons de celle de nos employeurs, explique Corine Ferrand, guide-interprète bilingue à Marseille. Parfois nous travaillons pour un transporteur, parfois pour une compagnie maritime, parfois pour un office de tourisme… Chaque fois cela donne lieu à un contrat différent. » Et encore, certains n’ont même pas la chance d’obtenir un contrat. Car, si la profession de guide est, en théorie, salariée, elle est, de fait, assimilée à une profession libérale depuis 2008.
« Certains employeurs refusent d’établir des fiches de paie et des guides sont obligés de prendre un statut d’auto-entrepreneur contre leur gré, ce qui détériore encore un peu plus leurs conditions de travail, poursuit Sophie Bigogne. Nous en sommes au point d’envisager de prendre comme nouveau slogan "Les guides veulent payer des impôts" pour la suite de notre mouvement. »
Malheureusement pour eux, vu leurs salaires, les taxes sur l’achat d’un sac Vuitton par un touriste chinois rapportent beaucoup plus à l’État.
Pierre Coronas
1. Fédération nationale des guides-interprètes-conférenciers (FNGIC), Syndicat national des guides-conférenciers (SNG-C) et Association Nationale des Guides Conférenciers des Villes et Pays d’Art et d’Histoire (Ancovart)
2. A l’heure actuelle, seul un guide encarté vivant en France est habilité à l’assurer dans un monument ou un musée national.
3. Syndicat National des Agences de Voyages