Les femmes et les enfants d’abord !
« Jean-François, quand on s’attaque à la famille !… » Il a fallu quelques minutes d’une discussion animée pour calmer Henri Jibrayel. Le bouillonnant député PS des quartiers nord de Marseille était persuadé que nous projetions d’écrire que son attaché parlementaire de fils bénéficie d’un emploi fictif. Très présent à ses côtés sur le terrain, connu de beaucoup, Sébastien Jibrayel est a priori rémunéré « pour des activités réalisées », pour reprendre l’expression de la députée LR de Marseille Valérie Boyer à propos de l’emploi de son fils à ses côtés il y a quelques années. Une explication qui a sonné comme un coup de poignard dans le dos de François Fillon en plein « PénélopeGate »…
Les deux Marseillais ne sont pas les seuls parlementaires de Paca à travailler ou à avoir travaillé en famille. Selon le décompte du Ravi, ils sont 13 députés et une sénatrice sur 63 parlementaires (41 députés et 22 sénateurs) à toujours rémunérer une femme ou un enfant, plus rarement un père, un frère, un gendre, une nièce ou une belle-fille (1), certains, très famille comme Jacques Bompard, député-maire Ligue du Sud (ex-FN) d’Orange, en emploient carrément deux. Soit un taux de 20,6 %, ce qui est dans la moyenne nationale. Ce chiffre pourrait grimper à 28,6 % (18 élus) en incluant les cinq repentis connus (quatre députés et un sénateur), et être bien supérieur en élargissant à la famille politique !
Sans surprise, c’est à droite, et à l’extrême droite, que l’on est le plus attaché à la famille. Alors qu’elle squatte 60,3 % des sièges (12 sénateurs et 26 députés), la droite régionale représente 69,2 % des soutiens familiaux (1 sénatrice et 8 députés). Pour Rudy Salles, député UDI de Nice, qui travaillait avec son gendre « avant qu’il ne soit [son] gendre » et a embauché sa femme en 1995, sept ans après sa première élection à l’Assemblée nationale, « c’est un choix de vie ». « La politique sépare plutôt les couples », explique l’adjoint de Christian Estrosi à la mairie de Nice. Littéraire de formation, selon le centriste sa compagne s’occupe pour moins de 2000 euros nets par mois (le revenu moyen des collaborateurs est de 2200 euros nets) de recevoir à sa permanence, des questions sociales, de relire ses discours et interventions.
Affaires de famille
Pour un salaire bien supérieur (environ 2400 euros net), le travail de Patricia Deflesselles est plus flou. « Tous les maires, les élus de la région la connaissent. Elle donne un coup de main sur un temps plein pour beaucoup moins que d’autres », explique d’une voix amusée son mari Bernard, député LR d’Aubagne, élu en 1999. « J’ai gagné dans une législative partielle marquée par une fraude électorale de l’équipe coco, j’avais besoin de fidélité, de proximité », se justifie le conseiller régional. Et de jurer, tout en s’interrogeant sur l’opportunité d’interdire l’emploi de parents : « Que je sois réélu ou pas en juin, ma femme prend sa retraite. »
Une sage décision. La publication le 22 février, des noms des collaborateurs de député (le Sénat le fait depuis 2015) a commencé à faire des dégâts. Le nom de la nièce de la socialiste avignonnaise Michèle Fournier-Armand, qui emploie déjà à temps partiel (7 heures/semaine) son conseiller municipal de fils, est ainsi sorti du chapeau. Problème : salariée de l’office HLM du département, elle est en arrêt maladie depuis deux ans (Laprovence.com, 23/02)… Un cas qui rappelle celui de l’affaire Povinelli. Mis en examen depuis 2015 pour détournement de fonds publics, l’ancien sénateur PS et toujours maire d’Allauch est soupçonné d’avoir procuré « un emploi d’assistante parlementaire fictif ou sur-rémunéré » à sa belle-fille, une esthéticienne à domicile (Mediapart, 09/02).
« Le problème, ce n’est pas les collaborateurs familiaux, mais les collaborateurs fictifs », tranche Camille Naget, de la CGT-CP, attachée parlementaire au Sénat. En compagnie de deux autres syndicats, son organisation a profité de l’affaire Fillon pour ressortir une revendication vieille de 15 ans : la création d’une branche professionnelle des collaborateurs d’élus. « C’est aussi dans l’intérêt des [parlementaires] que l’on ait un statut. Un sénateur qui fait travailler ses collaborateurs plus que la durée légale de travail, ce qui est souvent le cas, sans compensation, est répréhensible par la loi », rappelle la syndicaliste. Encore faut-il qu’ils travaillent…
1. Ne sont comptabilisés que les collaborateurs réguliers. LR : JL Guibal, L. Lucas, R. Salles et M. Tabarot dans le 06 ; B. Deflesselles et S. Joissains dans le 13 ; G. Ginesta, J.S. Vialatte et P. Vitel dans le 83. PS : V. Burroni et H. Jibrayel dans le 13 ; M. Fournier-Armand dans le 84. Écologistes : F-M Lambert dans le 13. Ext.Droite : J. Bompard dans le 84.
Jean-François Poupelin
Publié dans le Ravi 149, mars 2017