« Les femmes dans la rue vivent un vieillissement accéléré »
Dans quel cadre s’est déroulée l’étude ?
Aurélie Tinland : C’était une préoccupation de l’équipe, depuis longtemps on cherchait un moyen d’objectiver ce qu’on voyait, c’est-à-dire la dégradation de l’état de santé des personnes [sans domicile]. On a décidé de conduire nous-mêmes une étude parce qu’il y a assez peu de données faciles à manipuler, comme celles que l’on a produites. Les gens dans la rue sont dans des [stratégies] de survie et se préoccupent assez peu finalement du corporel. Ils développent de nombreuses pathologies, [mais] sont très mal pris en charge ou pas pris en charge. Ils ont une espérance de vie qui est vraiment faible.
Pourquoi vous êtes-vous intéressés aux femmes ?
On avait pu constater […] que les femmes étaient encore plus fragiles que les hommes, parce qu’il y a une vulnérabilité spécifique des femmes, avec des taux de victimisation qui sont très très importants (agressions, viols) et une mortalité plus forte. Toutes les études montrent cette mortalité plus élevée, mais il y a très peu d’études spécifiques sur les femmes car elles sont marginales dans la rue, environ 10 %. Pourtant, elles sont de plus en plus nombreuses car il y a une féminisation du « sans-abrisme ».
Quels sont les faits marquants de votre étude ?
D’abord que les scores, c’est-à-dire le nombre de maladies qu’une personne a, est comparable avec ceux d’une population de gériatriques hospitalisés, des personnes de plus de 75 ans hospitalisées. C’est le cumul de choses qui au début ne paraissent pas tellement graves, que ces personnes ne vont pas aller faire soigner, parce que ça n’est pas leur préoccupation, qui leur est fatal. Leur préoccupation, c’est de survivre. C’est pour ça qu’elles arrivent à mourir de toutes ces pathologies.
L’autre fait marquant, c’est qu’être dans la rue ou avoir été dans la rue, même peu de temps, est un facteur de gravité. C’est-à-dire que le public le plus sensible à tout ça, c’est celui qui ne dort même pas dans les hébergements d’urgence. Plus on s’exclue et on est exclu, plus on s’exclue de soi-même et des préoccupations corporelle. Même sur un faible échantillon, on arrive à montrer une vraie différence entre ces groupes, une différence scientifiquement validée.
Quelles sont les conclusions d’une telle étude ?
[Le problème] n’est pas médical, n’est pas social, il est politique. On ne peut pas soigner des gens qui ont des poli-pathologies complexes, qui vivent un vieillissement accéléré. Comme on ne peut pas être curatif, il faut être dans la prévention. L’urgence sociale n’est donc pas une réponse.
Propos recueillis par Jean-François Poupelin