Les élus sortent à peine la tête de l’eau…
C’est devenu un marronnier. Comme la grippe, la rentrée des classes ou les OM-PSG, la montée des eaux en Paca est désormais un sujet récurrent dans les médias. Les événements climatiques violents et meurtriers sont de plus en plus fréquents et les prévisions de la montée de la mer, de un à deux mètres d’ici la fin du siècle, prévoient un recul des traits de côtes. Certaines plages et infrastructures vont disparaître, l’économie et l’urbanisme vont être impactés. Nice Matin titre même régulièrement sur les risques de tsunamis… La peur fait vendre.
Elle est aussi très mauvaise conseillère. Alors qu’en Occitanie, des projets abandonnent des terres à la mer, quitte à reculer des routes de plusieurs kilomètres, en Paca, la prise de conscience est très récente. Il a fallu attendre avril, neuf ans après les inondations qui ont fait 27 morts dans le Var, pour que Toulon Provence Métropole signe son plan d’actions de prévention des inondations. « Le bétonnage n’est pas remis en cause parce que les éléments en dur sont plus faciles à mettre en place, ils se voient, on en connaît les effets et ils s’inaugurent », peste Jean Jalbert, le directeur de la Tour du Valat, un centre de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes financé par la Fondation Luma (Cf le Ravi n°152). Et de regretter : « Certains ne se préoccupent même pas des risques de la montée des eaux. Le port de Marseille Fos a les mêmes terrains que la Camargue mais n’a pas un mot sur le changement climatique dans son grand plan 2025 ! »
« Même si beaucoup d’élus ont compris les enjeux, ils sont d’une manière générale, démunis. Ils n’ont pas les bons outils et doivent faire face à une demande sociale qui veut que rien ne bouge, qui demande à être protégée », constate amèrement l’ingénieur agronome. « Il n’y a presque plus de discours climato-sceptiques, la prise de conscience est assez forte, mais peut-être pas encore à la mesure de ce qui peut arriver », acquiesce le paléoclimatologue Antoine Nicault, un des coordinateurs du groupe d’experts pour le climat de la région (Grec-Sud).
Lignes Maginot
Résultat, la loi littorale qui interdit toute construction à moins de 100 mètres des côtes, est régulièrement attaquée et les communes consacrent « un pognon de dingue » au ré-ensablement de leurs plages pour sauver leurs saisons touristiques et à l’entretien ou la construction de digues pour sauver leurs habitants. 500 000 euros par an à Hyères pour que Gien reste une presqu’île, 900 000 euros pour la maintenance des infrastructures en Camargue.
En pure perte. « Les digues finissent par se déchausser parce qu’elles fixent les vagues et renvoient le sable, et elles sont comme la ligne Maginot, elles peuvent très vite être contournées », explique François Fouchier, le délégué régional du Conservatoire du littoral, un établissement public qui protège 41 500 hectares et 180 km de côtes dans la région. Lui, plaide pour une gestion adaptative au territoire – « une bande des 100 ans plutôt que des 100 mètres » – et une reconstruction des zones humides, en bord de mer comme de rivières. « Elles jouent un rôle d’éponge ».
Tout en constatant que les élus privilégient « le visible et le rapide », ils nous « demandent [aussi] des solutions sur le long terme », assure cependant Antoine Nicault du Grec-Sud. « Et le long terme veut dire un changement de littoral, des ouvrages qui disparaissent », insiste le chercheur. Si Jean Jalbert anticipe déjà de futures « délocalisations de populations », lui, défend une combinaison de luttes contre l’érosion et de laisser faire. Il n’est pas encore question d’abandonner Les Saintes-Maries-de-la-Mer !
Une solution adoptée par le maire d’Hyères, le LR Jean-Pierre Giran, une commune du littoral varois traversée par deux fleuves et reliée à la presqu’île de Giens par deux tombolos, des cordons de sédiments. « Les enjeux sont très importants. Les déplacements de populations ne sont pas aussi simples qu’en théorie et il n’est pas question que Giens redevienne une île », insiste l’ancien député qui a programmé 12 millions de travaux pour construire une digue sous-marine et des pièges à sable. Le nouveau plan local d’urbanisme est aussi beaucoup moins laxiste. En parallèle, il a aussi lancé le dés-enrochement de plusieurs centaines de mètres des anciens salins pour que la nature s’y réinstalle et joue son rôle d’amortisseur.
Remparts naturels
Ce choix de laisser la nature reprendre sa place et sa fonction protectrice, a aussi été fait en Camargue, il y a un peu moins de 10 ans, lorsque le Conservatoire du littoral a racheté plusieurs centaines d’hectares des anciens Salins de Giraud. En n’entretenant plus les canaux, l’intérieur des marais a été reconnecté à la mer. « La nature a été plus vite que ce que l’on pensait lorsqu’on lui a abandonné le trait de côte, se réjouit Jean Jalbert de La Tour du Valat. Les sites ont beaucoup changé, des étangs sont submergés, d’autres sont ensablés. Ils seront les premiers remparts des tempêtes de demain. » Sceptiques au départ, même les habitants s’y sont convertis. « Il y a eu une renaissance de la biodiversité, les gens retrouvent la nature qu’ils connaissaient », note aussi François Fouchier.
Le délégué régional du Conservatoire du littoral apprécie aussi les petites victoires : « Suite aux inondations, Antibes ou Biot assument aujourd’hui d’exproprier au détriment de leur développement économique. » D’autant que la montée des eaux n’a pas que des désavantages selon Antoine Nicault du Grec Sud : « Des espèces exogènes arrivent et s’adaptent, comme le Barracuda. Les clubs de plongée se régalent ! »
Jean-François Poupelin
Article publié dans le Ravi n°172, daté d’avril 2019