Les élèves, on s’en fiche !
En juin dernier, les parents d’élèves du collège du Fenouillet à La Crau (83) ont découvert des envois de mails adressés par la chef d’établissement à la mairie et à la gendarmerie, faisant état de simples sanctions disciplinaires pour des vols de trousse ou des bagarres. Des échanges de fichiers qui avaient lieu depuis mars 2012. « On s’interroge sur la portée éducative d’un tel acte. Il ne s’agit pas de trafiquants de drogue, mais de blagues de potaches », indique Philippe Garnier, vice-président de la Fédération des conseils de parents d’élèves 83 (FCPE). Comme une trentaine d’autres villes du Var, La Crau a signé un accord avec l’Education nationale, dans le cadre du conseil local de sécurité et de la prévention de la délinquance. « Ça ne rentrait pas du tout dans ce cadre-là. Il y a eu une erreur de commise par la directrice. Un rappel à l’ordre assez ferme a été effectué sur les règles de transmission et de déontologie (1) », indique Jean Verlucco, inspecteur académique du Var. Un simple rappel verbal mais aucune sanction… Les élus locaux ont réagi comme Mireille Peirano (PS), vice-présidente du Conseil régional interpelée par les parents d’élèves : « Je suis scandalisée. Je vais demander à ce que les élus et parents d’élèves siègent dans les conseils locaux de sécurité. » « On piétine les droits de l’enfant en faisant passer répression avant éducation », indique Jean-Marc Coppola (FDG), vice-président du Conseil régional et opposant au fichage numérique.
Depuis 2007, ère Sarkozy, chaque information concernant un enfant scolarisé est gravée dans le marbre informatique. « C’est pas tant le problème informatique qui nous inquiète, que celui du fichage et le fait que ça augmente la possibilité de ramifications entre différentes bases de données et rarement à des fins bénéfiques, précise Erwan Redon, enseignant et membre de Stop fichage 13 à Marseille (2). Ces données sont amenées à sortir de l’école ! » Autre exemple de fuite signalé par le Collectif national de résistance à la Base élèves (CNRBE) : celui de Guillaume B. élève d’un collège de Vaison-La-Romaine (84) qui a vu, en juin dernier, des données le concernant provenant de fichiers scolaires censés être sécurisés mises à disposition sur le net en un simple clic ! (3)
L’ONU s’inquiète
Le CNRBE qui lutte depuis 2008 pour le retrait de la Base élèves (4) a été reçu le 13 juillet dernier par les deux conseillers du ministre de l’Education nationale Vincent Peillon. Satisfait d’avoir été entendu, le collectif se déclare « dans l’attente de réponses dont nous ne pouvons […] présager le contenu ». Il avait lancé en mars 2012 une action juridique sur la question du fichage des enfants dès leur entrée à l’école maternelle, leur immatriculation par un identifiant unique (INE), amené à les suivre durant toute leur scolarité : « La pierre angulaire d’un projet politique qui vise à cataloguer les individus en fonction des “compétences” prédéfinies pour faciliter leur “employabilité” future. »
En 2009, le Comité des Droits de l’enfant de l’ONU leur a donné raison en rappelant la France à l’ordre : « Le Comité est préoccupé par l’utilisation de cette base de données à d’autres fins telles que la détection de la délinquance et des enfants migrants en situation irrégulière et par l’insuffisance de dispositions légales propres à prévenir son interconnexion avec les bases de données d’autres administrations. » En 2008-2009, période à laquelle le fichage s’est généralisé, Pascale, enseignante à Toulon et mère de famille, avait déposé plainte avant que l’affaire ne soit classée sans suite. « On nous disait qu’il n’y avait rien dans la base de données, se souvient-elle. Pourtant on demandait les origines des parents, les antécédents médicaux, l’aide spécialisée… même la personne qui venait récupérer l’enfant était fichée ! Aujourd’hui, on demande beaucoup moins d’informations mais il reste une cinquantaine de champs vides… susceptibles d’être remplis ! » Erwan Redon complète l’analyse : « Tout ce qui était lié à la nationalité a été retiré même si le lieu de naissance apparaît toujours ! Ce qui faisait réagir, c’était le lien qui pouvait être fait avec les familles de sans-papiers. Il y a aussi un certain déterminisme, qui fait qu’il n’y a plus droit à l’effacement et à l’oubli des parcours chaotiques. »
Les données devaient être sauvegardées 35 ans initialement et donc pouvaient nous poursuivre 15 ans après la fin de la scolarité. « Les informations sont désormais sauvegardées 5 ans après la fin de l’élémentaire, ce qui nous amène à la fin du collège, poursuit Erwan Redon. Mais ce qu’ils ont enlevé d’un côté, on le retrouve à travers d’autres fichiers qui arrivent comme le livret de compétences (5) mis en place cette année. Ils jouent aussi sur la multiplication des logiciels et des bases de données. Ca devient compliqué de suivre tous les méandres. Ce qui nous préoccupe, c’est le basculement des informations d’une base à une autre. » Affelnet et Sconet pour le collège, le SDO (Suivi de l’orientation) qui répertorie les élèves « décrocheurs »… Et depuis le début de l’année, le RNIE a été mis en place. Il s’agit du « Répertoire national des identifiants élèves, étudiants et apprentis », un identifiant unique de la maternelle à la sortie d’université (alors que l’INE changeait lors du passage au second degré), comme un code barre tatoué à l’encre indélébile.
Une directrice désobéissante
Mais l’espoir des militants anti-fichage vient peut-être de Corse. Le Tribunal administratif de Bastia a donné raison, en juin dernier, à deux familles qui contestaient le refus de l’inspecteur d’académie de prendre en compte leur demande d’opposition au fichage de leur enfant. Car même si ce droit est inscrit dans la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978 et renforcé par la décision du Conseil d’État du 19 juillet 2010 (pour le fichier Base Élèves) (6), peu de parents sont réellement informés. Erwan Redon a fait modifier le règlement intérieur de l’école de son fils, afin de rendre ce droit plus lisible.
Corinne Lefort fait partie des directrices d’école qui s’opposent au fichage de leurs élèves en mobilisant les parents : « Plusieurs d’entre eux se sont renseignés précisément sur la teneur du fichage, sa durée, le droit d’opposition etc. Ils ont alors informé l’ensemble des parents de l’école et quelques semaines après ils déposaient sur mon bureau une liasse énorme de lettres d’opposition signées. Seules 8 familles – pour une école qui comptait 160 élèves cette année-là – n’avaient pas formulé d’opposition. » Dans son école, celle des Accoules dans le 2ème arrondissement de Marseille, Corinne Lefort est parvenue à ne pas renseigner le fichier pendant un an mais en raison de son refus de remplir « son rôle de fonctionnaire » elle a été rattrapée par sa hiérarchie : « J’avais une semaine pour renseigner la Base faute de quoi il s’agirait d’une faute professionnelle dont je devrais "assumer les conséquences" », précise-t-elle. La première d’entre elle étant qu’elle soit démise de ses fonctions. Le conseil d’école, regroupant les enseignants et les délégués des parents, lui a conseillé de ne plus s’exposer à la sanction et de renseigner la Base en se limitant au minimum. A l’école des Accoules, aucune des lettres hostiles au fichage adressées à l’inspection académique n’a reçu de réponse. Deux familles ont déposé plainte devant le tribunal administratif.
Samantha Rouchard