Les diffuseurs noyés dans le papier
Chaque jour de la semaine, Catherine Pietralunga se lève à 5 heures du matin pour réceptionner les paquets de journaux déposés par les livreurs de la société d’agence et de diffusion (SAD). Un bordereau, digne des télex de l’Allemagne de l’Est, accompagne chaque colis. Catherine les met de côté, puis place les journaux, parmi les 500 titres présents dans son kiosque devant la Préfecture de Marseille. « Je passe ici 12h par jour pour vendre des journaux et à la fin du mois, il me manque 3 000 euros, explique-t-elle. J’ai mangé mon fonds de trésorerie et je n’ai pas dégagé de salaire depuis mai. Donc, soit, je me débrouille mal, ce qui n’est pas possible puisque j’ai triplé le chiffre d’affaires du kiosque depuis que je l’ai repris voici 2 ans, soit il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans le système de distribution des journaux. »
La diffusion de la presse est règlementée depuis 1947 par la loi « Bichet » qui assure la neutralité de la distribution entre tous les titres, et donc le pluralisme de la presse. Au départ, le principe est de faire payer les gros par les petits. Aujourd’hui, le système est devenu extrêmement complexe. Il s’y joue une guerre de position entre les éditeurs, les sociétés de distribution et les points de vente. « L’éditeur veut que le maximum d’exemplaires de son titre soit présent dans les kiosques, explique Philipe Pérard, responsable de la société de distribution indépendante à Dignes. Notre rôle, c’est de modérer cette exigence par notre connaissance du terrain. On ne met pas 200 exemplaires de « ski magazine » en plein été dans les maisons de presse des stations. »
10 000 euros de prime
Pour Catherine Pietralunga, c’est pourtant ce qui se passe. « Chaque matin, je reçois des titres que je ne vends pas. Je n’ai pas le choix et le pire, c’est que la SAD me facture tout de suite ! Par contre, pour que je puisse toucher ma commission sur les titres vendus, je dois attendre au mieux 15 jours, au pire un mois. » Autrement dit, sans un fonds de trésorerie, impossible de tenir. Pour Stéphane Pérard, le système de distribution de la presse est obsolète. « Les règles n’ont pas bougé depuis 60 ans, comme si, la télé et Internet n’avaient pas été inventé entre-temps. La Presse, c’est – 35 % depuis 5 ans ! Et le pire, c’est que chaque fois que le système a essayé de s’adapter, c’était encore pire qu’avant. » Exemple : la création de primes d’animation, il y a une dizaine d’années, qui sont versées à certains points de vente de presse. Il faut, pour cela, avoir un minimum de surface de vente et des vitrines que l’on doit animer. « Personne ne contrôle rien et c’est toujours les mêmes qui touchent cette prime qui peut aller jusqu’à 10 000 euros quand même, s’étonne Philippe Pérard. Comment voulez-vous motiver les gens dans ces conditions ? »
Catherine Pietralunga, elle, ne touche pas cette prime. « Moi, ce qui me fait vivre, c’est la vente de bonbons, briquets, le café, les sodas et La Provence, qui, heureusement, a son propre réseau de distribution. Mais je ne m’en sors pas. Le système est déjà en notre défaveur, mais ce n’est pas tout. J’ai fait mes calculs, je suis certain que la SAD ne me verse pas la totalité de mes commissions. Je vais les attaquer en justice. Si je n’obtiens pas gain de cause, je ferme mon kiosque et je retourne à mon ancien métier, technicienne de laboratoire. »
Et le point de vue de la SAD « 13 » ? Le téléphone sonne systématiquement dans le vide ou, pire, le combiné est aussitôt raccroché. Manifestement, les salariés ont d’autres chats à fouetter. Et pour cause. L’entreprise, filiale de Presstalis, est sous la menace d’une restructuration visant à réduire le nombre de dépôts et de personnel. Au niveau national, contre la promesse d’un investissement de 200 millions d’euros pour la modernisation des installations, 1000 postes seraient supprimés sur 2500 entre 2013 et 2015. Hachette, qui possède les « Relay » dans les gares, a claqué la porte de Presstalis. Son rêve : dérèglementer totalement la distribution et s’emparer du marché. La CGT a lancé une série de grèves mi-septembre, perturbant la distribution des quotidiens. Un mouvement qui devrait se poursuivre au moins jusqu’à la fin de l’année. Pendant ce temps-là, Google qui utilise les contenus de sites d’information, a dépassé cette année le milliard d’euros de recette publicitaire en France…
Stéphane Sarpaux