Les dérapages très contrôlés du FN
>Extrait du Guide pratique de l’élu municipal FN : « Faire de bonnes interventions en séance, être un élu assidu qui connaît ses dossiers, c’est bien mais encore faut-il que les habitants de la commune le sachent. Or, si vous comptez sur la presse locale ou vos adversaires politiques pour rendre compte de vos actions, vous risquez d’attendre longtemps ! » Conclusion : « Savoir faire, c’est bien mais maintenant, vous devez faire savoir. » Un conseil suivi à la lettre par les maires d’extrême droite. En attestent leur usage des réseaux sociaux mais aussi leurs bulletins municipaux. La palme ? Elle revient à Robert Ménard, ancien de Reporters sans frontières un temps épaulé par l’ancien bras droit de Jacques Bompard à Orange, André-Yves Beck. Comme le résume un membre du site Envies à Béziers : « Aujourd’hui, le journal municipal ressemble au Minute des années 70. » Une publication qui complète une com’ très agressive, qu’il s’agisse d’armer la police municipale ou de s’en prendre à la presse. A Hénin-Beaumont (59) aussi, Bruno Bilde, l’éminence grise de Steeve Briois, explique dans le journal de la ville avoir « repris un service communication en ruine ». Et d’assurer que « le budget communication n’a jamais été aussi bas alors que nous n’avons jamais autant communiqué ».
Com’ cadenassée
Dernier exemple ? Le « mag » de la mairie du 13/14 qui confirme que le sénateur-maire frontiste marseillais Stéphane Ravier n’a pas volé son surnom de « dictateur nord-phocéen » : sans parler des dossiers sur le « vivre ensemble » ou les Roms, comme le déplore l’opposition, sur 20 pages, il y a 19 photos de l’édile ! Et l’édito de promettre, sans rire, une « information authentique, à l’inverse d’une information bien souvent tronquée et manipulée par la presse locale ou des politiciens aigris ». Quant à la directrice de cabinet, elle vient au secours de son patron : « Vous avez compté les photos de Valérie Boyer dans son journal ? »
A lire ces publications aussi glacées que glaçantes, ce qui marque, c’est l’uniformité des contenus. Et, au-delà des thèmes « identitaires » (sécurité, immigration, islam…), c’est, non sans ironie, le modèle « orangiste » qui s’impose, celui de villes gérées en « bon père de famille » : impôts, voirie, travaux… Sans oublier le 3ème âge et cette vision très particulière qu’a l’extrême droite de l’histoire ou de la culture. Soupir de Gauthier Bouchet, ancien responsable du compte Twitter de Marine Le Pen : « Difficile de faire original en matière de com’ municipale. » Ce que confirme en substance la dir’cab’ de Ravier.
« Le FN n’est pas adepte du centralisme bureaucratique, affirme Alain Vizier, responsable de la com’ au Front. Chaque élu, chaque maire est libre de faire ce qu’il veut. Et de choisir le prestataire qui lui plaît. » Frédéric Bocaletti, le patron du FN dans le Var, est plus nuancé : « Il y a tout de même au FN du centralisme puisque, dans le Var, pas un communiqué, pas un tract ne sort sans que je ne le vise. Pour une raison simple : je suis pénalement responsable s’il y a le moindre souci ! Pas question en revanche de dire à un maire ce qu’il a à faire. On ne va pas refaire l’erreur de 1995 où le parti se mêlait de gestion municipale. »
S’il ne s’émeut guère de voir Gérard Amen, l’ancien patron de la com’ de Saint-Raphaël se recycler à Fréjus, il ne cache pas sa surprise en apprenant que, pour son journal municipal et son site internet, le sénateur-maire David Rachline a embauché une ancienne de Riwal, la sulfureuse société de l’ex-gudard Frédéric Châtillon, au cœur des enquêtes autour du financement du FN : « Vous êtes sûrs ? Il est vrai qu’on embauche avant tout les gens qu’on connaît. Pour leur travail, j’entends... » Et puis, Rachline n’est-il pas lui aussi passé par Riwal après s’être occupé de la com’ sur le web de celle dont il est désormais directeur de campagne ?
A la droite de la droite, si l’on n’aime rien tant qu’une communication sévèrement cadenassée – quitte à s’en prendre à la presse ou à arracher le micro à l’opposition comme à Cogolin – on apprécie aussi la liberté presque sans limite qui règne sur la toile. En témoignent le succès de sites comme Fdesouche, l’investissement en ligne de l’ancien attaché parlementaire de Jean-Claude Gaudin, Guillaume de Thieulloy ou l’existence en Paca d’un site de « réinformation » (Nice-Provence Info) lancé il y a quelques années par un ancien de Nice-Matin, se présentant lui-même comme un « pionnier » de l’internet.
Faire du bruit Question de génération pour Gauthier Bouchet qui, de 2010 à 2012, a joué les « nègres » pour Marine Le Pen sur Twitter : « A l’époque, on était très prudent. On se contentait de reproduire les communiqués. Aujourd’hui, le FN a rajeuni. Les cadres comme les militants sont plus à l’aise sur les réseaux sociaux. » Ce qui n’est pas sans dérapages. Dernier en date ? Suite à sa réaction à une agression très médiatisée à Toulon, la secrétaire du PS à Fréjus subira, sur le compte Facebook du frontiste Amaury Navaranne un tombereau d’insultes et de menaces. Lors des Estivales, à Fréjus, l’élu régional minimise : « C’est ce que l’on voit en permanence sur internet. J’ai bien évidemment supprimé ces commentaires que je déplore mais, sur le web, on ne peut pas faire de modération à priori. »
D’où la nécessité de former cadres et élus. Dans le Var, c’est Frédéric Bocaletti et l’ancien identitaire niçois Philippe Vardon qui ont joué les profs : « On a beaucoup appris lors des régionales, explique le patron de la « fédé » varoise. Nous rappelons ce qu’on a droit de faire ou pas. Mais aussi comment écrire court pour Twitter, comment faire pour qu’un post soit repris. Et des pièges à éviter : les faux comptes, les profils qui, pendant un mois, sont très lisses, très propres et puis, du jour au lendemain, vous vous retrouvez avec une photo d’Adolf Hitler… » Un sujet d’autant plus sensible que l’activisme sur les réseaux sociaux fait partie au FN des critères afin de sélectionner les prétendants à l’investiture pour les législatives.
Ancien du parti d’extrême droite, le varois Damien Guttierez assure que la com’ y est bien plus cadenassée qu’il n’y paraît : « Au Front, le patron de la fédération, c’est l’équivalent du préfet. Quand j’étais directeur de cabinet au Luc, ce n’est pas la fédé qui a signé le bon à tirer du journal municipal mais ils ont voulu savoir ce qu’il y avait dedans. J’ai aussi eu droit à quelques remarques sur mon blog à la Seyne. On me reprochait de ne pas relayer assez la com’ du parti. Et, après les municipales, on a dû remettre nos codes d’accès Facebook à celle qui s’occupait du numérique à la fédération. »
« C’est faux, rétorque Bocaletti. Évidemment, on demande le retrait de tout ce qui pourrait être problématique. Mais vous imaginez le travail que cela représenterait si on devait tout contrôler ? La consigne, c’est qu’on a 24 heures – au pire 48 – pour retirer ce qui pose problème. » Autrement dit, pendant ce temps-là, tout (ou presque) est permis. Ce que confirme Guttierez : « La vérité, c’est qu’on a affaire à des dérapages très contrôlés. Pour le FN, les réseaux sociaux, ça sert autant pour la com’ que d’exutoire. Un commentaire n’est supprimé que si vraiment, ça fait du bruit… »
Pour saisir l’ordinaire de la communication frontiste, il suffit d’aller sur le Facebook de Ravier. « C’est lui qui s’en occupe directement », nous assure sa directrice de cabinet. Il poste régulièrement des articles de Fdesouche. Et reliera une course-poursuite avec un mouton dans son quartier au moment de l’Aïd… Hasard des calendriers, Bouchet vient d’inviter Ravier pour un « déjeuner patriote » du côté de Nantes : « On avait déjà reçu Rachline. Alors, cette année, on a choisi d’accueillir Ravier. Nos militants apprécient sa verve. Il a une parole très libre. Ça plaît. »
Sébastien Boistel Enquête publiée dans le Ravi n°146, daté décembre 2016