Les « cassés » ne sont pas des « casseurs »
« Il y a des bons flics et des mauvais, comme il y a des bons manifestants et des mauvais. Mais on parle toujours des bons flics et des mauvais manifestants. » Dans les locaux marseillais de Solidaires, ce n’est pas, pour une fois, la loi travail qui mobilise la trentaine de personnes réunies ce mercredi 11 mai pour une conférence de presse à l’initiative du syndicat Sud Education. Témoigner des violences policières est le seul mot d’ordre du jour. Une petite brune, qui « n’a pas la tête d’une casseuse » comme on le lui fait souvent remarquer, prend la parole d’une voix posée devant les journalistes. Du haut de son mètre quarante-huit, elle n’est encore qu’en seconde mais la maturité n’attend visiblement pas le nombre des années ! Le 31 mars dernier, c’était l’une de ses premières manifestations. « J’ai voulu aider une femme qui se faisait attaquer par cinq CRS : elle avait le visage tuméfié par les coups et était plaquée contre le sol ! Alors je me suis approchée et je leur ai dis : "c’est pour ça que vous vous êtes engagé ?" L’un des policiers, qui se trouvait à cinq mètres de moi, m’a regardé. Puis il m’a tiré dessus au flashball. » La jeune fille agite sa main : « La balle m’a touchée et cassé le petit doigt. »
« Pourquoi ils ont frappé mon fils ? »
« La couverture médiatique des manifestations contre la loi travail évoque souvent les policiers blessés. Mais il y a aussi des choses à voir de l’autre côté », a annoncé en préambule Pierre Gondard de Sud Education 13. Plusieurs récits, tous plus marquants les uns que les autres, racontés au cours de l’après-midi, dénoncent de sérieux dérapages.
Une autre lycéenne d’à peine 16 ans évoque la manifestation du 28 avril. Avec 57 interpellations rien que sur la ville de Marseille, cette journée fut parmi les plus houleuses depuis le début du mouvement. « Sur les voies du tramway, il y avait des casseurs. Nous, on était tranquilles, assises sur le côté, en retrait. Soudain, les forces de l’ordre ont tiré. Et j’ai reçu un coup de flashball dans le ventre. » Après avoir passée la nuit aux urgences, la jeune fille écope de six jours d’ITT. « Même si tout le monde me disait que ça servait à rien, je suis allée porter plainte. Et quand je l’ai fait, les policiers étaient surpris ! »
Dans la salle, seules deux personnes ont effectuées la démarche. Parce qu’ils ne savent pas comment s’y prendre, parce qu’ils ont peur de pas avoir suffisamment de « preuves » ou parce qu’ils n’y pensent tout simplement pas. Des propositions de plaintes collectives émergeront plusieurs fois au cours de la journée. Au milieu d’un discours, deux nouveaux venus font irruption, sans le moindre bruit. Eux sont tristement connus ici : ce sont les parents d’Amine, un jeune homme de 16 ans. Le « premier tombé », comme ils l’appellent. Son histoire remonte à la manifestation du 17 mars dernier. Après s’être interposé durant l’interpellation musclée d’un homme relativement âgé, Amine est frappé à plusieurs reprises par les policiers. Sous l’œil attentif de plusieurs smartphones qui immortaliseront et partageront la scène plus tard sur Internet.
« Pour que tout le monde sache »
Mais c’est au commissariat que la situation empire pour le garçon, toujours d’après ses parents. « Le boulot de la police, c’est d’arrêter les gens, de les menotter et des les emmener au poste. Le reste, c’est le travail du juge. Alors pourquoi ils ont frappé mon fils à l’intérieur du commissariat ? » s’indigne le père du jeune homme. Robuste malgré son âge grâce à son physique de boxeur, le garçon prend 15 jours d’ITT. Petit étalage de ses blessures : un traumatisme crânien, une entorse au poignet, des bleus au visage, des doigts écorchés, une incapacité de plier les genoux… Des stigmates qui ne correspondent pas aux coups déjà donnés par les policiers dans la rue, selon les parents de la victime. Encore traumatisé, le jeune homme na pas souhaité s’exprimer en public. Ses parents entameront prochainement des démarches judiciaires, en partie pour répondre aux accusations « d’outrage et de rébellion contre des personnes dépositaires de l’ordre public ».
D’autres propos rapportent de faits moins graves mais témoignent d’un climat délétère. Comme celui, surréaliste, de ce garçon de 16 ans, réprimandé par un médecin qui lui décrète de retourner en cours plutôt que d’aller aux manifestations, alors qu’il se fait soigner pour une entaille à l’épaule causée par une grenade lacrymogène. Ou encore celle de cette manifestante plus âgée, qui se fait saisir son portable par un policier alors qu’elle filme une agression le 24 mars dernier… Un téléphone qu’elle ne retrouvera jamais.
Vers 16 heures, la réunion touche à sa fin. A l’intérieur du local, des jeunes continuent de se confier aux membres de Sud Education 13. Et dehors, sur le seuil de la grande porte du syndicat, quelques parents discutent entre eux. Le père d’Amine est parmi eux et résume l’état d’esprit commun : « On doit parler un maximum de ces violences policières. Il faut que tout le monde sache. »
Louis Tanca